Monsieur, Cher Internaute,
Le nombre de réactions suscitées par ce texte nécessite un
éclaircissement qui, veuillez m'en excuser, sera un peu long compte tenu des propos qui sont tenus par différents acteurs de l'Internet.
Je voudrais tout d'abord vous rappeler les sept avancées fondamentales que notre assemblée vient de décider :
1. autonomie juridique de linternet par rapport à laudiovisuel et à ses règles,
2. mise en place dun régime équilibré de responsabilité pour les prestataires techniques (hébergeurs, FAI),
3. protection complète et sans précédent du consommateur en ligne puisque le vendeur devient directement responsable de toute défaillance que celle-ci soit de son fait ou de celle de ses sous-traitants (banques, livreurs),
4. accélération de la diffusion du haut débit grâce aux nouvelles possibilités dintervention des collectivités locales,
5. création des conditions juridiques de la poursuite de la baisse des prix des services de télécommunications notamment de lADSL,
6. tarification à la seconde de la téléphonie mobile garante de la transparence,
7. application à la téléphonie mobile de la gratuité des numéros verts.
Je reviens sur les obligations de surveillance de la diffusion de contenus illicites
Que dit la directive ?
- en ce qui concerne les hébergeurs (article 14 de la directive du 8
juin 2000) : Les Etats membres veillent à ce que le prestataire ne soit
pas responsable des informations stockées à condition que :
- le prestataire nait pas effectivement connaissance de lactivité ou
de linformation illicite,
- le prestataire dès le moment où il a de telles connaissances, agisse
promptement pour retirer les informations ou rendre laccès à celles-ci
impossible
Il est précisé (point 3) que ces dispositions « naffecte pas la
possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative (
)
dexiger du prestataire quil mette un terme à une violation ou quil
prévienne une violation et naffecte pas non plus la possibilité pour
les Etats membres dinstaurer des procédures régissant le retrait de ces
informations ou les actions pour en rendre laccès impossible ».
- en ce qui concerne les FAI (article 12 de la directive) : Les Etats
membres veillent à ce que le prestataire ne soit pas responsable des
informations transmises à condition quil ne soit pas à lorigine de la
transmission, quil ne sélectionne pas le destinataire de la
transmission et quil ne sélectionne et ne modifie pas les informations
faisant lobjet de la transmission.
Il est précisé (point 3) que ces dispositions naffectent pas « la
possibilité, pour une juridiction ou une autorité nationale (
) dexiger
du prestataire quil mette en terme à une violation ou quil prévienne
une violation ».
- dans tous les cas (article 15, il est interdit aux Etats membres
dimposer aux prestataires (FAI et hébergeurs) une obligation générale
de surveiller les informations quils transmettent ou stockent ni une
obligation générale de rechercher activement des faits ou des
circonstances révélant des activités illicites.
La portée de cet article a été précisée par le premier rapport de la
Commission au Parlement européen et au Conseil sur lapplication de la
directive.
Ce rapport indique que « larticle 15 interdit aux États membres
d'imposer aux intermédiaires de services Internet, en rapport avec les
activités visées aux articles 12 à 14, une obligation générale de
surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ou une
obligation générale de rechercher activement des faits ou des
circonstances révélant des activités illicites. (
) Toutefois,
l'article 15 n'empêche pas les autorités publiques des États membres
d'imposer une obligation de surveillance dans un cas spécifique
clairement défini. »
Donc la directive :
- permet dimposer des obligations de filtrage (pour rendre impossible
laccès à des contenus illicites) pour les hébergeurs et à condition
quil sagisse dune demande ponctuelle dune juridiction ou dune
autorité administrative, pour les FAI.
- permet, telle quinterprétée par la Commission, dimposer une
obligation spécifique de surveillance de certains contenus.
Que dit le projet de loi ?
La rédaction initiale du projet de loi présenté par le Gouvernement :
- prévoyait (article 43-12 dans larticle 2) que « l'autorité judiciaire
peut prescrire en référé, à tout prestataire technique mentionné aux
articles 43-7 (FAI) et 43-8 (hébergeurs), toutes mesures propres à faire
cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de
communication publique en ligne, telles que celles visant à cesser de
stocker ce contenu ou, à défaut, à cesser d'en permettre l'accès. »,
- ne prévoyait pas dobligation spécifique de surveillance de certains
contenus.
En première lecture, lAssemblée nationale a :
- maintenu en létat larticle 43-12 sur les pouvoirs de lautorité
judiciaire notamment en matière de filtrage,
- établi une obligation spécifique de surveillance pesant exclusivement
sur les hébergeurs en leur imposant une obligation de moyens (ils
doivent mettre « en uvre les moyens conformes à l'état de l'art ») pour
prévenir la diffusion de contenus constitutifs :
- dapologie de crimes de guerre, crimes contre lhumanité, actes de
collaboration avec lennemi (bref, négationnisme)
- dincitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à
l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur
origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une
ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (bref,
incitation à la haine raciale et crimes assimilés)
- de représentation de mineurs à caractère pornographique (pédophilie)
Les FAI ne sont donc pas concernés en tant que FAI mais peuvent lêtre
lorsquils sont également hébergeurs ce qui peut par exemple lorsquils
offrent des services dhébergement de pages personnelles.
En première lecture, le Sénat a :
- maintenu sans modification larticle 43-12,
- supprimé lobligation spécifique de surveillance sur la base dune
analyse erronée de la directive.
En deuxième lecture, lAssemblée nationale a :
- maintenu sans modification larticle 43-12,
- rétabli, dans les mêmes termes quen première lecture, lobligation
spécifique de surveillance.
Pourquoi ces évolutions sur la question de lobligation spécifique de
surveillance ?
La première lecture par lAssemblée a eu lieu en février 2003.
A lépoque, une incertitude pouvait exister quant au sens de la
directive sur la possibilité ou non dune obligation spécifique de
surveillance. Cest pourquoi au cours de cette première lecture à
lAssemblée nationale, le Gouvernement sen était remis à la sagesse de
lAssemblée.
Le Sénat a examiné le texte en première lecture en juin 2003 et, à cette
date, la portée de la directive navait toujours pas été précisée ce qui
explique la suppression de cette obligation spécifique avec lavis
favorable du Gouvernement.
En novembre 2003, la portée de la directive a été précisée par la
Commission (cf ci-dessus) ce qui a levé les inquiétudes sur la
possibilité détablir une obligation spécifique de surveillance. Cest
pourquoi le Gouvernement sest rallié à cette proposition, Mme Fontaine
retirant en séance un amendement visant à supprimer ce dispositif et
défendant cette proposition lors de la séance des questions au
Gouvernement du mercredi 14 janvier.
Voilà où en est le Parlement aujourd'hui, sachant qu'il reste à faire
une 2ème lecture au Sénat et probablement une Commission mixte paritaire
de deux assemblées.
Je souhaite également revenir sur le point soulevé par des associations
défendant la liberté d'expression. Leur inquiétude est infondée.
Il y a manifestement un malentendu qui repose sur la confusion entre
deux notions distinctes :
- la correspondance privée, le cas échéant par voie électronique, et
- le courrier électronique.
En droit français, les correspondances privées bénéficient dune grande
protection juridique[1] puisque latteinte au secret des correspondances
est un délit passible dun an de prison et de 75 000 euros damende.
Il est explicitement prévu que cette protection des correspondances
privées sappliquent aux correspondances émises par la voie des
télécommunications et donc y compris, évidemment, aux e-mails. Le
premier alinéa de larticle 1er de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991
relative au secret des correspondances émises par la voie des
télécommunications dispose en effet que « le secret des correspondances
émises par la voie des télécommunications est garanti par la loi ».
Aucune de ces dispositions nest modifiée.
Aucune modification nest apportée par le projet de loi sur la confiance
dans léconomie numérique à la protection apportée aux correspondances
privées échangées par voie électronique.
Jusquà ce jour, il ny avait pas en droit français, de définition du
courrier électronique.
En première lecture, à lAssemblée nationale, un amendement a inséré
dans le projet une définition du courrier électronique comme « tout
message sous forme de texte, de voix, de son ou dimage envoyé par un
réseau ouvert au public qui peut être stocké dans le réseau ou dans
léquipement terminal du destinataire jusquà ce que ce dernier le
récupère ».
Cette définition, qui est exactement au mot près celle de la directive
du 12 juillet 2002, navait provoqué aucune émotion.
Il sagit, on le voit bien, dune définition qui couvre un champ bien
plus large que celui des e-mails. Elle inclut, par exemple, des messages
échangés par des réseaux de téléphonie mobile (MMS qui sont des messages
sous forme de son ou dimage, messages vocaux par exemple).
Cest précisément à cette définition, au mot près, que nous sommes
revenus en adoptant effectivement un amendement de correction de M.
Patrick Ollier. Cet amendement ne change donc rien par rapport au droit
existant.
La rédaction initiale, proposée par la Commission, était de définir le
courrier électronique comme « tout message de correspondance privée,
sous forme de texte, de voix, de son ou d'image, envoyé par un réseau
public de communication, stocké sur un serveur du réseau ou dans
l'équipement terminal du destinataire, jusqu'à ce que ce dernier le
récupère. »
Comme on le voit, cette définition nétait plus celle de la directive.
Elle avait donc pour effet de restreindre la définition de ce quest un
courrier électronique aux envois ayant effectivement le caractère de
correspondances privées. Par voie de conséquence, elle aurait été
annulée par le juge. Sur le fond, elle aurait, en outre, eu pour effet
de restreindre la protection apportée aux internautes vis-à-vis du spam
puisque les spammers auraient pu soutenir que leurs envois, par
définition collectifs, nétaient pas des correspondances privées et
quils ne constituaient donc pas des envois de courriers électroniques
interdits sans le consentement préalable des destinataires.
Elle navait pas, en revanche, pour effet détendre la notion de
correspondance privée. Nous navons jamais envisagé de le faire car cela
na rien à voir avec lobjet du projet de loi.
Notre attachement à la protection de la vie privée et en particulier de
la vie privée des internautes est complet. La modification qui suscite
votre émoi na en rien la portée que vous lui prêtez. Il nétait
simplement pas imaginable (et dailleurs, sur le fond, pas opportun pour
les raisons précédemment liées à la protection contre le spam) que ce
texte de loi qui se veut texte fondateur de linternet sappuie sur des
définitions non conformes au droit européen.
Hervé MORIN
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[1] - fondées sur les textes juridiques internationaux les plus élévés
(article 12 de la déclaration universelle des droits de lhomme : « nul
ne fera lobjet dimmixtions arbitraires dans (
) sa correspondance (..)
» ; article 8 de la convention européenne des droits de lhomme : «
toute personne a droit au respect (
) de sa correspondance »).
- déclinée en droit français par le droit français en particulier par
larticle 226-15 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de
45000 euros d'amende.le « fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de
supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou
non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre
frauduleusement connaissance ».