Petites chroniques de la pensée propre

l'écrieur

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Club iGen
7 Décembre 2004
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d'ailleurs
Depuis quelques temps, je m'interroge sur ce qui pousse un État, c'est à dire l'ensemble des institutions dont une société se dote pour se prévenir d'elle même et des autres, à censurer une parole, et notamment une parole artistique (mais pas que).

C'est la faute au retour à des pratiques de censure morale dont je n'ai connu le souvenir qu'étant enfant. L'interdiction aux mineurs non accompagnés de deux salles de la biennale d'art contemporain de Lyon (dont mado parlait récemment), le retrait d'une photo de Nan Goldin dans une exposition anglaise, ou simplement le constat que ce que l'on acceptait de certains de nos plus brillants humoristes il y a quelques années (Coluche, les nuls, et d'autres), ferait aujourd'hui l'objet d'une autocensure systématique, tous ces symptomes forment un ensemble qui de temps en temps me fait gamberger.

En matière de cinéma, la France dispose d'un arsenal lourd, qu'elle utilise régulièrement : le classement X.
Ce truc, inventé dans les années 70, et inauguré par un film de Paul Vecchiali (Change pas de main), et un documentaire sur ce même film (Exhibition, de Jean-François Davy), a depuis été perfectionné par un arsenal fiscal, qui fait que tout film classé X se voit, de fait, impossible à programmer en salle, sauf à accepter d'y perdre de l'argent. Ce qui s'appelle un acte militant, lorsqu'il s'agit, par exemple, de programmer Baise Moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi.

On vient de m'envoyer là un lien sur un film qui a été ixé en octobre dernier. Ce n'a pas l'air d'être un nanar porno, on est plutôt dans le registre des images difficiles. Le genre ? Du Pink. Un genre très nippon, dont vous trouverez une brève histoire dans le lien que je vais pas tarder à vous filer.
Je ne l'ai pas vu, et pour cause, mais les trailers me plaisent suffisamment pour que je relaye le truc.
Le film s'appelle Quand l'embryon part braconner. C'est de Koji Wakamatsu, co-producteur de l'Empire des Sens. Distribué en France par Zootrope Films ( :coucou: gungi).

AffichedefEmbryon.gif


Et y'a un lien pour signer la pétition qui demande le déclassement du film. Ça permet pas souvent de faire changer l'avis de la commission de classement, mais ça a le mérite de faire connaitre le film, et donc d'espérer avoir des diffusions militantes.

C'était l'écrieur, en direct de son canapé.
À vous les studios. ;)
 
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Réactions: PATOCHMAN
Je ne savais pas qu'en allant voir le film de Virginie Despentes au cinoche, je participais a un acte militant ...

merci monsieur l'ecrieur.
 
et il ya un moyen au moins de les voirs en DVD en VO ss tit' ? sont en vente ?
 
Brrr ... j'en frémis. L'affiche à elle seule est très réussi en effet.
 
Je ne savais pas qu'en allant voir le film de Virginie Despentes au cinoche, je participais a un acte militant ...

merci monsieur l'ecrieur.

Si tu y es allée dès sa sortie, tu n'as pas forcément fait un acte militant, puisque le visa d'exploitation lui a été retiré quelques jours après sa sortie en salle. Certains exploitants l'ont donc tourné une semaine dans des conditions normales. Ensuite, ceux qui l'ont gardé à l'affiche l'ont fait en connaissance de cause.
Plus que le spectateur, c'est l'exploitant qui fait un acte militant en gardant à l'affiche un film interdit aux moins de 18 ans.

Un film interdit au moins de 18 ans voit son régime d'exploitation complètement modifié.
Il n'y a plus de subventions publiques. En revanche, la Taxe Spéciale Additionnelle (la redevance du CNC), passe de 10,52% du prix des places à 14%, si mes souvenirs sont bons ; la TVA est majorée à 33% ; et si à l'issue de ce régime drastique, l'exploitant fait du bénef, 20% des bénéfices sont encore prélevés.
Il n'y a donc très peu de chances d'équilibrer son résultat.

Dans le cas d'un film comme Baise-Moi, la publicité autour du phénomène a permis de totaliser 35 000 spectateurs. Une paille.

Pendant que j'y suis, comme Chang m'a envoyé un long message privé, je lui réponds ici. En substance, il me dit que Baise Moi était pas un bon film, et que donc l'intérêt de se battre pour lui était limité. Tu me dis si je te trahis, Chang. ;)

Fondamentalement, Baise Moi n'était pas vraiment un bon film. Il était plein d'amateurisme. Et le propos ? Le propos était pas si pire. C'était surtout un point de vue éminemment féminin sur la violence. En ça, c'est pas un propos de petits branleurs anarchistes, mais un manifeste de filles, venues du X, de la prostitution et de la violence ordinaire de la misère, sur leur condition.
Et en ça, y'avait dedans des scènes qui comptent dans l'histoire du cinéma. Celle du double viol, au début, par exemple.

Mais c'est pas pour ça qu'il fallait défendre Baise Moi. Il fallait le défendre parce que ce film avait le droit d'exister. Comme d'autres bouses. Pas plus, pas moins. Et que les critères sur lesquels se basent la commission des films sont tous sauf objectivés. En l'espèce, la commission avait parlé de violence gratuite, de laideur des images. Et surtout, y'avait des bi.tes ! Et ça, les bi.tes, c'est porno. Les chattes, ça va, les bi.tes, non. :D
Je pense que toute les filles qui se sont un jour fait violer seront d'accord pour dire que montrer une scène de viol, c'est gratuit... :rolleyes:

Pour l'avoir fait, je sais qu'on peut faire avec ce film des projections intéressantes, avec des débats fructueux. Ces objets doivent servir à ça.


Sinda, pour répondre à ta question : C'est un vieux film, il date de 66. Mais il n'est jamais sorti en France. Il y a une édition DVD en japonais, et une autre en anglais. Le classement X empêchera vraisemblablement sa sortie en DVD en France.
C'est un film super difficile (si t'as le courage, lis la notice de l'IMDB), mais aucun pays ne l'a stigmatisé comme la France le fait.
 
Mais c'est pas pour ça qu'il fallait défendre Baise Moi. Il fallait le défendre parce que ce film avait le droit d'exister. Comme d'autres bouses. Pas plus, pas moins.
Je comprends mieux ton point de vue et j'y adhere en fait ...

Maintenant est-ce que le classement -18 est si terrible ? Oui en effet comme tu le decris sur les consequences financieres, mais c'est aussi une facon de prevenir ceux qui vont aller le voir avec un mome. Alors oui la plupart des gens se renseignent avant d'aller voir un film, mais bon perso je suis alle plusieurs fois au hasard dans une salle de cine. Est ce que -18 c de trop ? Surement. A 16 ans, on en a souvent deja vu pas mal (les jeunes sur internet voient de tout avant 18 ans, faut pas croire).

Que le classement soit indicatif sur le contenu c'est pas une mauvaise chose. Le reste, ok avec toi.

Enfin, en France, le classement est bien moins penalisant qu'aux USA ou les pays anglo-saxons ou la c'est completement absurde.

Ca me rappel le film Irreversible, dans lequel on voyait une bi.te aussi, des seins et surtout une scene de viol de 9mn en pleine face, direct, camera immobile. Je ne me souviens pas si ce film a ete classe X ou pas, et je ne trouve pas la reponse via ma recherche rapide.

Et Tueurs Nes, ca n'avait pas ete classe -18 ? Ou alors c'etait chez les ricains ... ?


Edit : apres une nouvelle recherche, Irreversible etait interdit aux moins de 16 ans ... Tueurs Nes de meme.
 
Si tu y es allée dès sa sortie, tu n'as pas forcément fait un acte militant, puisque le visa d'exploitation lui a été retiré quelques jours après sa sortie en salle. Certains exploitants l'ont donc tourné une semaine dans des conditions normales. Ensuite, ceux qui l'ont gardé à l'affiche l'ont fait en connaissance de cause.
Plus que le spectateur, c'est l'exploitant qui fait un acte militant en gardant à l'affiche un film interdit aux moins de 18 ans. .

Je t'avoue que je ne sais plus, je rentrais de trois mois de voyage et ai suivis des potes sans connaitre le sujet du film !!!!! (oui faut le faire ...)

Du haut de mes 19 ans de l'epoque, je me rappelle pas avoir ete choquee mais j'etais plutot contente de voir enfin un film qui parlait reellement de sex.e, extremement violent peut etre mais different. Ce qui m'a marque c'est que contrairement a toute la culture erotico porno (que je connais que du bout de ma tv, je savais meme pas qu'internet existait en 1999) on voyait des filles ne pas prendre leurs pieds. Et ca c'etait revolutionnaire pour moi ... ;)
 
on voyait des filles ne pas prendre leurs pieds.

Il faut bien évidemment lire : "ne pas prendre leur pied". l'auteure du post précédent n'évoquant ici en aucune manière un problème de souplesse, mais l'orgasme féminin (hautement réprouvé par la morale car sale, contrairement à l'orgasme masculin qui est lui pur, beau et élévateur).


Et ca c'etait revolutionnaire pour moi ... ;)

On se sent mieux lorsqu'on découvre qu'on n'est pas seule ?! :D ;) :rateau:

Pour revenir au sujet, j'avoue avoir été assez mitigé sur le film de Despentes. D'un côté il est exact qu'il présente certains aspects "féminins" peu traités au cinéma, de l'autre je trouve le traitement un peu facile et les acteurs mauvais (voir très mauvais). On trouve dans d'autres films un peu moins racoleurs (le mot est ici choisi volontairement) des sujets assez proches, mais qui demandent un peu plus de reflexion de la part du spectateur. Ceci étant, c'est probablement un choix (du moins, je l'espère) d'avoir voulu livrer brut de décoffrage.
Mais présenter "Baise moi" comme un film militant, non, définitivement non. :)
 
J'ai présenté Baise-Moi comme un film militant ?
Non, je crois pas, j'ai dit qu'à partir du moment où il avait été ixé, le montrer dans les salles obscures, c'était un acte militant.
Mais puisqu'on y est, allons-y.
Baise-moi, c'est le versant trash, nihiliste, dépressif et révolté de la propagande du sexuellement permissif, et de l'omniprésence des tendances érotiques dans la publicité et l'audiovisuel.
Mais ce n'est pas militant pour autant.
Pourtant, il y a dans le film des éléments qui sont des éléments de discours. Notamment de la part des actrices, qui sont assez mauvaises, certes, mais qui ont pour particularité de venir du porno.
Raphaella Anderson (Manu, la petite) a décrit son expérience de hardeuse, dans Hard, une bio de jeunesse. On y lit bien le dégout de cette fille pour un milieu qui ne respecte absolument pas les actrices. Sa comparse du film, Karen Bach, disait, dans une interview à la sortie du film, ce qu'il représentait pour elles deux :
« Pourquoi les femmes se prennent des mains au cul et pas les hommes ? Tout ce qu'on leur demande, c'est la compréhension, l'égalité. Le porno, c'est des mecs qui jouissent sur la gueule des filles, la femme qui en prend plein la tronche. Baise-moi, c'est le contraire. »
Chez les deux actrices, il y avait vraiment cette idée que le cul pouvait être montré avec des yeux de femmes. Et elles ont mis dans le film une partie du dégout que leur inspirait le milieu du porno, et du dégout d'elles-mêmes. Et c'est pour ça qu'elles avaient été choisies par Trinh Thi, l'ancienne star du X passée derrière la caméra. C'est sûr qu'on est pas habitué à ce genre de messages féministes, de la part de filles qui ont été des objets sexuels.
 
J'ai présenté Baise-Moi comme un film militant ?

Ai-je dit ca ? ;) Je répondais à Odré (comme tu l'as fait avec pertinence qqs posts plus haut)

Je ne savais pas qu'en allant voir le film de Virginie Despentes au cinoche, je participais a un acte militant ...

Sinon :

C'est sûr qu'on est pas habitué à ce genre de messages féministes, de la part de filles qui ont été des objets sexuels.

Il y aurait beaucoup à dire là dessus, beaucoup trop pour engager une discussion par posts...
Mais je n'aurais pas présenté ca comme un message "féministe", perso. :)
 
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Réactions: l'écrieur
Ai-je dit ca ? ;) Je répondais à Odré (comme tu l'as fait avec pertinence qqs posts plus haut)

Comme quoi, elle nous fait causer, l'autruche américaine. :D

Il y aurait beaucoup à dire là dessus, beaucoup trop pour engager une discussion par posts...
Mais je n'aurais pas présenté ca comme un message "féministe", perso. :)
Moi non plus. En tout cas, pas "que". Y'avait aussi aussi beaucoup de dépressif, dans le message. D'ailleurs, elle s'est suicidée, Karen Bach. Je sais pas pourquoi, donc j'en dis pas plus, mais ça avait du la secouer, ces années de hard...




Bon, sinon, vous pouvez toujours signer la pétition pour le film du grand Wakamatsu, hein !
 
Je viens a l'instant de revoir Baise Moi, juste histoire de me remettre dans le sujet (pour une fois qu'on a un bon sujet de discut' au bar).

Juste sur la classification X, il faut quand meme dire qu'il y a des scenes franchement pornographiques. Une penetration, une fellation etc ... Oui ce n'est pas un film qu'avec ca mais de ce cote je peux comprendre la classification.

Je ne dis pas que ce qui decoule de la classification X d'un point de vue financier est juste, au contraire, tout genre de cinema ayant le droit d'exister et d'etre montre, exprime, debatu et c'est il me semble le propos du Crieur ... dis moi si je me trompe.

Les acteurs/trices sont tres, trop amateurs quand meme ... c'est dommage, ca gache un peu. L'histoire est un sacre poing dans la face du machisme sans pour autant avoir aucune pesee dans le feminisme, a mon avis.

Ca m'a rappele The Doom Generation (lien en anglais) sans en atteindre sa portee sur une jeunesse paumee, sans repere. La ou ils se rejoignent c'est dans la sincerite des rapports sexuels, comme un dernier refuge a la violence environnante.

En gros voila, je suis pas tres doue avec les mots pour exprimer ce que je pense finalement.
 
Heu ... Je ne sais pas si le film est un acte militant ...
Je parlais seulement de mon appreciation du film ...

Cependant, j'aurais bien aime a l'epoque avoir un debat apres le film, histoire d'aller au bout de ma reflexion. Il arrive 9 ans plus tard, fallait juste etre patiente :D



 
Depuis quelques temps, je m'interroge sur ce qui pousse un État, c'est à dire l'ensemble des institutions dont une société se dote pour se prévenir d'elle même et des autres, à censurer une parole, et notamment une parole artistique (mais pas que).

Pour en revenir à la question de départ, il me semble légitime que l'Etat, en particulier dans une mission de protection de la jeunesse, établisse une censure si cette censure a pour simple but de signaler à l'attention du public adulte la nature particulière de certaines oeuvres, et d'en restreindre l'accès pour un public mineur intellectuellement immature. Cela me parait même un corollaire nécessaire à la liberté d'expression ou de création qui doit être totale.

De même, il est du rôle de l'État de lutter contre le révisionisme historique ou l'apologie de crimes, ici encore en obligeant à une information du public : par exemple, Mein Kampf peut être publié légalement en France, mais toute édition doit contenir une préface détaillée rappelant l'histoire et les conséquences de la folie nazie.

Ce qui est par contre criticable à mon avis, c'est quand la censure s'accompagne, comme dans le cas du classement X, d'une pénalisation financière ou autre, qui revient pour l'Etat à choisir et exclure a priori.
 
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Réactions: l'écrieur
Plus que la censure, ce qui me fait peur, personnellement, ce serait plutôt l'autocensure, beaucoup plus pernicieuse.
Je me souviens que pendant la dernière présidentielle, ou au début de son mandat, je ne sais plus, le président Sarkozy avait confié qu'il était hostile à toute forme de censure... Certes, c'est le cas de la majorité des gens... Mais combien d'artistes, écrivains, journalistes pratiquent l'autocensure au quotidien ?
Les autorités ( ou du moins ceux dont le pouvoir coercitif pourrait mettre en place la censure ) n'ont pas besoin de lever le petit doigt dans un système où la frilosité ambiante fait que le risque de voir son audience, sa popularité ou ses subventions chuter fait que beaucoup attachent eux même le baillon autour de leur visage ( pour ne pas dire la corde autour de leur cou.. ).
Comme le disait l'Ecrieur, ils étaient nombreux, les chanteurs, les comiques qui osaient attaquer de façon virulente la société, les politiques, l'économie... Où sont ils ? Ils sont morts, ou rentrés dans le rang ( Renaud en est un des exemples flagrants ).

Alors il reste parfois quelques espaces où le débat se fait sans concession... Par exemple, le film "Quand l'embryon part braconner" est passé il y a trois semaines à l'Absurde Séance" du Cinéma le Katorza à Nantes ( http://www.absurdeseance.fr pour plus d'infos ), suivi d'un débat sur la censure. Je n'ai, hélas pas pu assister à la projection, mais c'est une excellente initiative, je trouve.
 
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Réactions: l'écrieur