Je regarde ce fil régulièrement mais sans y participer et je lis les débats récurrents sur le sujet et les commentaires.
J'y viens dans l'espoir qu'une image m'émeuve. Et c'est comme tout, quand on prend de l'âge et qu'on a essayé de se forger un goût, l'émotion est rare. Mais sa possibilité est toujours ouverte.
Peut-être que ce message sera supprimé, et dans un sens je puis le comprendre puisqu'il s'agit ici d'un fil pour poster des images. Point.
Les débats sur le sens du fil sont récurrents. Et s'ils tournent en rond c'est parce que je crois qu'il suffirait de faire un pas de côté pour s'apercevoir qu'ils sont le fruit d'une distorsion. En clair : les attentes esthétiques de ces images appartiennent à un autre temps. La photo numérique n'est plus de ce temps qu'elle a rendu obsolète. A partir de là le malentendu est inévitable.
La photo argentique a été une révolution technique de la fin du XIXème siècle. La photo numérique a été une autre révolution technique de la fin du XXème siècle. Comme toujours les révolutions techniques dans le cadre d'une technique de représentation entraînent une révolution esthétique.
L'argentique supposait encore une durée intermédiaire entre la prise de vue et le développement et on attendait fébrilement le résultat. Tout cela est fini, obsolète. Avec le numérique on est dans le temps réel. On peut voir immédiatement l'image sur l'écran de l'appareil et la diffuser dans la seconde qui suit sur la planète entière grâce au web.
De plus l'appareil photo n'est plus un instrument spécifique puisqu'on en trouve sur tous les téléphones portables et peut-être demain combiné à d'autres objets du quotidien.
Le numérique c'est l'amplification de l'image photographique, sa victoire, son succès total. Libéré des contraintes de la chimie, elle est devenue véritablement instantanée. Et nous sommes peut-être tous devenus photographes, à des degrés divers. Un exemple qui m'a marqué ce sont ces soldats américains tout juste sortis de l'adolescence, sans compétence technique ni regard particuliers, qui avec un simple téléphone portable disposant d'un appareil photo numérique rudimentaire et une connexion internet, ont appris au monde entier les sévices de leur armée dans la prison d'Abou-Graïb en Irak. Ce jour-là, la figure du Grand Témoin reporter-photographe est tombée à jamais de son piédestal.
Nous sommes saturés d'images. Saturés de photos. Mais aussi de vidéos, de musiques, d'informations. Ce flux numérique d'images, de son, de données, c'est celui du réseau internet qui ne s'arrête jamais.
Avec l'appareil photo numérique on atteint rapidement un nombre astronomique de photos, alors même que du temps du numérique on faisait 3 rouleaux par an maxi. On crée son propre flux, qui peut venir alimenter le grand flux général du web. Un torrent de torrents.
L'image numérique diffusée par le web est devenue une image démultipliée et démultipliable, un flux photographique s'écoulant en temps réel. Et comme l'avait prédit un penseur il y a presque trente ans, le temps réel est dictatorial. Il nous impose sa terrible cadence. Va-t-on y survivre ?
"Postez vos plus belles photos" ça suppose quoi en fait ? Cela suppose de faire une coupe dans le flux. A un moment donné d'arrêter. De le figer dans le défilement de la multitude et d'y choisir quelque chose d'unique, au moins pour 24 heures. Dans l'ère du temps réel, 24 heures c'est déjà l'éternité... Vous croyez que c'est facile à faire alors que tous, sans le savoir, nous sommes emportés par le courant torrentiel numérique ?
Quand je vais sur Flick'r parfois, j'ai le vertige. Il y a tant et tant et tant d'images, et de regards intéressants, et de talents dans le monde entier. L'offre est devenue plus que pléthorique et ce n'est pas un hasard si vivre de la photographie est devenu de plus en plus difficile. La demande est submergée.
Alors pour en finir, "Postez vos plus belles photos ?" , quel sens lui donner ?
Ce que je constate c'est que les attentes esthétiques sont en réalité pour beaucoup d'autres temps, d'autres formes esthétiques.
- Certains attendent la "belle image", unique, l'image de genre (paysage, portrait, nature morte...) réalisée avec une technique irréprochable. Bref ce n'est pas une photo numérique qui est attendue en définitive mais une peinture du XVIIIème siècle.
- D'autres revendiquent le sujet ou l'originalité, voire le truc provoc. C'est l'esthétique du choc un peu comme celle de Dada ou des surréalistes des années 30...
- Et encore d'autres veulent le témoignage, l'image vivante, dynamique, qui raconte et étonne : celle du magazine américain Life des années 50 que tenta d'imiter Paris Match. Mais plus personne n'achète de magazine pour y regarder des photos. La presse écrite se meurt. Aujourd'hui si on veut voir des images on va devant son ordi connecté au web.
C'est à mon humble avis cela la récurrence du débat sur ce fil. La distorsion entre un moyen technologique dont la vitesse nous dépasse et des attentes esthétiques devenues inadaptées à la façon dont on réalise et diffuse des photos aujourd'hui. Et on le sait bien : les mentalités, les goûts, les systèmes de références évoluent beaucoup plus lentement que la technologie.
Si Yvos trouve tout cela trop long ou déplacé ici, qu'il supprime.