Un petit texte, hors concours.
Cri mais châtiment
Jaillissant des fourrés, il déboula dans la clairière et se mit à la ratisser de manière frénétique : il devait à tout prix trouver une plante émétique. Des images défilaient dans sa tête, brouillant sa vue, des crampes abdominales le faisaient souffrir.
Il n’aurait pas dû manger ce pavé, ou au moins, il aurait dû le manger moins vite, et il aurait peut-être pu voir quelque marbrure bleuâtre, ou sentir quelque relent délétère qui aurait pu le prévenir du contenu létal de cet aliment, mais, tout à la joie d’avoir pu une nouvelle fois larciner son prochain, il s’était ensuite abandonné à sa goinfrerie naturelle et avait avalé son butin en trois bouchées rapides. Comment cette nourriture aurait-elle pu être frelatée ?
Ses muscles commencèrent à le trahir, il se laissa tomber à plat ventre et regarda anxieusement les plantes autour de lui : le tapis de luzerne sur lequel il était affalé était juste ponctué de quelques plants d’astragale et de touffes de graminées. Décidément, la saison ne lui était pas favorable, trop tard pour le muguet et la digitale, trop tôt pour les baies de houx et de gui, aucune autre plante susceptible de le soulager.
La douleur lui sembla toutefois s’être atténuée ; il se sentit même un peu mieux, couché sur ce moelleux lit végétal, et il y posa sa tête, environné de senteurs exquises d’humus et de fraises des bois. Il décida de se reposer quelques instants, le temps de se remettre, et ferma les yeux en repensant à son adversaire de toujours, qu’il avait orgueilleusement vaincu, années après années, par de multiples tours pendables. Apaisé, il n’eut bientôt plus conscience de ce qui l’entourait, et ne vit donc pas son ennemi qui l’observait depuis la futaie.
Ce dernier regarda longuement sa victime de ses yeux noirs et perçants, contemplant avidement les spasmes causés par la ciguë dont il avait copieusement farci son fromage. Quand il vit une dernière onde se propager comme une encyclie sur la fourrure rousse du renard gisant, il sût que c’en était terminé de ce vil scélérat ; le corbeau se retourna et s’envola, non sans crier de nouveau : Nevermore !