<blockquote><font class="small">Posté à l'origine par Finn_Atlas:</font><hr />
oui, effectivement LucG y a fait allusion vaguement mais aucun post dign de ce nom n'a été rédigé en sa mémoire ici-bas
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Des posts, peut-être pas, mais la presse et les médias en ont beaucoup parlé...
Un article dans Le Monde.fr : <font color="blue">
Maurice Pialat, cinéaste d'amour et de colère
Le réalisateur est mort samedi 11 janvier à Paris, à l'âge de 77 ans. De "L'Enfance nue" au "Garçu", en passant par "A nos amours" ou "Van Gogh", son uvre, jalonnée de projets inaboutis, constitue l'un des ensembles majeurs du cinéma moderne et aura marqué des générations de cinéastes.
Maurice Pialat est mort samedi 11 janvier à Paris, des suites d'une insuffisance rénale. Il était âgé de 77 ans. Il était né le 31 août 1925, dans le bourg de Cunhlat (Puy-de-Dôme). Quelle importance, ces méticulosités d'état civil, pour évoquer l'incandescence et les embardées de ses images ? L'uvre de Maurice Pialat constitue l'un des événements majeurs du cinéma moderne. La manière de faire de l'auteur de L'Enfance nue et Passe ton bac d'abord a marqué durablement des générations de réalisateurs, Loulou, A nos amours, Sous le soleil de Satan, Van Gogh font partie des événements artistiques du dernier quart du XXe siècle.
Le lieu et la date importent beaucoup. Fils d'un marchand de bois, vin et charbon ruiné, son enfance sera entre banlieue parisienne et village natal, pauvreté âpre au gain et conflits de famille. Il y a la réalité, pas rose, et les images qui s'en réfracteront ensuite, dans l'uvre : le père buveur et coureur, la mère accrochée à son homme au détriment du fils, la honte de la faillite... Le futur auteur d'un chef-d'uvre méconnu intitulé La Maison des bois, un des plus grands films consacrés à l'enfance jamais réalisé, aura grandi avec toujours un toit, mais sans "maison", au sens fort du terme. "Mauvais sujet", comme on dit, le jeune Maurice a une vocation, ferme et claire : il veut devenir peintre. Il sera cinéaste. C'est là qu'il faut prêter attention à la date de naissance.
A la fin des années 1950, il arrive au cinéma français l'événement peut-être le plus important de son histoire : la nouvelle vague. Tout alors, et plus encore rétrospectivement, prouve que Pialat aurait dû en être un des protagonistes. Il ne le sera pas. En 1959, quand sortent Les 400 Coups et Hiroshima, mon amour, il a pourtant déjà réalisé, en amateur, cinq courts métrages en 16 mm (Isabelle aux Dombes, Riviera di Brenta, Congrès eucharistique diocésain, Drôles de bobines, L'Ombre familière). Les deux suivants - un extraordinaire document autobiographique intitulé L'amour existe (1960) et Janine (1962), une admirable variation sentimentale et ironique - le situent en parfait synchronisme, dans le temps et dans l'esprit, avec le travail de cinéastes comme Chris Marker, Claude Chabrol, Agnès Varda ou Jacques Rozier. Mais il devra attendre 1969 pour réaliser son premier long métrage.
Le provincial atrabilaire, qui avait tant de motifs, déjà, de se sentir à l'écart, est marginalisé. Il en conçoit un ressentiment qui ne fera qu'aggraver sa difficulté de rapport aux autres, et sa propension à dire du mal de tout le monde. Jusqu'à cette image qui lui collera ensuite à la peau, poing levé en recevant la Palme d'or à Cannes pour Sous le soleil de Satan.
Râleur, colérique, prompt à afficher les points de vue les plus déplaisants, capable de maltraiter ses proches, ses amis, les femmes qu'il aime... Maurice Pialat fut tout cela : un "emmerdeur monstrueux" (le mot est attribué au producteur Pierre Braunberger) ; mais aussi un homme d'une exigence extrême envers lui-même, généreux, séduisant, et surtout animé de pulsions autodestructrices dont il fut plus victime que quiconque. Malheureux, compliqué, violent ? Et alors ? Alors son uvre s'en ressentira. Il a débuté tard, et peu tourné : dix longs métrages en vingt-cinq ans, auxquels s'ajoute La Maison des bois.
A défaut de pouvoir passer au cinéma, Pialat a réalisé, au cours des années 1960, des petits films pour la télévision. Les sept épisodes de La Maison des bois, le feuilleton que diffuse Antenne 2 en 1971, représentent sans doute l'un des très rares moments où la télévision a montré ce qu'elle aurait pu être.
Car si le talent de cinéaste - narrateur, directeur d'acteurs, organisateur du temps et de l'espace, compositeur d'images et de sons - de Pialat y est pleinement mobilisé, ce qu'il fait n'est pas un film de cinéma. Durée, multiplicité des personnages, découpage du récit : ce n'était jamais arrivé à la télévision, cela n'arrivera plus. Et La Maison des bois deviendra ensuite invisible.
Auparavant, Maurice Pialat avait donc signé son premier long métrage, L'Enfance nue (1968). Film à nul autre comparable, nullement autobiographique mais totalement travaillé par les affects et les souvenirs de son auteur, fiction aux apparences documentaires, récit linéaire qui semble un ravaudage de lambeaux de vie captés sur le vif. L'histoire de François, le gamin de l'Assistance publique et de ses placements successifs dans des familles d'accueil entre Lens et Hénin-Liétard. Pas d'acteurs professionnels, tournage en décors naturels, exactitude des lieux, des gestes et des mots, présence de la mémoire historique et de l'intensité affective des relations, montage à l'instinct, à l'estomac, refus radical du romanesque, de la psychologie, de la sociologie, du pathos : le film est un météorite, qui sidère ceux qui le voient.
Avec Nous ne vieillirons pas ensemble (1972), Maurice Pialat semble changer de méthode : sujet psychologico-sentimental classique (la crise d'un couple) et comédiens vedettes (Marlène Jobert et Jean Yanne). Le résultat de cette uvre autobiographique est une explosion de toutes les règles qui président d'ordinaire à ce genre de cinéma. Pour la première fois aussi, un film de Pialat est un (relatif) succès public.
Il crée sa propre maison de production et met en chantier un des films les plus osés de toute l'histoire du cinéma, La Gueule ouverte (1974), vertigineuse plongée dans les abîmes qu'ouvre chez un homme le spectacle de la mort de sa mère. Avec Passe ton bac d'abord (1978) et Loulou (1980), deuxième volet de la veine autobiographique interprétée par des vedettes (Gérard Depardieu et Isabelle Huppert), l'ambition, l'exigence et l'originalité des choix de mise en scène ne font que s'étendre.
Au sein de la galaxie du cinéma français, l'uvre de Maurice Pialat est devenue une planète majeure et singulière. La conception expérimentale et polyphonique de Passe ton bac d'abord, sans doute le film qui perçoit le mieux le tournant des années 1970-1980, les souffrances et les fulgurances de Loulou, feraient de ces deux films enchaînés l'un sur l'autre un sommet de l'histoire du cinéma. Ce sont des marches vers le jaillissement inégalé d'A nos amours (1983).
Le film est inspiré de la vie de celle qui fut à la fois l'une des femmes de son intense vie affective et sa plus féconde partenaire de travail, Arlette Langmann, la sur de Claude Berri. On y découvre deux nouvelles armes secrètes : l'absolue révélation d'une toute jeune femme dont il fait d'emblée une actrice de première magnitude, Sandrine Bonnaire, et... Pialat lui-même.
Qui l'avait vu chez Rouch, Chabrol ou Eustache, ou en instituteur dans La Maison des bois, le savait très bon acteur. Là, c'est autre chose. En deux scènes d'anthologie, face à Sandrine Bonnaire et faisant irruption dans un dîner de famille où les comédiens pas plus que les personnages ne l'attendaient (son personnage est censé être mort), il embarque son film au-delà de ce qu'il "raconte"; il invente une zone d'intimité entre l'homme, le cinéaste, l'uvre, l'histoire, le tournage, la machine cinématographique, le spectateur... Inouï.
A nos amours est un miracle, qui engendre un autre miracle : un véritable triomphe public, une consécration aux Césars, pour un film qui ressemble totalement au cinéaste, et à ses ambitions. Avec le soutien de grandes puissances du cinéma français, le producteur Daniel Toscan du Plantier (alors chez Gaumont) et Gérard Depardieu, Pialat a cette fois les mains libres. Outre Depardieu et Bonnaire, il fait appel à deux vedettes montantes d'alors, Richard Anconina et surtout Sophie Marceau, pour son projet le plus étrange, le plus théorique : Police (1985) est un magnifique malentendu, machine de mise en crise du spectacle et méditation sur ce qui relie et sépare les humains.
Ensuite, Pialat change de registre. Lui, le cinéaste du réel, le pyrotechnicien des passions, le mécréant aussi, décide d'adapter Sous le soleil de Satan (1987), de Bernanos. Rien à voir avec la manière dont Bresson aura porté le même écrivain à l'écran, sauf l'essentiel : le cinéma. Et Satan, c'est du sacré cinéma !
Présent, charnel, ouvert sur l'infini, Depardieu se dépasse. Bonnaire est magnifique. Et c'est la Palme d'or, la première d'un film français depuis plus de vingt ans, qu'entachent quelques jappements au moment de la clôture et Pialat qui dit aux siffleurs : "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je vous ne aime pas non plus."
Dans le monde entier, on rencontre un nombre élevé de personnes pour lesquelles Van Gogh (1991) est un des plus beaux films jamais réalisés. C'est un chef-d'uvre incernable porté comme en un rêve par Jacques Dutronc.
C'est (presque) fini. Pialat voudrait continuer. Toute sa vie aura débordé de projets inaboutis, sabordés par lui-même, ou par des "principes de réalité" contre lesquels il se bat comme un chien. Comme Godard, Rozier ou Straub, il ne peut presque plus travailler. Mais il reste hanté par ses démons personnels, auquel s'est ajoutée une manière d'ange : en janvier 1991, sa femme, Sylvie, et lui ont un fils : Antoine.
Pour et par lui, Pialat compose le très douloureux retour sur ce que fut la mort de son propre père, qu'on appelait "le Garçu" - ce sera le titre de ce film, en 1995 -, l'enfant et le vieillard faisant pendant à l'autoportrait du cinéaste en Depardieu.
Cette fois, il n'ira pas plus loin. Malgré toutes les dénégations, le désir était encore là, on a parlé de Céline, de Houellebecq, des surs Papin, on a reparlé de Henry James, de la guerre d'Indochine, de l'Occupation. La maladie en décide autrement, les dialyses épuisent et enferment. Et puis un jour c'est terminé, la gueule ouverte. Sans fleurs ni couronnes, mais il restera les films : Gaumont annonce une intégrale en DVD.
Jean-Michel Frodon
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