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Invité
Lomé - TOGO
14 Mars 1997 - 05:00 TU
"Dieu existe, je l'ai rencontré"
Il fait chaud, de toutes façons il fait chaud. Mais ce n'est pas tant la chaleur qui insupporte mais bien le taux d'humidité : il fait humide, de toutes façons il fait humide.
Depuis hier mes affaires étendues sur le fil du patio ne sèchent pas, sécheront-elles un jour ? Je ne sais pas et je n'ai plus le temps d'y réflechir. Ce matin je dois quitter Lomé et le Togo pour rejoindre Ouagadougou, le fespaco commence dans une semaine et je ne veux pas le rater.
Je décroche les affaires et les enfile à toute vitesse. Je me suis levé tard et Ablaye m'attend dehors. C'est lui qui doit me montrer la gare routière d'où partent les mini-bus pour le Burkina-Faso. On s'engouffre dans un taxi-clando direction le nord de la capitale. Il faut traverser toute la ville mais déjà il me semble que nous n'arriverons pas à temps, la route est barrée tout les kilomètres par la police et les militaires, on contrôle, on recontrôle, on vérifie, on revérifie. Je ne range plus mon passeport, je le garde en main :
_"Bonjour monsieur, passeport s'il vous plait"
Je tend le sésame avec un large sourire, c'est pourtant la cinquième fois qu'on me le demande et je n'ai quitté ma chambre que depuis dix minutes.
L'homme en uniforme parcours les pages, referme le passeport et demande :
_"Vous êtes français ?"
_"Oui monsieur"
Il rouvre le passeport comme pour vérifier mes dires et lance :
_"C'est bon allez-y... bon séjour monsieur"
Le taxi redémarre.
Enfin nous arrivons à la gare routière, je paye le chauffeur, descend mes bagages et remercie Ablaye pour le coup de main.
Je me dirige vers ce qui ressemble le plus à un guichet et questionne la femme qui s'y trouve :
_"Bonjour madame je cherche un bus pour Ouagadougou, il y a encore des départs ?"
_"ça reste, c'est 7000 F CFA et le bus part dans 1 heure"
Je prends mon ticket et m'approche du bus que la guichetière m'a indiqué.
Je suis à Lomé, au Togo, en Afrique... Le bus ne partira que le soir, il faut que toutes les places soient vendues, les bus ne partent que plein, peu importe l'heure de départ initialement prévu. Il faut prendre son mal en patience, mais dans une gare routière africaine il y a de la vie, il y a beaucoup de monde, des vendeurs de tout, des vendeurs de rien, des badauds, des passagers en mal de bus, des bus en mal de passagers...
La journée, finalement, passera vite. Je monte le premier dans le Nissan et regarde s'engoufrer les autres candidats au voyage : un vieux monsieur avec une petite fille et une chèvre, deux jeunes de mon age avec des ballots de mil, trois femmes en boubous d'apparat et surtout, surtout, une troupe de théatre ambulant qui vient du Congo, ils sont en tournée triomphale, pas seulement en tournée ! en tournée triomphale ! Ils entament dès leur montée dans le bus des chants venus d'ailleurs, les femmes accordent leurs voix, les hommes désacordent leur tambours; je sens que la route jusqu'à Ouaga va être animée et je m'en réjouis, je connais trop les pistes de tôles ondulées avec leurs nids de poule, avec leurs barrages policiers. Et que dire de la chaleur... assomante, et de l'humidité... dégoutante.
Le vieux Nissan s'ébranle : c'est parti !
La fatigue accumulée au cours de la journée par tout les passagers se fait ressentir et au bout de quelques kilomètres de route pratiquement tout le monde s'est assoupi, je prie pour que le chauffeur, lui, ne fasse pas de même.
Alors que nous sommes bien avancé dans la nuit (pas tellement en kilomètre, il me parait évident maintenant que le vieil engin qui m'amène ne dépassera jamais les soixante kilomètre-heure) un terrible fracas réveille les passagers alors profondément endormis, quelques cris, quelques prières rapidement exécutées et le bus s'arrête enfin. Que s'est-il passé ? Le chauffeur ne dit rien, il descend et invite les passagers à faire de même. Personne ne bouge. Je prends l'initiative de sortir pour aller aux nouvelles, en passant devant le directeur de la troupe de théatre celui-ci m'interpelle :
_"Dites monsieur, je voudrai vous poser une question, je peux ?"
_"Oui bien sûr, allez-y"
_"croyez vous qu'il y ai des lions dans cette région ?"
Je manque d'éclater de rire mais me je me retiens. L'homme est grave, sa question sérieuse. Le reste de l'assistance se retourne vers moi semblant attendre le verdict.
_"Non, non il n'y a pas de lion ici"
Je rajoute en balbutiant :
_"Enfin je crois"
La question me trouble tout à coup, y aurait-il des lions ?
Pourtant ma réponse rassure, et les passagers un à un descende...
_"Il faudrait faire du feu !"
_"Oui il faut faire du feu, les animaux ont peur du feu !"
Tout le monde reste près de la porte du Nissan, au cas où... Une des congolaise s'approche de moi et me répète comme pour m'ordonner :
_"Il faudrait faire du feu !"
Je comprends le signe et m'enfonce quelque peu dans la brousse à la recherche de bois mort. Je reviens les bras chargés de brindilles et branches diverses et balance le tout au pied de l'assistance qui m'applaudit chaleureusement. Je dois dire qu'à ce moment là je suis assez fier de moi et de la confiance qu'il me porte. Je suis Indiana Jones, je suis le Dr Livingston, je suis Heinrich Bart, je suis un aventurier au secours de passagers perdus dans la terrible brousse togolaise !
Le feu crépite maintenant, les femmes se sont remises à chanter comme pour se donner du courage. La nuit va âtre longue, le chauffeur vient d'annoncer que l'essieu arrière s'est brisé en deux. Il doit retourner à Lomé pour trouver un autre bus !
Autour du feu la vie. Une des femmes en boubous de gala étend une natte, sors quelques marchandiseset offre un frugal repas à tout le monde.
En me donnant ma part (deux ou trois dattes et un petit pot de lait caillé) elle pose maternellement sa main sur ma nuque et me chuchotte à l'oreille :
_"Dieu est grand ! mais le blanc n'est pas petit..."
Je souris largement, la femme esquisse un sourire aussi, je comprends ce qu'elle a voulu me dire, simplement merci, merci pour le feu.
Le directeur de la troupe de théatre s'approche de cette même femme, il doit avoir quarante ans au moins. Pourtant il s'étend de tout son long sur la natte et pose sa tête sur les cuisses de la maman, il a peur, je ne crois pas que le feu soit suffisant pour le rassurer, il a besoin d'une maman et il l'a trouvé. La femme lui caresse doucement les cheveux et lui répète presque indéfiniment :
_"Allah choukourou... Allah choukourou... Allah choukourou..."
Je ne connais pas cette expression mais un étudiant présent parmi les passagers me fait savoir que ça signifie Dieu te viendra en aide.
La nuit se finit comme ça et au petit matin le chauffeur revient au volant d'un autre bus, on transfère les bagages d'un toit à l'autre et tout ce petit monde reprend le chemin de Ouaga.
...
14 Mars 1997 - 05:00 TU
"Dieu existe, je l'ai rencontré"
Il fait chaud, de toutes façons il fait chaud. Mais ce n'est pas tant la chaleur qui insupporte mais bien le taux d'humidité : il fait humide, de toutes façons il fait humide.
Depuis hier mes affaires étendues sur le fil du patio ne sèchent pas, sécheront-elles un jour ? Je ne sais pas et je n'ai plus le temps d'y réflechir. Ce matin je dois quitter Lomé et le Togo pour rejoindre Ouagadougou, le fespaco commence dans une semaine et je ne veux pas le rater.
Je décroche les affaires et les enfile à toute vitesse. Je me suis levé tard et Ablaye m'attend dehors. C'est lui qui doit me montrer la gare routière d'où partent les mini-bus pour le Burkina-Faso. On s'engouffre dans un taxi-clando direction le nord de la capitale. Il faut traverser toute la ville mais déjà il me semble que nous n'arriverons pas à temps, la route est barrée tout les kilomètres par la police et les militaires, on contrôle, on recontrôle, on vérifie, on revérifie. Je ne range plus mon passeport, je le garde en main :
_"Bonjour monsieur, passeport s'il vous plait"
Je tend le sésame avec un large sourire, c'est pourtant la cinquième fois qu'on me le demande et je n'ai quitté ma chambre que depuis dix minutes.
L'homme en uniforme parcours les pages, referme le passeport et demande :
_"Vous êtes français ?"
_"Oui monsieur"
Il rouvre le passeport comme pour vérifier mes dires et lance :
_"C'est bon allez-y... bon séjour monsieur"
Le taxi redémarre.
Enfin nous arrivons à la gare routière, je paye le chauffeur, descend mes bagages et remercie Ablaye pour le coup de main.
Je me dirige vers ce qui ressemble le plus à un guichet et questionne la femme qui s'y trouve :
_"Bonjour madame je cherche un bus pour Ouagadougou, il y a encore des départs ?"
_"ça reste, c'est 7000 F CFA et le bus part dans 1 heure"
Je prends mon ticket et m'approche du bus que la guichetière m'a indiqué.
Je suis à Lomé, au Togo, en Afrique... Le bus ne partira que le soir, il faut que toutes les places soient vendues, les bus ne partent que plein, peu importe l'heure de départ initialement prévu. Il faut prendre son mal en patience, mais dans une gare routière africaine il y a de la vie, il y a beaucoup de monde, des vendeurs de tout, des vendeurs de rien, des badauds, des passagers en mal de bus, des bus en mal de passagers...
La journée, finalement, passera vite. Je monte le premier dans le Nissan et regarde s'engoufrer les autres candidats au voyage : un vieux monsieur avec une petite fille et une chèvre, deux jeunes de mon age avec des ballots de mil, trois femmes en boubous d'apparat et surtout, surtout, une troupe de théatre ambulant qui vient du Congo, ils sont en tournée triomphale, pas seulement en tournée ! en tournée triomphale ! Ils entament dès leur montée dans le bus des chants venus d'ailleurs, les femmes accordent leurs voix, les hommes désacordent leur tambours; je sens que la route jusqu'à Ouaga va être animée et je m'en réjouis, je connais trop les pistes de tôles ondulées avec leurs nids de poule, avec leurs barrages policiers. Et que dire de la chaleur... assomante, et de l'humidité... dégoutante.
Le vieux Nissan s'ébranle : c'est parti !
La fatigue accumulée au cours de la journée par tout les passagers se fait ressentir et au bout de quelques kilomètres de route pratiquement tout le monde s'est assoupi, je prie pour que le chauffeur, lui, ne fasse pas de même.
Alors que nous sommes bien avancé dans la nuit (pas tellement en kilomètre, il me parait évident maintenant que le vieil engin qui m'amène ne dépassera jamais les soixante kilomètre-heure) un terrible fracas réveille les passagers alors profondément endormis, quelques cris, quelques prières rapidement exécutées et le bus s'arrête enfin. Que s'est-il passé ? Le chauffeur ne dit rien, il descend et invite les passagers à faire de même. Personne ne bouge. Je prends l'initiative de sortir pour aller aux nouvelles, en passant devant le directeur de la troupe de théatre celui-ci m'interpelle :
_"Dites monsieur, je voudrai vous poser une question, je peux ?"
_"Oui bien sûr, allez-y"
_"croyez vous qu'il y ai des lions dans cette région ?"
Je manque d'éclater de rire mais me je me retiens. L'homme est grave, sa question sérieuse. Le reste de l'assistance se retourne vers moi semblant attendre le verdict.
_"Non, non il n'y a pas de lion ici"
Je rajoute en balbutiant :
_"Enfin je crois"
La question me trouble tout à coup, y aurait-il des lions ?
Pourtant ma réponse rassure, et les passagers un à un descende...
_"Il faudrait faire du feu !"
_"Oui il faut faire du feu, les animaux ont peur du feu !"
Tout le monde reste près de la porte du Nissan, au cas où... Une des congolaise s'approche de moi et me répète comme pour m'ordonner :
_"Il faudrait faire du feu !"
Je comprends le signe et m'enfonce quelque peu dans la brousse à la recherche de bois mort. Je reviens les bras chargés de brindilles et branches diverses et balance le tout au pied de l'assistance qui m'applaudit chaleureusement. Je dois dire qu'à ce moment là je suis assez fier de moi et de la confiance qu'il me porte. Je suis Indiana Jones, je suis le Dr Livingston, je suis Heinrich Bart, je suis un aventurier au secours de passagers perdus dans la terrible brousse togolaise !
Le feu crépite maintenant, les femmes se sont remises à chanter comme pour se donner du courage. La nuit va âtre longue, le chauffeur vient d'annoncer que l'essieu arrière s'est brisé en deux. Il doit retourner à Lomé pour trouver un autre bus !
Autour du feu la vie. Une des femmes en boubous de gala étend une natte, sors quelques marchandiseset offre un frugal repas à tout le monde.
En me donnant ma part (deux ou trois dattes et un petit pot de lait caillé) elle pose maternellement sa main sur ma nuque et me chuchotte à l'oreille :
_"Dieu est grand ! mais le blanc n'est pas petit..."
Je souris largement, la femme esquisse un sourire aussi, je comprends ce qu'elle a voulu me dire, simplement merci, merci pour le feu.
Le directeur de la troupe de théatre s'approche de cette même femme, il doit avoir quarante ans au moins. Pourtant il s'étend de tout son long sur la natte et pose sa tête sur les cuisses de la maman, il a peur, je ne crois pas que le feu soit suffisant pour le rassurer, il a besoin d'une maman et il l'a trouvé. La femme lui caresse doucement les cheveux et lui répète presque indéfiniment :
_"Allah choukourou... Allah choukourou... Allah choukourou..."
Je ne connais pas cette expression mais un étudiant présent parmi les passagers me fait savoir que ça signifie Dieu te viendra en aide.
La nuit se finit comme ça et au petit matin le chauffeur revient au volant d'un autre bus, on transfère les bagages d'un toit à l'autre et tout ce petit monde reprend le chemin de Ouaga.
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