Et n'hésitez pas à lire, en plus des chroniques (l'avantage des chroniques, c'est qu'on peut en lire une page au hasard deux minutes et décoller aussi sec vers un autre monde), ses romans : Battling le Ténébreux, c'est magique !
Je viens de finir le premier de ses derniers romans, c'est-à-dire probablement son premier vrai roman, écrit en 1925, dont le manuscrit fut exhumé par son fils Pierre, et publié en 1999 (Le Dilettante). Il s'agit de "La Complainte des enfants frivoles".
Le style est un peu suranné mais tout à fait lisible, et sa fluidité est impeccable, même si l'auteur n'a pas apporté les quelques corrections finales nécessaires. La publication est restée fidèle au manuscrit.
C'est un livre hybride.
C'est d'abord une sorte de Grand'Meaulnes désabusé. Roman d'une adolescence passée, narrant avec nostalgie la vie des élèves d'un collège de sous-préfecture auvergnate de l'entre-deux-guerres, à Rimbert (càd Ambert). Roman des illusions perdues, des rêves d'adolescent qui ne réalisent jamais. Roman sans concession non plus sur l'ambiance de ce genre de petite ville : notables corsetés, conformisme social, bêtise. De belles lignes sur la beauté des paysages du Livradois cependant.
En somme ce livre aurait pu avoir un côté "roman français post-Alain Fournier" dépassé et sans intérêt, hormis le style de Vialatte. Mais ce qui rend le livre bigrement intéressant, c'est le personnage mortifère du professeur de philosophie, Quiquandon, apportant de l'Allemagne de Weimar tout un fatras spirituel asiatico-barbare, pédant, illuminé, bourré de contresens culturels et d'élans romantiques mal placés qui auront une influence tragique sur l'un de ses élèves.
Le livre prend alors une valeur de témoignage sur une époque : Vialatte l'a écrit en Allemagne quand il y fut rédacteur de la Revue Rhénane. Il a été témoin de la confusion des idées dans un pays désorienté par la défaite de 14-18. A travers le personnage de Quiquandon, il nous montre cette soupe pseudo-philosophique dans laquelle ont pataugé nombre de contemporains de la République de Weimar. On découvre la référence permanente aux spiritualités asiatiques ("L'Asie remède") mâtinées d'occultisme, de néo-paganisme, de primitivisme, mélangé avec du Nietszche, de l'écologisme, du mysticisme de bazar... le tout dans cet esprit d'exaltation si germanique.
Et c'est enfin un livre qui résonne aussi avec notre époque, elle aussi un peu paumée et en mal de repères qui tente de chercher des réponses dans des domaines pas si éloignés que ceux décrits par Vialatte.