Le bout du tunnel (ou pastiche)
- Alors, Watson, que pensez-vous de ce mystère ?
Je levais les yeux de la page du Strand qu’Holmes m’avait fourré dans la main, quelques minutes auparavant, à peine avais-je franchi le seuil de notre appartement à l’étage du 221b Baker Street. J’étais encore debout, canne et chapeau à la main et pardessus sur le dos, et Holmes se tenait à deux pas de mois, me dévisageant de ces yeux perçants, un curieux sourire sur ses lèvres fines.
- Voyons, Holmes, lui répondis-je enfin, vous devriez savoir, depuis que j’ai l’honneur de vous suivre dans vos aventures, que la mécanique n’entre pas dans l’éducation du modeste médecin militaire que je suis. Comment pourrais-je expliquer la disparition de cette locomotive entre un bout du tunnel et…
- Watson, m’interrompit Holmes, vous savez que je n’ai aucune considération pour ces affaires montées en épingle par les journalistes, il s’agit vraisemblablement d’une affaire de fraude à l’assurance montée par le propriétaire de la compagnie ferroviaire, avec la complicité de quelques employés et de faux témoins grassement rémunérés. Je ne m’y intéresserai que si la Lloyd’s me demande d’enquêter. Ce n’est pas ce mystère pour lequel je sollicite votre sagacité !
Je regardais de nouveau la page de journal pliée en quatre, et j’avisai un article plus modeste que celui que j’avais lu, qui relatait la mort étrange de tout un troupeau, des moutons qui paissaient sur les berges de la Tamise, en aval de l’Arsenal de Woolwich :
- Pour les moutons, dis-je d’un air satisfait, il n’y a selon moi aucun mystère : ces zones de marécage provoquent des émanations de gaz pouvant asphyxier en quelques minutes toute créature qui…
- Il s’agit bien de cela ! rugit Holmes avec impatience.
Devant mon regard interloqué, il approcha et tapota de son long doigt le bas de la page
- Non, dit-il, le mystère réside pour moi dans l’encadré sous ces deux articles. Cette réclame de Hutchinson & Co. pour la parution prochaine d’un nouveau recueil de nouvelles de votre confrère Conan Doyle, qui vous prête par ailleurs son nom pour vos propres écrits : je pensais que notre collaboration avait affûté, au long des années, votre sensibilité à l’observation et à la saine logique. Pour moi, le mystère est donc de savoir comment vous pouvez vous commettre avec un énergumène tel que ce Doyle, qui a inventé un personnage invraisemblable appelé Professeur Challenger, et relate d’infinies élucubrations sur des mondes perdus peuplés d’animaux préhistoriques survivants, des médiums, des ectoplasmes et autres fariboles, dont certaines auxquelles il croit manifestement !
Je restais pensif : comment annoncer à Holmes que Conan Doyle ne me prêtait pas simplement son nom, puisque Conan Doyle, c’était moi !? Pire encore, comment dire à Holmes que lui-même n’était qu’un personnage issu de mon imagination ?! Je commençais à penser que je devrais peut-être m’éloigner de nouveau de lui quelque temps, sans le faire mourir cette fois, juste l’envoyer s’occuper paisiblement de ruches et d’abeilles, quelque part dans le Sussex…