C'est comme ces gens qui, lorsque tu critique un film qu'ils aiment, te renvois un cinglant : t'as déjà réalisé un film, non, alors cru ne sais pas de quoi tu parles.
Non. Pour moi c’est pire que cela.
J’ai été un peu véhément dans ma réaction et je vous prie de m’excuser si j’ai été injuste. (je l’ai sûrement été)
Si tu me dis dans une discussion : « Tu ne peux pas comprendre, t’as pas d’enfants » ou « t’as jamais été joueur de football professionnel, tu ne peux pas comprendre ». L’argument est spécieux, cela se veut définitif mais je peux toujours te répliquer : « Et bien, explique-moi ». Le fait même d’avoir des enfants ou pas peut n'être qu’épisodique. « Tu verras quand t’auras des gosses. » Combien de parents l’ont sorti à leurs enfants, presque comme une malédiction ?
Oui, avec ce genre d’arguments on pourrait dénier à n’importe qui la légitimité d’étudier n’importe quoi. Le procédé est malhonnête et dans une discussion sérieuse il ne mène pas loin.
Cette affaire est très différente car la couleur de peau est un facteur indélébile et imposé. Elle ne procède pas d’un choix de vie ou de profession.
La disqualification de Marieke Lucas Reijneveld ne repose pas ici sur une expérience vécue ou non. Elle repose toute entière sur son être. Sur ce qu’elle est ou désignée comme telle : blanche, non-noire. Avec la meilleure volonté du monde elle ne pourra jamais changer cela. C’est la seule chose qu’elle ne pourra pas modifier. Elle a changé son genre, mais sa peau, ses traits, elle ne peut pas les arracher.
L’article le précise, Marieke Lucas Rijneveld est littérairement qualifiée pour ce travail de traduction. Sa désignation a été favorablement accueillie par l’auteur et ses proches. Les arguments de ses détracteurs ne reposent que sur sa couleur de peau, quand bien même ils essayent de les déguiser sous des oripeaux pseudo-sociologiques, car ils ne peuvent dénoncer les manques d’un travail qui n’a pas été publié, ni même entamé.
Du fait de ses origines, de sa couleur de peau, de son être profond, des gens nient à un être humain sa faculté à l’empathie, sa capacité à comprendre l’autre. Les personnes qui n’ont pas d’empathie sont classées parmi les sociopathes. Bref, ils la traitent de monstre, parce qu’elle est blanche, comme d’autres la traitent de monstre parce que « transgenre ».
J’espère que Marieke Lucas Rijneveld est une personne psychologiquement solide, car ce qu’elle vient de se prendre sur la tronche est particulièrement violent.
En France, la polémique n’aura pas lieu puisque c’est la chanteuse belgo-congolaise Marie-Pierra Kakoma, qui porte le nom de scène
Lous and the Yakuza, qui s’est vu confié ce travail. Un choix qui n’interroge personne.
Je ne connais pas Marie-Pierra Kamoka et je ne pense pas pouvoir juger de ses qualifications littéraires et linguistiques, mais en quoi serait-elle plus apte que Marieke Lucas Rijneveld à traduire le texte d’une jeune poétesse nord-américaine du Bronx ? (sous entendu aussi, en quoi le serait-elle moins ?) En lisant sa biographie, je ne vois pas bien. Pourtant les articles de presse nous le disent tous : elle est noire. Cela semble suffire à certains. Moi, ça me parait procéder du même traitement que celui réservé à l’autrice néerlandaise, c’est-à-dire qu'on la ramène à sa couleur de peau. Quelle démission de la pensée !
Cette nuit, j’étais en colère, je fulminai un peu inutilement sur mon clavier. Là, je suis simplement triste. Mais bon, vos réaction, à tous, me consolent déjà un peu. J’aurais tort de me prendre pour une lumière dans les ténèbres car il fait grand jour.