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septembre 2003 - N° 208 - Reportages
Y a-t-il un héros pour sauver la Californie ?
La cinquième économie mondiale craque de partout. Budget, moral, vie politique, rien ne va plus. Même lélection du gouverneur est cassée.
On imagine bien Harrison Ford filmé en contre-plongée, le regard tourné vers limmense barrage : « Bon dieu, pourvu quil tienne ! » Le film-catastrophe reste à tourner. Le scénario, lui, existe déjà : le budget que vient de voter le Parlement de Californie a pratiquement rayé de la carte les subventions versées au programme de sécurité des barrages de lEtat, mettant au pain sec et à leau les inspecteurs qui auscultent les 1 200 ouvrages publics et privés de lEtat. A la Division de la sécurité des barrages, les employés font leurs prières. « On risque de passer de 57 inspecteurs à 15 lan prochain, vous voyez le tableau », grommelle un responsable. « Nous sommes le cul entre deux chaises », reconnaît Dave Gutierrez, le chef du programme de sécurité. Ce qui, dans une région propice aux tremblements de terre, nest pas une bonne idée
Des barrages aux universités, des écoles aux ponts et chaussées, la Californie craque de partout. Crevasses budgétaires, fissures au moral, lézardes dans la vie politique et cassure franche tout au long de la Silicon Valley, on a du mal à croire que ce même Etat brillait au firmament de lAmérique high-tech il ny a pas trois ans. La déprime est telle que les Californiens se rendront aux urnes - si la Cour suprême maintient cette élection - pour décider de remplacer, ou non, leur gouverneur, pourtant réélu à la régulière en novembre dernier. Auquel cas le bel Arnold (Schwarzenegger) aurait une chance de lui succéder. Mais les biscottos de Schwarzie, pour gonflés quils soient, ne parviennent pas à masquer le vrai sujet de discussion, qui revient partout : comment la Californie, cinquième économie mondiale, a-t-elle pu se fourrer dans un tel pétrin budgétaire, et ce aussi rapidement ? Lhistoire est californienne, en partie. Mais en partie seulement. Car lensemble des Etats américains ne savent plus comment financer des dépenses publiques qui continuent de croître quasiment au rythme de 10 % lan alors que les recettes fiscales stagnent. Du coup, le déficit budgétaire des Etats se rapproche dangereusement des 100 milliards de dollars, soit la moitié du solde négatif du budget fédéral, tel quil est anticipé à Washington.
Une cigale fort dépourvue. Les chiffres du golden state ont de quoi donner le hoquet : 38 milliards de dollars de déficit budgétaire cumulé, un record absolu dans lhistoire des 50 Etats américains. Si la Californie était un pays, la taille de son déficit primaire, hors intérêts de la dette, la mettrait à la cinquième place des Etats les plus cigales, remarquait en août léconomiste en chef du FMI. Cela vous semble abstrait, mais, pour les agences de notation, rien nest plus clair : alors que les titres dEtat sont généralement de premier rang pour les financiers internationaux, ceux émis pour combler le gouffre californien ne valent pas mieux que des « obligations pourries ». Lhumiliation suprême ! Et les après-midi à la plage, le soleil et les belles pépées ne suffisent plus à garder le moral. Chacun y va de sa petite séance dauto-commisération. Impossible douvrir son journal ou dallumer sa télé sans tomber sur une nouvelle plus déprimante que celle de la veille : les Californiens quittent lEtat en masse (faux), les impôts sont parmi les plus élevés du pays (faux), la crise économique est plus dure quailleurs (faux), la Silicon Valley est dans la panade (vrai). Où sont passés les héros du California dream ? « Il y a quelques années, les Cisco et Intel menaient le monde. Aujourdhui, ce ne sont plus que de grosses boîtes. Des entreprises ! Notre techno-glamour a fichu le camp », soupire Samuel Popkin, professeur à luniversité de Californie-San Diego.
Dans son bureau en foutoir de Palo Alto, au cur de la Silicon Valley, Stephen Levy lève les bras au ciel. « On met tout sur le dos du gouverneur, comme si nos problèmes étaient exclusivement locaux. Mais léconomie est nationale, et nous avons perdu le même pourcentage de jobs que le reste des Etats-Unis ! » Cet économiste aux allures de professeur Nimbus, très respecté, est le premier à faire la part des choses. Non, la Californie ne va pas si mal que cela, et « les 8 milliards de déficit budgétaire, ramenés à un PIB de 1 400 milliards de dollars, ne représentent jamais que 0,5 % ». Mais, oui, les finances de lEtat ont été particulièrement frappées par léclatement de la bulle Internet. Depuis deux ans, la Silicon Valley a perdu 307 000 jobs, soit plus demplois que ce que le reste de lEtat a créé pendant la même période. Une catastrophe, car il sagissait souvent de salariés bien payés. Envolée, la manne fiscale des stock-options ! « Les recettes en impôt liées à la Bourse sont passées de 17 milliards de dollarsà 5 milliards », rappelle Levy, et - pis - elles en sont à leur troisième année de baisse consécutive. Mais cela suffit-il à expliquer lénormité du trou budgétaire californien ? « Certainement pas ! Nous sommes largement responsables de nos problèmes budgétaires. Nous avons abusé de lemprunt et des tours de passe-passe », souligne Levy.
Cest la Berezina. Pour être franc, toute lAmérique a fait lautruche. Cela fait trois ans que les 50 Etats font brûler des cierges en espérant voir arriver une reprise économique qui, tel Zorro, leur permettrait de ne pas réduire leurs dépenses ou - lhorreur ! - augmenter leurs impôts. La première année, grâce aux réserves engrangées pendant les années fastes, cela a marché ; la deuxième année, moins bien ; la troisième, cest la Berezina : plus de 80 milliards de dollars de déficit prévus pour lexercice fiscal en cours. Lexemple californien est certes extrême. Vous vous souvenez du cirque électoral de la Floride, à lautomne 2000 ? La Californie ne vaut guère mieux - et cela ne fait rire personne. Exemple : en vertu dune loi imbécile, le budget de lEtat doit être voté par les deux tiers du Parlement. Du coup, la minorité républicaine, du genre droite musclée, peut tout bloquer. « La manne des années 90 a été gérée de façon plutôt indisciplinée, reconnaît Dan Lowenstein, professeur à la fac de droit de lUcla. Les démocrates ont accepté en rechignant de ne pas augmenter les impôts, les républicains ont accepté en rechignant de ne pas couper dans les dépenses. » Pas besoin dêtre mathématicien pour imaginer le résultat.
Pas touche aux impôts. Depuis les années Reagan, depuis que le mot impôt est devenu un mot vraiment obscène, cest toute lAmérique des villes, des comtés et des Etats qui frémit à lidée de toucher aux impôts - sauf pour les réduire. La petite phrase dArnold Schwarzenegger qui a fait mouche ? « En Californie, dès le matin quand je pose mes fesses sur la cuvette des WC jusquau soir, quand je me lave les dents, je paie des impôts ! » En Alabama, un Etat pauvre qui traverse une grave crise financière et dont les écoles sont dignes du tiers monde, le gouverneur vient de perdre un référendum demandant aux citoyens daccepter une hausse de limpôt. Mais, dans le même temps, tout le monde reconnaît les immenses besoins en matière de dépenses publiques. « La moitié de nos dépenses supplémentaires est allée à léducation, note léconomiste californien Stephen Levy. Nous sommes passés de la 40e à la 28e place, au hit-parade des Etats, dans ce domaine. Nous avons aussi assuré une couverture santé à 100 000 enfants supplémentaires et à leurs familles. Tout le monde soutenait ces mesures et pensait quil sagissait didées excellentes. Mais on naurait jamais dû intégrer les recettes du boom de la Bourse dans nos calculs de ressources. » LAmérique, en somme, est devenue schizophrène, refusant de toucher aux vaches sacrées des dépenses tout en sinterdisant daugmenter les impôts.
Et plus le temps passe, plus la dérive budgétaire est difficile à corriger. « Il sera très difficile de changer de cap rapidement », prédit Kenneth Rogoff, léconomiste du FMI. La plupart des dépenses de lEtat sont mandatées par des lois locales ou fédé-rales, sans même parler des baisses dimpôts fédérales de Bush, qui ont des répercussions mécaniques sur les recettes des Etats. En dehors des universités ou des prisons, les possibilités déconomies sont réduites. « Quelles prisons ou quels campus va-t-on fermer ? » demande Stephen Levy en ne plaisantant quà moitié(lire lencadré ci-contre). Dans le Kentucky, 900 prisonniers ont été libérés avant terme par souci déco-nomie
Le risque dun exode des riches. Côté recettes, cela ne vaut guère mieux. En vertu dune autre loi stupide, la taxe foncière de lEtat est bloquée à un niveau très bas, en Californie : Warren Buffett, le milliardaire américain qui conseille Schwarzenegger, la lui-même reconnu, au grand dam de « Schwarzie » qui la envoyé au diable. Limpôt sur le revenu, déjà progressif, pourrait être augmenté pour les plus riches. Il faudrait dabord trouver une majorité des deux tiers au Parlement de Sacramento. Et si par miracle celle-ci était atteinte, planerait alors l« option Nevada ». Traduisez : le risque dun exode des riches vers un Etat comme le Nevada voisin, où limpôt sur le revenu est plutôt compétitif : 0 % !
Bref, les Californiens nont pas finide boire le calice jusquà la lie. Et avec eux tout un pays qui na pasencore accepté lidée que les années 90, exceptionnelles, étaient aussi des années-casino - excès compris.
(envoyé spécial en Californie)
Philippe Boulet-Gercourt
Une pression fiscale accrue
Depuis deux ans, les Etats américains augmentent leurs prélèvements fiscaux, leurs dépenses progressant à un rythme de près de 10% lan depuis 2000. Constitution-nellement, ils ne peuvent en effet présenter de budget en déficit. Mais ils peuvent toujours le constater a posteriori
comme en Californie.
Philippe Boulet-Gercourt
Warren Buffett, loracle de Schwarzie
Arnold Schwarzeneggera dû sentir un frisson lui parcourir léchine le 20 août, lorsque lhélicoptère sest posé sur la pelouse immaculée du Waddeson Manor, dans le Buckinghamshire. Lui, lenfant modeste de Graz, invité à une réunion de la crème de la crème des milliardaires ! Lhomme qui lui a ouvert les portes du saint des saints était à son côté :Warren Buffett, deuxième fortune américaine, surnommé l« oracle dOmaha » pour son flair en affaires. Que vient faire ce multimilliardaire de 72 ans au côté de Schwarzie ? Lorsque ce dernier a annoncé que « son ami Warren » rejoignait sa campagne, le 13 août, létonnement fut général. Buffett, depuis, na guère parlé. Après avoir préconisé une réforme à la hausse de limpôt foncier, il sest fait taper sur les doigts par le candidat. Mais son engagement comme conseiller économique correspond peut-être à ce quil a décrit le jour de sa nomination : « Il est de lintérêt critique du reste de la nation que la crise économique californienne soit résolue. »
Philippe Boulet-Gercourt
La fac publique, nouvelle cible du législateur
L« université du peuple » a-t-elle vécu ? Cest ainsi quavait été surnommée luniversité de lEtat de la Californie (CSU), la plus grande fac publique des Etats-Unis. Elle et sa sur jumelle plus élitiste, luniversité de Californie (UC), sont la fierté du golden state, dans un paysqui traite souvent ses facs publiques comme des parents pauvres. Grâce à elles et aux 108 community colleges qui délivrent des diplômes du premier degré (deux ans), lenseignement supérieur reste accessible à des millions dimmigrés et à des jeunes issus de milieux pauvres. De par la loi, la CSU est tenue daccepter les 30 % de meilleurs élèves issus de lenseignement secondaire. LUC, elle, doit admettre les 12 % les plus talentueux.
Problème : lenseignement supérieur est lun des rares postes budgétaires réellement à la discrétion du Parlement de lEtat. Aux prises avec une crise budgétaire sans précédent, les législateurs ont augmenté les droits dentrée à luniversité de 10 %, puis de 30 %. Une année de scolarité à la CSU coûte désormais plus de 2 000 dollars, et à lUC, prèsde 5 000 dollars. Même si cela na rien à voir avec les 40 000 dollars des universités privées, la tendance inquiète. Quant aux community colleges, les coupes dans le budgetet la réduction du nombre de classes sont telles quelles ont empêché le système daccueillir, lan dernier, près de 100 000 étudiants potentiels.Le rêve californien nestpas mort, mais il a pris un sacré coup dans laile.
Philippe Boulet-Gercourt