L'air et la chanson

Statut
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C'est très juste car, plus que tout autre art, la musique s'adresse directement au sentiment intérieur, à "l'âme" diront certains, sans passer par l'intermédiaire d'une représentation, ou d'une forme symbolique qu'il nous faut ensuite "transcrire" en émotions. La musique engendre directement l'émotion, c'est là sa grande force. Je n'invente rien : Aristote l'a dit bien avant moi en déclarant que c'était l'art le plus imitatif qui soit précisément pour ces raisons là. Ainsi, les exemples de remémoration que vous citez les uns et les autres sont-ils tous aussi forts car la musique a redéclenché immédiatement en vous l'émotion, l'état d'âme, le sentiment qui était en vous à ce moment précis. Une mémoire du corps et des émotions en quelque sorte.
 
bobbynountchak a dit:
D'ailleurs, maintenant que je vous dis ça, je me rends compte d'un truc, c'est que j'évite parfois de trop réécouter certains morceaux, de peur de les "galvauder", de peur de gâcher le souvenir qu'ils évoquent...
Je ne les ressors qu'à certains moments privilégiés, quand je me sens dans le bon état d'esprit.
J'écoute certains morceaux ou certains albums comme je ne ressors que très rarement certaines photos...
De peur que la madeleine finisse par changer de goût...

J'irai plus loin Bobby : ton "truc" je voudrais en faire une sorte de "règle d'écoute" musicale. Rester dans cette "rareté" de l'écoute et pas seulement pour préserver les émotions de la remémoration. En effet, de plus en plus je cherche à me diriger vers une pratique "parcimonieuse" de l'écoute musicale. C'est aussi un peu le sens de ce fil : "Comment l'écoutez-vous?" nous demande en quelque sorte le Doc, comme on dirait d'un bon fromage ou d'un bon vin : "Comment le goûtez-vous ?". Evidemment je dis çà en pur auditeur-amateur. En effet, je suis de plus en plus fatigué de cet espèce de flux continuel de "musique" qui nous envahit. Par "musique" j'entends un terme générique sans distinction de genres. Et ce flux "musical" tend à devenir un flux sonore, comme les animateurs des radios FM commerciales (genre NRJ ou Skyrock) ne parlent même plus de "musique" ou de "chansons" mais de son. Terme à mon avis caractéristique de cette bouillie sonore abrutissante, semblable au flux télévisuel continu. C'est une banalité de le dire mais ce qui permet la musique c'est le silence. Le silence entre deux notes, le silence entre deux écoutes. C'est donc par la discontinuité son / silence que l'on peut caractériser la musique alors que le flux, lui, est continu. Est-ce encore de la musique finalement ? Ou plutôt un flux consumériste, enchaînant morceau après morceau, comme on enchaîne modèle de voiture après modèle de voiture ? Or même le silence est devenu une valeur marchande, dans l'immobilier, dans l'hôtellerie ("La Chaîne du silence" est le nom d'un réseau d'hôtellerie).
Quant à s'enfermer dans ce flux sonore continuel, n'est-ce pas aussi une façon de se couper du Monde, de ne pas l'écouter ? Je n'ai jamais été fan des walkman, même quand ils sont sortis au milieu des 80's et que c'était la grande mode. Cette façon de se "boucher les oreilles" m'a toujours semblé une forme d'abandon du Monde. Quand j'étais en cité U, beaucoup d'étudiants étaient dotés de chaînes Hifi et mettait la musique dès rentrés de cours pour ne plus l'éteindre qu'avant de se coucher. Le matin, ils se levaient itou en allumant la chaîne jusqu'à leur départ en cours. Un copain d'alors me disait que c'était une façon pour eux de se rassurer en conjurant la "peur du silence", où l'on se retrouve face à soi-même. Une façon de "remplir de son" leur espace par peur du vide. Je ne sais si c'était bien çà mais cette remarque m'est restée. Aujourd'hui quand je vois les gens dans le métro ou la rue s'enfoncer leurs écouteurs dans les oreilles comme des boules Quies, puis piquer du nez vers une revue, ou garder les yeux rivés au sol, et bien çà m'attriste. Je sais qu'il y a ici sans doute de nombreux iPodeurs qui vont me dire combien ils en retirent de joie, et combien leur vie a plus d'entrain avec cet objet. Je sais, les gârs, les filles, je sais, j'en suis désolé, mais moi tout cela m'attriste, surtout de voir tant de gens le faire.
 
jul29 a dit:
En effet, je suis de plus en plus fatigué de cet espèce de flux continuel de "musique" qui nous envahit. Par "musique" j'entends un terme générique sans distinction de genres. Et ce flux "musical" tend à devenir un flux sonore, comme les animateurs des radios FM commerciales (genre NRJ ou Skyrock) ne parlent même plus de "musique" ou de "chansons" mais de son. Terme à mon avis caractéristique de cette bouillie sonore abrutissante, semblable au flux télévisuel continu. C'est une banalité de le dire mais ce qui permet la musique c'est le silence. Le silence entre deux notes, le silence entre deux écoutes. C'est donc par la discontinuité son / silence que l'on peut caractériser la musique alors que le flux, lui, est continu.

D'accord, oui et non.
Si tu relis mon premier post, je parle de "ces morceaux tout pourris qu'on entendait en boite en Irlande", et qui me ramènent à cette époque bénie, au hasard des stations de radio.
C'est grâce au matraquage qu'on a subi à ce moment que ces morceaux là nous évoquent quelquechose après coup (ce qui est bien la preuve que c'est de la merde mais bon).
C'est surtout "l'après" qui demande de la parcimonie, pour sauvegarder la spontanéité des premiers élans.
Enfin à mon sens. ;)
 
Ma situation est telle que je me suis vu, depuis quelque temps, dans l'obligation de "compartimenter" ma vie et mes activités. Ayant eu à souffrir pendant fort longtemps d'hyperémotivité, je me suis dégagé depuis lors de cette souffrance par une "désensibilisation" aux choses de ce monde ; question de survie, va-t-on dire. Mes émotions, je les garde pour moi mais comme il est impossible de vivre sans émotions, c'est par la musique que je les canalise, et que je les vis.
Je n'ai qu'un seul regret : celui d'être un éternel spectateur, un éternel "récepteur" : j'adore tant la musique, et la peinture, et la poésie que j'aurais souhaité pouvoir m'exprimer à travers l'un de ces arts. Aujourd'hui, je pense qu'il est trop tard, et je vais comme tous les soirs à cette heure me contenter d'une série télé pour me laver la cervelle, après quoi je choisirai l'un de mes CDs, que j'écouterai religieusement, càd avec dévotion, car je choisirai une musique que j'aime et que je comprendrai, peut-être, en tout cas celle qui me parlera dans le langage que je serai alors le plus apte à comprendre.
Ce n'est pas de la communication, seulement un substitut, à la manière de ces personnes âgées qui passent toute la journée dans leur chambre, à la maison de repos, télévision allumée, parce qu'ainsi il y a au moins une voix à entendre. L'avantage de la musique sur la télévision, c'est qu'elle offre une infinité de variétés d'émotions, d'une richesse impensable, et je repense au message du purfils racontant sa tristesse à l'écoute de ce passage de Beethoven accompagnant le récit de la bataille de Stalingrad. Je suis aussi comme cela : la tristesse d'une musique me convient très bien lorsque je suis triste... Ce n'est pas du masochisme, peut-être seulement la fonction de l'art.
Merci Doc pour ce sujet :zen: ; désolé d'être une fois de plus hors sujet, comme je le disais plus haut, je ne suis pas doué pour la communication...
Bonne soirée !
Phil

Et pour répondre à jul29, dont je viens seulement de lire le message : je crois que tu as raison en évoquant cette fuite du monde et ce repli sur soi.

jul29 a dit:
Quant à s'enfermer dans ce flux sonore continuel, n'est-ce pas aussi une façon de se couper du Monde, de ne pas l'écouter ? (...)
Aujourd'hui quand je vois les gens dans le métro ou la rue s'enfoncer leurs écouteurs dans les oreilles comme des boules Quies, puis piquer du nez vers une revue, ou garder les yeux rivés au sol, et bien çà m'attriste.
C'est plus qu'attristant, c'est à se flinguer. Je n'aurais jamais pensé que cette société devienne à ce point égoïste et opprimante que beaucoup se voient obligés pour s'en préserver de se murer dans le silence et la non-communication volontaire.
 
Quand j'écoute de la musique, j'essaye parfois de me mettre à la place de l'interprete, du compositeur.
Je veux ressentir la musique, je veux comprendre ce qu'elle exprime.
Le calme, la paix, la detresse, la colère, je canalyse les émotion, et je les "utilise", dans certains moments, comme une thérapie.
Certains air me font pleurer à chaques fois, d'autres me reveilles, m'ouvrent les yeux...
Et après, j'essaye de transparaitre ça quand je joue moi-même...
 
bobbynountchak a dit:
D'accord, oui et non.
Si tu relis mon premier post, je parle de "ces morceaux tout pourris qu'on entendait en boite en Irlande", et qui me ramènent à cette époque bénie, au hasard des stations de radio.
C'est grâce au matraquage qu'on a subi à ce moment que ces morceaux là nous évoquent quelquechose après coup (ce qui est bien la preuve que c'est de la merde mais bon).
C'est surtout "l'après" qui demande de la parcimonie, pour sauvegarder la spontanéité des premiers élans.
Enfin à mon sens. ;)

J'ai bien compris. Mais je me suis permis ( outrageusement - "Nous nous retrouverons donc sur le pré à 6 heures demain matin. Je vous laisse le choix des armes et vous souhaite le bonsoir, Monsieur !") d'extrapoler sur ce que tu disais afin d'en faire une sorte de "principe général". Parcimonie dans l'écoute comme dans la ré-écoute, comme tu le préconises. A moi aussi il m'arrive d'entendre des "merdes" qui me rappellent de bons moments, mais il s'agit alors plus de "support mémoriel" que "d'écoute musicale".
Il existe une pièce très célèbre et plutôt conceptuelle, en apparence, de John Cage qui s'appelle 4'33". L'interprète doit faire silence pendant très exactement cette durée, et la pièce est composée "classiquement" de plusieurs mouvements. J'aime cette idée d'inverser les choses : de ne plus être la source du son pour l'interprète mais de laisser venir à lui le bruissement du Monde, et de décicer, ou non, s'il s'agit là de musique. Bien sûr il y a des degrés entre un bruit, un son puis une musique. Mais l'idée est quand même là, un peu à la manière du ready-made de Marcel Duchamp. Je trouve ce "concept" touchant car il redonne place à l'écoute du Monde, au lien.

se couper du monde, oui,
un replis sur soi ou un moyen d'évasion...
la musique a bien des pouvoir opposés...
Je trouve ta remarque très juste. Oui la musique offre une évasion nécessaire, comme la lecture, quand ce Monde est trop lourd à supporter. Mais tout est dans la manière d'écouter, dans cette qualité d'écoute. On peut "mal écouter" comme on peu "mal lire". Je ne parle pas de la valeur de ce qui est écouté ou lu mais de la façon dont on s'y prend. On peut s'hébéter de musique comme on peut s'hébèter de lecture. Et je crois que tu as raison : la frontière n'est pas si évidente entre la "bonne" écoute et la "mauvaise".

Douce nuit à toutes et tous ! :coucou:
 
DocEvil a dit:
Lui, c'est Bach. Jean-Sébastien..Même si j'aime profondément ma famille, mes amis, personne n'a pénétré mon intimité comme l'a fait ce vieux bonhomme avec sa musique, personne n'a, comme lui, accompagné mes peines, mes joies, ma solitude. À tel point que je ne peux même plus dire que j'aime sa musique, ça me semblerait presque bizarre : elle fait partie de moi, comme un oeil ou un bras, et même si je la laisse quelques semaines sans chanter dans ma tête, elle reste là, fidèle, comme un endroit au chaud où rentrer après un long voyage. Et encore... Même dit comme ça, ça me fait bizarre. Parce qu'elle est à la fois un refuge et un voyage.
C'est bien connu, la musique de Bach élève. Wahou. Et elle élève vers quoi je vous prie ? Ben vers Dieu, c'te question banane ! Et pour ceux qui croient pas ? On fait comment pour ceux-là ? On rembourse les albums ?
Vous savez quoi ? Quand je voyage avec le vieux et qu'en me tenant par la main il m'emmène si haut que j'en ai l'impression de manquer d'air, si haut que j'en ai mal et que j'en pleure, ce n'est pas Dieu que je trouve au bout de la route. C'est moi. Je crois que c'est ça le truc, c'est ça qui me bouleverse. La musique de Bach me donne le sentiment d'une perfection possible, elle me donne confiance, elle me fait sentir que je peux être meilleur, que je peux, moi aussi, aller plus haut que moi-même. Elle me transperce comme un beau message adressé à l'humanité tout entière. C'est comme dans L'Étoffe des héros de Philip Kaufman, ce moment où Chuck Yaeger vole si haut, tellement haut dans l'azur, que la nuit apparaît soudain et qu'il a l'impression qu'en tendant la main il pourrait toucher les étoiles. Voilà, c'est ça. C'est la musique du possible toujours renouvelé, la certitude pour tous qu'une frontière à l'horizon n'est jamais la dernière, la promesse de l'aube. C'est mon voyage et ma maison.

Après ceci, que puis je dire de plus? "Le vieux" fait partie de ma vie depuis mon enfance. Inexorablement il me ramène dans mon passé, jamais dans le futur; Avec joie, avec tristesse, jamais indifférent.
Pendant ma petite enfance c'était le dimanche matin, en général au petit déjeuner, juste avant d'apprendre a danser "Zorba le Grec" sur la terrasse. Après pendant l'adolescence, c'était pour discuter des choses de la vie à l'heure du thé avec ma mère devant la cheminée; La nuit avec mon père sur le sens de la vie, le bonheur, le mal et le bien... là , c'était les fugues de Bach! Mon père levait le bras et il disait: "Ecoute! tu n'oublieras jamais!"
Je l'ai entendu aussi à la Cathédrale de Bruges pendant une répétition de la messe de Pâques, une cathédrale vide pleine de musique, je n'ai pas pensée à Dieu...
Aujourd'hui je l'écoute pour me reconstruire, pour accepter ce passé qui ne sera plus jamais futur, qui est perdue a tout jamais.
 
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Réactions: Philippe
Avant tout, je voudrais vous remercier tous pour vos contributions. J'ai bien conscience que ce sujet n'est pas un sujet « facile », non que son propos soit compliqué, mais parce qu'il exige de ceux qui y participent d'exposer une part de leur intimité, de leur histoire. D'une manière générale, parler de son rapport à une œuvre d'art, particulièrement quand elle nous touche, c'est accepter l'idée d'exposer une partie de soi. Je vous remercie donc pour cet échange dont la sincérité me touche plus que je ne saurais dire et dont la qualité m'enchante.

Je vous avais bien dit que j'y reviendrais. Je ne pouvais tout de même pas expédier 20 ans d'amour en dix lignes...
Deux choses me viennent spontanément à l'esprit quand j'évoque la musique de Jean-Sébastien Bach : la sensation du sublime et la nécessité violente de le partager. Pourquoi violente ? Parce que, c'est un sentiment en somme assez répandu, je vis presque comme une souffrance de ne pas arriver à faire ressentir aux autres ce que je ressens moi-même en écoutant cette musique. Je voudrais qu'ils oublient les quelques 250 ans qui nous séparent de la mort de Bach pour découvrir dans son œuvre la vitalité puissante d'un cœur qui n'a jamais cessé de battre. Je voudrais tant qu'ils sentent, à travers les vibrations de l'air dont je parlais plus haut, la présence physique, palpable, du génie et de la beauté. C'est pourquoi je me reconnais si bien chez Pierre Vidal lorsqu'il écrit que « la musique, chez Bach, tend à devenir un être vivant, palpitant et sensible. » Oui, la musique devient sensible, comme les étoiles qu'on voudrait caresser alors même qu'on ne peut les atteindre, comme une illusion incarnée en rêve. Je me souviens d'avoir parlé à ce sujet « d'extase mystique ». Je reconnais volontiers que la comparaison était maladroite. Mais ce que je voulais dire, c'est qu'être confronté au sublime procure un sentiment violent. Et c'est précisément cette violence qui, pour moi, rend le partage nécessaire et urgent.

Concernant le sublime lui-même, je ne peux que donner des exemples personnels. J'en ai donc choisi deux. Un musicien en aurait peut-être choisi d'autres, mais je ne suis pas musicien. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'une querelle d'experts, mais d'un partage d'émotions réelles, aussi mon expérience du sublime fera tout aussi bien l'affaire... Les deux exemples en question sont le final de la fugue en ré mineur BWV 565 et le final (clavecin seul) du premier mouvement (Allegro) du cinquième concerto brandebourgeois en ré majeur BWV 1050. Il s'agit de moments très précis.
Pour être parfaitement honnête, ces deux extraits m'inspirent la plus grande humilité et me plongent à chaque écoute dans un état d'abandon et de perplexité, la seconde précédant d'ordinaire le premier. Imaginez-vous promenant le long d'un ruisseau. L'eau coule, fraîche et claire, avec un rythme régulier. Il fait beau, le ciel est impeccablement bleu, l'air tiède et la nature paisible. Soudain, vous fermez les yeux un instant, une seconde, pour chasser une poussière ou respirer un parfum. Quand vous les rouvrez, le paysage n'est plus le même, la rivière a disparue, le vent souffle avec force sur votre visage et vous vous tenez penché au bord de l'océan. Voilà l'impression que me font ces moments quand ils surviennent. Ma perplexité, c'est mon incompréhension, ma stupidité face au paysage musical subitement modifié ; mon abandon, c'est celui que je dois au génie qu'incapable d'anticiper je dois me contenter de suivre. Et la rivière disparue, soudain, ne coule plus à mes pieds mais le long de mes joues.
 
DocEvil a dit:
En fait, c'est pour lui que j'ai ouvert ce fil, (...)
C'est aussi lui qui m'accompagne lorsque j'ai besoin de quelqu'un pour penser à autre chose...
Je fais parti de ceux pour qui une partition n'est pas muette, et, je pense que comme tout violoncelliste, de toute les partitions que l'on peut trouver pour cet instrument, une ne me quitte jamais, il s'agit bien de ses suites. Pour certains, elles ne forment qu'un recueil de pièces qui se suivent. Ou peut-être effectivement la base du répertoire du violoncelle que l'on apprend parce qu'il faut connaître. Peut-être encore quelques mouvement à l'architecture encore simple d'une écriture musicale qui n'était pas aussi développée que celle de Beethoven...
Seul le vrai musicien, celui qui tire de la musique ce qui le tient en vie, y verra le Monument quelles sont, parmi les œuvres musicales, de par la diversité qu'elles offrent. Peut-être ne disposait-il pas des outils des grands Romantiques, mais en avait-il besoins ? N'est-ce pas là la preuve de son génie ?
Jamais parmi ces six suites je n'ai manqué de ce qui pouvait me réconforter. Comment ne pas rester impressionné devant la colossale introduction de sa 4e suite ? Comment ne pas avoir la gorge nouée face à la sarabande de sa deuxième suite ? Je dispose ici, avec mes quatre cordes et mon seul archet de tout ce qu'un orchestre de cent vingt personnes à parfois du mal à m'offrir.
Et quel contentement offre la communion d'un interprète avec le créateur qu'il sert... Quel profond soulagement que de vivre cet état dans lequel les sentiments sont dictés par les notes. Dans lequel tout est vrai, et rien ne fait défaut... D'un esprit cartésien ou autre ne reste plus alors qu'une sensation physique de bien être. Celle d'un archet qui court sur des cordes, et de quelques doigts qui viennent rythmer ce flot continu.
De tout ce que je pratique par plaisir ou passion, rien ne me permet autant que la musique de profiter d'un tel abandon. De profiter d'un esprit libre de toute contrainte matériel jouissant chaque fois de la re création qu'est chaque nouvelle interprétation d'une œuvre...
 
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Réactions: rezba et Philippe
Je te lis, Doc, et je suis poussé à parler déja de Bach, alors que je tourne autour de comment organiser mes mots depuis déja plusieurs jours, en vain.
Je vais donc faire très vite pour y revenir plus longuement. Si je ne le fais pas maintenant, je risque d'oublier le dévoilement occasionné par tes propos.
Depuis quelques jours, donc, je cherche à comprendre la différence que je vis entre ma relation à Bach et celle, qui lui est très liée, que j'ai à Mozart.
Les deux ont bercés mon enfance et mon adolescence malgré moi. C'est ma mère, musicienne, qui nous innondait de musique. Ces deux œuvres avaient chez elle une importance capitale, et elle les écoutait toutes deux avec rigueur, vigueur, enchantement, sérieux, gaité, tourmentes.
Et en te lisant, je m'aperçois que si mes sens connaissent finalement mieux Bach que Mozart, je n'ai aucune intimité avec le vieux. Aucune. Je ne sais pas qui il est. Alors que je me suis pénétré de la vie de Mozart pour lire son œuvre, j'aime par dessus tout le Bach qui raconte le rythme intime de la nature et de l'univers. J'aime le Bach mathématicien. Bach m'aide à comprendre l'univers physique qui m'entoure. Mozart m'aide à comprendre les hommes qui le peuple.





Et bien mon ami, il va t'en falloir du temps pour expliquer tout ça, maintenant...
 
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Réactions: Philippe
rezba a dit:

Et bien mon ami, il va t'en falloir du temps pour expliquer tout ça, maintenant...
Pas mieux de mon côté, je suis crevé et je n'arrive pas à construire deux phrases. Juste un mot, puisque l'Aria semble maintenant céder la place à la première variation : puisse ce fil s'enrichir et contribuer à permettre aux uns et autres d'exprimer au mieux leur passion pour la musique, ce fantastique réservoir à émotions, ce refuge... Très important, rezba, la première pierre. Il est question ici d'architecture, de cathédrale, de religion (en italiques, car j'évoque ici l'étymologie : religio, je relie). Je relie, je construis, j'écoute et je parle : comment ne pas partager les réflexions de DocEvil qui évoquait la présence physique de Bach, sa vitalité... je dirais bien communicative ;) !
 
rezba a dit:
Bach m'aide à comprendre l'univers physique qui m'entoure. Mozart m'aide à comprendre les hommes qui le peuple.
Cela me remémore un entretien avec Claude Sautet sur France Musique, autour de Bach justement. Il faudrait que je le réécoute, mais il disait, en substance, que la musique de Bach séduit par son universalité, tandis que celle de Mozart se singularise par son individualisme. Dès que je pourrai, je tâcherai de préciser ce souvenir. ;)

P.S. pour ceux qui n'oseraient pas encore participer : Ceci n'est pas un fil consacré à Jean-Sébastien Bach. :D
 
TU fais bien de préciser...:D

Justement hier j'écoutais une interview de Lorie sur France Culture... et elle disait que la musique de Madonna était plutot pas mal, et que celle de britney spears, était bien mais pas top...

C'est clair...:D
 
Imaginez-vous promenant le long d'un ruisseau.
: c'est une coïncidence heureuse car "Bach" en allemand signifie "Ruisseau" et nous allons bientôt fêter son anniversaire car il est né le jour du Printemps, le 21 mars. Petit détail symbolique au passage : en astrologie gauloise, le jour du printemps est consacré à l'arbre tutélaire : le Chêne. Voilà des coïncidences qui, symboliquement, sont plutôt parlantes : celle d'une source intarrissable, l'éternel renouveau du Printemps, la majesté du chêne. Je trouve que çà va bien à Bach.
la présence physique, palpable,
nous dit le Doc, et
J'aime le Bach mathématicien.
nous dit Rezba.
C'est effectivement cela qui a toujours été un mystère pour moi dans la musique de Bach : cette "synthèse alchimique" (le mot n'est pas le bon, mais je n'en ai d'autre pour le moment) entre la présence charnelle, presque sensuelle de cette musique et sa rigueur compositionnelle qui en fait aussi un monument conceptuel, une abstraction. Pour avoir fait un peu d'analyse musicale de Bach, j'avais parfois l'impression de me retrouver face à un modèle mathématique, ou une sorte de programme informatique. Par exemple dans toutes ses fugues ou ses chorals, composés en nombre impressionnant. Pourtant, dès l'écoute cette impression s'évanouit : il n'y jamais d'effet de systématisme, de mécanisme, ni de désincarnation froide. Au contraire c'est une musique toujours vivante, "palpitante et sensible" justement. On pourrait parler de jouissance physique à son écoute et si le Doc rappelle ceci :
Je me souviens d'avoir parlé à ce sujet « d'extase mystique ».
, oui, mais une extase totalement incarnée, en même temps que révélant une puissance de la pensée et de la capacité d'abstraction. Difficile pour moi de définir cette "alliance" entre la puissance conceptuelle et la sensibilité aigüe de la musique du "Père", comme aimait à l'appeler Schumann.
 
DocEvil a dit:
Cela me remémore un entretien avec Claude Sautet sur France Musique, autour de Bach justement. Il faudrait que je le réécoute, mais il disait, en substance, que la musique de Bach séduit par son universalité, tandis que celle de Mozart se singularise par son individualisme. Dès que je pourrai, je tâcherai de préciser ce souvenir. ;)
Si je te dis que mon approche intime de Mozart doit beaucoup au livre que lui a consacré l'auteur de "La société des individus" (ma bible de sociologie), Norbert Elias (le livre en question, c'est "Mozart, sociologie d'un génie"), tu peux constater que tout ça va finir par se rejoindre très très fort.


P.S. pour ceux qui n'oseraient pas encore participer : Ceci n'est pas un fil consacré à Jean-Sébastien Bach. :D
T'inquiète, quand j'aurais fini de dérouler ma pelote bacho-mozartienne, je vais surement m'attarder un peu sur le choc de ma découverte de Philip Glass. Et sur le comment du pourquoi de l'articulation de ça avec tout le reste de mon univers musical : la techno, le rock, les voix féminines, la musique expérimentale... :D
 
rezba a dit:
T'inquiète, quand j'aurais fini de dérouler ma pelote bacho-mozartienne, je vais surement m'attarder un peu sur le choc de ma découverte de Philip Glass. :D
Je connais un peu, un tout petit peu, comme le suggère ma signature. ;)
 
DocEvil a dit:
Je connais un peu, un tout petit peu, comme le suggère ma signature. ;)

C'est bien pour ça que je te tends la perche, pour plus tard.
J'ai un rapport très "visuel" avec lui, comme le suggère ma "localisation". ;)
 
Il y a un compositeur "reconnu" qui détestait certains aspects de la musique de Bach. C'est Berlioz (que je connais très mal par ailleurs). Mais lors d'une émission de radio j'avais entendu un extrait de son Faust où des espèces de soiffards, représentant de la "graine de Satan", se mettent à chanter une fugue, d'ailleurs fort bien composée, rappelant la manière de Bach. Le présentateur expliqua que Berlioz haïssait la forme musicale de la fugue ! C'était pour lui quelque chose de vulgaire, de laid, et c'est pourquoi, petite vacherie personnelle, il la met dans des bouches crapuleuses dans son opéra.
Bon pour ma part, je ne partage pas, mais vraiment pas, le goût de Berlioz sur ce point !
 
jul29 a dit:
...et nous dit Rezba.
C'est effectivement cela qui a toujours été un mystère pour moi dans la musique de Bach : cette "synthèse alchimique" (le mot n'est pas le bon, mais je n'en ai d'autre pour le moment) entre la présence charnelle, presque sensuelle de cette musique et sa rigueur compositionnelle qui en fait aussi un monument conceptuel, une abstraction. Pour avoir fait un peu d'analyse musicale de Bach, j'avais parfois l'impression de me retrouver face à un modèle mathématique, ou une sorte de programme informatique. Par exemple dans toutes ses fugues ou ses chorals, composés en nombre impressionnant. Pourtant, dès l'écoute cette impression s'évanouit : il n'y jamais d'effet de systématisme, de mécanisme, ni de désincarnation froide. Au contraire c'est une musique toujours vivante, "palpitante et sensible" justement. On pourrait parler de jouissance physique à son écoute et si le Doc rappelle ceci : , oui, mais une extase totalement incarnée, en même temps que révélant une puissance de la pensée et de la capacité d'abstraction. Difficile pour moi de définir cette "alliance" entre la puissance conceptuelle et la sensibilité aigüe de la musique du "Père", comme aimait à l'appeler Schumann.
Peut-être suis-je exagérément sensible à la poésie de la mathématique. Les représentations que l'on se fait d'une œuvre qu'on ne se contente pas de recevoir, mais que l'on cherche à comprendre, sont tellement enrichies du reste de notre vie.
J'ai eu, par la plus grande des coïncidences, un professeur de guitare qui n'était pas un très bon guitariste. J'avais douze-treize ans, lui vingt et quelques. Il était déja un musicien connu, un chercheur qui émergeait dans la galaxie de la musique sérielle.
J'ai gardé longtemps des contacts avec lui. Et c'est lui qui, bien plus tard, au détour d'une rencontre dans son laboratoire, m'a aidé à comprendre non seulement quelques notions fondamentales des maths, mais aussi leur rappport avec Bach.
Dans son laboratoire, il y avait des machines, des ordinateurs. Et il travaillait dessus. J'ai voulu comprendre ce qu'il faisait. Il m'a expliqué qu'à ce moment, il travaillait sur la boucle. Il m'a montré des modélisations graphiques de boucles sonores. Des logarythmes. Il m'a expliqué ce qu'était un logarythme, mieux qu'aucun de mes profs de maths ne l'avait fait.
Des logarythmes, nous sommes passés à des formes d'algorythmes qu'il travaillait. Puis à ce qu'il appelait les algorythmes du chaos, une adaptation des mathématiques du chaos, des fractales de Mandelbrot. (tous ces types de l'école lyonnaise de musique contemporaine étaient de vrais mathématiciens).
Et là, j'ai seché un peu, sur la répétition des formes et tout ça. Pour me faire comprendre ça, il est allé chercher bach. Des suites anglaises, et les goldberg. Il a fait un thé, et on a écouté Bach. Et au fur et à mesure que les phrases musicales se déroulaient, que Gould enroulait des boucles, Gilles dessinait les formes géométriques créées par Bach, et les mettaient en juxtaposition avec des équations.
C'était terrible. Hallucinant. Mon écoute de Bach, et d'une grande partie de la musique, s'est transformée à jamais ce jour-là. En quelques heures, je venais de prendre conscience du travail intelllectuel qui présidait à la composition de Bach. Je voudrais pouvoir revivre ce moment-là, maîtriser suffisament ce discours limpide d'alors pour pouvoir le refaire devant quelqu'un d'autre, partager ce dévoilement.
Voilà. Bach et Mandelbrot, c'est le même registre de poésie, pour moi.
Avec, chez Bach, une résonnance toute autre que chez le mathématicien. Parce que le vieux ne parle pas seulement à mon intellect, mais qu'il parle à mon corps, qu'il le fait rentrer en résonnance avec le rythme de l'univers. Parce que ses boucles sont la représentation musicale la plus achevée des engrenages du temps, des cycles de la vie, des mouvements telluriques et planétaires. Les suites françaises, c'est la mécanique intime du cosmos mise en musique.
Je crois que c'est pour ça qu'une grande partie de bach, quelques cantates exceptées, résonnenten moi toujours plus du côté de la physique des particules que de la biologie du vivant.
Sauf que...
Sauf que les suites pour violoncelle dont parlait El_Chico, par exemple, et que ma sœur a tant joué et écouté, me confrontent à mes propres rythmes, aux circonvolutions de ma mélancolie.
 
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