A
Anonyme
Invité
Vous je ne sais pas, mais moi, il y a des gens comme ça, je ne les ai croisés qu'une seule fois, sur l'écran de mon téléviseur, dans un magazine à la con ou en marchant dans la rue, et j'aurais voulu leur dire des tas de trucs. Généralement des trucs salaces, le genre de choses qu'on ne dit pas : « Je vous trouve très beau et j'estime que l'hypothèse que nous couchions ensemble mérite d'être au plus tôt confirmée par l'expérimentation. » Ce genre. Mais ça peut être tout à fait autre chose, quelque chose de plus tendre ou au contraire de plus cruel, quelque chose comme une conversation qu'on aurait voulu avoir et que l'on n'a pas eue.
C'est pourquoi j'ai eu l'idée de ce fil, un fil destiné à recueillir toutes les lettres qu'on a pas écrites parce qu'on a pas eu le temps, parce qu'on a pas eu le courage, parce que ça ne se fait pas de dire tout ça à de parfaits inconnus, parce qu'on avait quatre ans et qu'on ne savait pas encore expliquer à Coralie que si on lui tirait sur les nattes c'était parce qu'on l'aimait bien, parce que si on avait eu le cran de dire à Ludovic, le capitaine de l'équipe, que c'était un gros con (ce que rien n'a jamais démenti), on aurait pris un pain.
À titre d'exemple, voici une lettre qui n'aura jamais de réponse.
Chère Mademoiselle Bertau,
Puis-je vous appeler Cécile ? Vous ne me connaissez pas et pourtant, de mon côté, j'ai l'impression de vous connaître depuis des années. J'avais remarqué votre nom dès ma première tentative pour me connecter à la messagerie Orange (qui s'appelait encore alors Wanadoo) de la société pour laquelle je travaille. Chaque semaine, mon premier geste était de cliquer sur le lien me dirigeant sur la page où, sous le champ « Adresse e-mail », je pouvais lire : « Ex : [email protected] ». Au fil des mois, votre nom attaché à ce rendez-vous hebdomadaire me devint aussi familier que celui d'une personne amie. Aussi étrange que cela vous puisse paraître, j'avais hâte d'arriver au lundi pour vous retrouver. Je me pris à imaginer quelle pouvait être la femme derrière ce nom mystérieux. Je me surpris même à rêver de vous dans le secret de mes nuits pâles.
À mesure que je vous imaginais, mon intérêt pour votre personne se transforma en un sentiment plus pur, plus élevé. Je pense vous avoir désiré plus ardemment qu'aucun autre des abonnés de France Telecom. Cela, oui, je peux vous le jurer. J'aurais tout fait pour vous, tout sacrifié. Il n'est rien qu'un seul mot de vous ne m'aurait convaincu de tenter, rien qui aurait su me retenir de satisfaire aux plus extravagants de vos caprices.
Seulement... Seulement, voici des mois que je vous écris régulièrement sans obtenir de votre part la moindre réponse. J'ai tout d'abord imaginé que Pierre, qui est d'une jalousie maladive, vous empêchait de me répondre. Mais il y a tellement d'autres endroits d'où vous auriez pu m'écrire ! Je me suis alors figuré qu'un accident de cheval survenu quand vous étiez enfant vous interdisait de vous servir du clavier. Mais, dans ce cas, pourquoi exhiber de la sorte votre adresse électronique ?
Non Cécile, non. J'ai épuisé toutes les situations qui auraient pu excuser votre silence. Je ne voulais pas croire que vous, si compréhensive, si douce, me repoussiez sans même chercher à me comprendre, sans même donner une chance à notre grand amour.
À présent, tout est terminé. C'est pourquoi je vous écrit cette lettre qui sera la dernière. Je voulais vous rendre votre liberté et vous dire que je ne vous en veux pas. Je vous souhaite d'être heureuse Cécile, aussi heureuse que cet été à Saint-Paul-de-Vence quand vous riiez sur la plage où le soir s'écrasait comme une vague rose et noire. Soyez heureuse Cécile et tranquillisez-vous. J'ai fait, il y a peu la connaissance d'un jeune homme, [email protected], qui m'apporte la chaleur et la tendresse que vous me refusiez. Auprès de lui, j'espère construire ce bonheur dont vous avez choisi de nous priver. Ne m'en veuillez pas trop de la peine que cette annonce vous causera sans doute et tâchez d'y sentir simplement mon désir de vous voir vous aussi tourner la page d'un épisode de nos vies qui ne nous menait nulle part. Soyez heureuse Cécile. Pour l'amour que je vous portais et pour celui que vous méritez.
Votre tendre,
docevil@removemefirst_free.fr
C'est pourquoi j'ai eu l'idée de ce fil, un fil destiné à recueillir toutes les lettres qu'on a pas écrites parce qu'on a pas eu le temps, parce qu'on a pas eu le courage, parce que ça ne se fait pas de dire tout ça à de parfaits inconnus, parce qu'on avait quatre ans et qu'on ne savait pas encore expliquer à Coralie que si on lui tirait sur les nattes c'était parce qu'on l'aimait bien, parce que si on avait eu le cran de dire à Ludovic, le capitaine de l'équipe, que c'était un gros con (ce que rien n'a jamais démenti), on aurait pris un pain.
À titre d'exemple, voici une lettre qui n'aura jamais de réponse.
Chère Mademoiselle Bertau,
Puis-je vous appeler Cécile ? Vous ne me connaissez pas et pourtant, de mon côté, j'ai l'impression de vous connaître depuis des années. J'avais remarqué votre nom dès ma première tentative pour me connecter à la messagerie Orange (qui s'appelait encore alors Wanadoo) de la société pour laquelle je travaille. Chaque semaine, mon premier geste était de cliquer sur le lien me dirigeant sur la page où, sous le champ « Adresse e-mail », je pouvais lire : « Ex : [email protected] ». Au fil des mois, votre nom attaché à ce rendez-vous hebdomadaire me devint aussi familier que celui d'une personne amie. Aussi étrange que cela vous puisse paraître, j'avais hâte d'arriver au lundi pour vous retrouver. Je me pris à imaginer quelle pouvait être la femme derrière ce nom mystérieux. Je me surpris même à rêver de vous dans le secret de mes nuits pâles.
À mesure que je vous imaginais, mon intérêt pour votre personne se transforma en un sentiment plus pur, plus élevé. Je pense vous avoir désiré plus ardemment qu'aucun autre des abonnés de France Telecom. Cela, oui, je peux vous le jurer. J'aurais tout fait pour vous, tout sacrifié. Il n'est rien qu'un seul mot de vous ne m'aurait convaincu de tenter, rien qui aurait su me retenir de satisfaire aux plus extravagants de vos caprices.
Seulement... Seulement, voici des mois que je vous écris régulièrement sans obtenir de votre part la moindre réponse. J'ai tout d'abord imaginé que Pierre, qui est d'une jalousie maladive, vous empêchait de me répondre. Mais il y a tellement d'autres endroits d'où vous auriez pu m'écrire ! Je me suis alors figuré qu'un accident de cheval survenu quand vous étiez enfant vous interdisait de vous servir du clavier. Mais, dans ce cas, pourquoi exhiber de la sorte votre adresse électronique ?
Non Cécile, non. J'ai épuisé toutes les situations qui auraient pu excuser votre silence. Je ne voulais pas croire que vous, si compréhensive, si douce, me repoussiez sans même chercher à me comprendre, sans même donner une chance à notre grand amour.
À présent, tout est terminé. C'est pourquoi je vous écrit cette lettre qui sera la dernière. Je voulais vous rendre votre liberté et vous dire que je ne vous en veux pas. Je vous souhaite d'être heureuse Cécile, aussi heureuse que cet été à Saint-Paul-de-Vence quand vous riiez sur la plage où le soir s'écrasait comme une vague rose et noire. Soyez heureuse Cécile et tranquillisez-vous. J'ai fait, il y a peu la connaissance d'un jeune homme, [email protected], qui m'apporte la chaleur et la tendresse que vous me refusiez. Auprès de lui, j'espère construire ce bonheur dont vous avez choisi de nous priver. Ne m'en veuillez pas trop de la peine que cette annonce vous causera sans doute et tâchez d'y sentir simplement mon désir de vous voir vous aussi tourner la page d'un épisode de nos vies qui ne nous menait nulle part. Soyez heureuse Cécile. Pour l'amour que je vous portais et pour celui que vous méritez.
Votre tendre,
docevil@removemefirst_free.fr