Meurs un autre jour

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Anonyme

Invité
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.


Arthur Rimbaud, « L’Éternité » (extrait), Vers nouveaux.


Il faudrait être fou pour croire de bonne foi que deux et deux font quatre. Il faudrait avoir perdu à jamais le sens commun pour se figurer que la vérité du monde sensible peut être englobée par une série d’équations et que nos certitudes les plus élémentaires sont la vérité qui prévaut partout dans le vaste univers. Nous n’avons pas de certitudes. Les outils que nous nous sommes forgés au cours des siècles (les mathématiques, la physique, la peinture, le langage, la musique…) ne nous ont permis rien d’autre que d’élaborer des représentations du réel, plus ou moins convaincantes, que nous admettons tous comme étant « vraisemblables » et même comme étant « vraies ». Or, deux et deux ne font quatre que si je le veux bien. La vérité n’est pas faite pour les hommes et les outils du « vraisemblable » ont en fait tout autant de crédit que le cachet de la Poste faisant foi sur la lettre envoyée au concours de la semaine de Télé 7 Jours.

Pour autant, ces codes familiers nous rassurent. Ils nous fournissent, en quelque sorte, une grille de lecture qui rend le réel moins hostile (moins réel ?) et qui nous donne même, par cette impression que le monde peut être compris, le sentiment apaisant de notre domination sur la Nature. Je n’ai pas plus de raison de redouter l’air que je respire et dont je peux me figurer la représentation atomique, que l’être aimé endormi, eau, azote, carbone et abattis divers couchés auprès de moi. Je sais que le monde est tel que je me le représente et cela me suffit.

Faisant le tri parmi mes certitudes, il ne s’en trouvé qu’une dont je me serais passé et qui, après examen, a bien voulu rester certaine : je suis né et je vais mourir. Cette vérité « vraie », révélée par l’expérience (beaucoup d’hommes sont morts avant moi), est irréductible (elle ne peut pas être réduite à une autre vérité qui lui soit antérieure) et inexorable (quand faut y aller, faut y aller…) Elle est pourtant celle aussi que je joue le plus à me cacher. Malgré le peu de plaintes parvenues jusqu’à nous, on peut aisément juger que la mort n’est pas une expérience des plus tentantes. Bien que je sois certain d’y passer, je me console grâce au sentiment que j’ai de mon éternité présente. Je vis comme si de rien n’était, espérant en secret me faire un peu oublier de l’administration céleste…

Alors arrivèrent les clones. Ou la promesse des clones, si l’on veut, ce qui revient au même. À l’intention de ceux qui ne seraient pas très au fait de la chose scientifique (1), je rappelle que le clonage est une technique permettant de reproduire des cellules à l’identique, et dont le but, thérapeutique ou reproductif, reste quand même de faire énormément parler des soi-disant « cloneurs » et de leur faire gagner le plus de fric possible. Bref (2)... Je devrais sans doute me réjouir de ce que d’éminents scientifiques, raéliens ou non, s’acharnent ainsi à fabriquer en tubes ces autres moi-mêmes qui traverseront les âges, me permettant, à la fin, d’arracher cette immortalité dont la Nature jalouse m’a privée. Je devrais célébrer le retour de mon éternité si longtemps en allée avec le soleil et la mer. Et puis non.

Décidément, non, je n’en veux pas de leur cadeau du diable aux allures de paradis. Je ne veux pas de ces moi grouillant partout, semblables et fades. Je ne veux pas de cette fausse éternité où je me verrai mourir un peu, de temps à autres seulement, en attendant le suivant.
Je veux les autres, j’ai besoin d’eux si différents de moi : ils sont le paradis et l’enfer véritables. Je veux une vie, mais une vie rien qu’à moi, et qui n’ait d’autre sens que celui que je lui aurais donné par mes actes. Je veux ma certitude, ma petite certitude absolue et solitaire, qui est comme un rempart contre la folie. Je veux mourir, comme deux et deux font quatre, parce que c’est mon destin d’homme et pour que ma vie soit belle.

Mais, si possible, un autre jour. Et que le ciel m’oublie !


J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.

Arthur Rimbaud, Les Illuminations.

(1) N’étant pas, moi-même, très au fait de la chose scientifique, je n’en voudrais à personne de me reprendre à ce sujet.
(2) C’est un mot dont j'use plus souvent que je ne l’applique.
 
C'est une réflexion que je partage bien volontiers
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Si l'administration celeste t'oublie, d'autres penseront à toi, ne te fais aucun soucis....

Y a bien quelqu'un qui te le fera avaler ton extrait de naissance...
 
Monsieur est de mauvaise humeur. T'as pété une corde hier soir ou quoi ?
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Moi non plus je ne veux pas de ces "toi" grouillant...

 
Meurs un autre jour...

C'est bien un truc de feignasse ça...

Moi je pense que dans ton cas c'est reculer pour mieux sauter...

Pourquoi remettre à demain ?
 
Je suggère un duel à la Sergio Leone.
Rue déserte, léger vent qui fait soulever un peu de sable.
Quelqu'un qui ferme ses volets
Harmonica de Morricone
Goutte de sueur sur le visage
Un chat qui miaule
Et....un coup de feu, un seul.
Lequel des deux va tomber...suspens. J'en ai les poils qui s'hérissent.

Reste à trouver le titre du film....
 
Moi je l'ai le titre :

Son nom est personne.
 
Merci Doc pour cette réflexion que je partage également.

À Claude qui s'en est allée en décembre 2002.
 
Ne la partagez pas trop, parce que trés vite il ne va plus rester grand chose...
 
<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par sonnyboy:</font><hr /> Moi je l'ai le titre :

Son nom est personne.


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C'est pas moi, c'est lui
 
Comme son nom l'indique, ce thread ne peut décemment pas mourir dès aujourd'hui.

(Merci à ceux qui aiment. Une pensée pour Bébert.)

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superbe...
je me demande souvent combien de temps tu mets à préparer une telle prose...
très probablement plus qu'il ne nous en faut tous pour y répondre...

chapeau!
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<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par decus:</font><hr /> superbe...
je me demande souvent combien de temps tu mets à préparer une telle prose...
très probablement plus qu'il ne nous en faut tous pour y répondre...

chapeau!
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Si tu as mis plus de 30 secondes à écrire ton post, tu devrais penser à consulter
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De toute façon trente secondes pour donner de mauvaises réponses à des questions qui ne se posent pas c'est déjà beaucoup....
 
<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par DocEvil:</font><hr /> Comme son nom l'indique, ce thread ne peut décemment pas mourir dès aujourd'hui.

(Merci à ceux qui aiment. Une pensée pour Bébert.)

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Je n'ai probablement pas su lire entre les lignes, et je demande à bébert de m'en excuser
 
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