A
Anonyme
Invité
Cela fera bientôt sept ans que mon meilleur ami sest marié.
Je garde un souvenir précis de cette journée qui mest chère pour au moins deux raisons. Jétais son témoin, ce qui naurait rien dextraordinaire sil ne me lavait demandé pour la première fois dans une cour décole, alors que nous avions dix ans. Ensuite, parce quil aura fallu attendre plus de vingt ans pour que, le rouge au front et la gorge nouée, je lui dise dans un presque sanglot (un peu mélodramatique, jen conviens, mais de circonstance) tout lamour qui me lie à sa personne, et qui na jamais faibli. Il est, sans lombre dun doute, la tour forte et le trésor véritable dont parlent les Écritures, et, pour ce qui me concerne, lun des plus beaux présents que mait fait ma chienne de vie. Je laime et cest ainsi, puisque je nai jamais douté, en dépit des innombrables différences qui nous opposent, que cest ainsi que cela devait être, et je suis fier de le lui avoir dit.
Nous avons presque tous sans doute de ces amours inexprimées qui pèsent sur nos vies. De ces élans du cur quon ravale longtemps, parce que cest compliqué de dire je taime (surtout quand cest si évident et si vrai), parce quon na pas les mots ou quil nous semble quils ne seraient pas à la hauteur du sentiment qui nous anime, parce que ce quon ressent est trop intime ou trop fort pour ne pas être fatalement diminué par le lexique et la grammaire On attend donc le moment adéquat, tout en sassurant au mieux quil ne vienne jamais : ce nest pas le jour, ce nest pas lheure, ce nest pas lendroit Combien dautres excuses minables ne va-t-on pas sinventer pour éviter de la froisser un tant soi peu sa petite pudeur ? Combien de mensonges raconte-t-on (et se raconte-t-on) pour retarder le plus possible le moment de dévoiler son cur, comme si laveu devait nous lier inexorablement, comme si le cur de lautre allait soudain devenir notre prison, et notre ressenti un geôlier intraitable ? Lamour est notre grande affaire, allez, et notre grande peur.
Il y aura sept ans le vingt juillet. Je ne garde quun souvenir confus du décor de la chambre où je les traînais, lui et son épouse, pour leur parler, enfin, de tout mon cur. Je me souviens surtout de la chaude accolade qui suivit, virile (cétait bien le moins) mais émue et tendre. Peut-être est-ce alors que je compris réellement quaimer est aussi beau et noble quêtre aimé. Et quil est doux pour nous dêtre depuis bien au-delà des mots !
Alors, voici ce que je vous propose. Il y a probablement de vieux amours qui pèsent sur vos existences (comme il en pèse sur la mienne) ; de vieux parents bien chiants et ennuyeux auxquels on sest juré pourtant, un jour, de dire je taime ; une bague quon sest promis doffrir ; une lettre qui attend depuis des années ; une chanson dont on a toujours prétendu quelle était impossible à écrire Peut-être, peut-être bien que ce pourrait être enfin pour vous comme pour eux le jour, lendroit et lheure. Je voudrais que vous fassiez partager vos hésitations et le bruit démentiel de vos pudeurs froissées. Je voudrais que tous, le dimanche 20 juillet, nous nayons rien dautre à dire que des mots damours, et rien dautre à chanter. Et je demande à tous ceux qui en auront le courage de nous faire partager leur moment de bonheur. Davance, merci.