Desproges : « Peut-on rire de tout ? »
«JE naurai pas de cancer. Je suis contre », avait coutume de dire lhumoriste Pierre Desproges. Il en est pourtant mort, à 48 ans, en avril 1988.
Tour à tour vendeur dassurances-vie, journaliste, chroniqueur télé et radio, showman, Pierre Desproges utilisait lhumour pour se défendre du désespoir.
Voici ce quil écrivait en 1983 dans le livre Vivons heureux en attendant la mort
:
« Le rire. Parlons-en, et parlons-en maintenant. Les questions qui me hantent sont celles-ci :
Peut-on rire de tout ? Peut-on rire avec tout le monde ?
A la première question, je répondrai oui sans hésiter. Sil est vrai que lhumour est la politesse du désespoir, sil est vrai que le rire sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, sil est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce quelle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce quelle ne pratique pas lhumour noir, elle, la mort ?
Regardons sagiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants, boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à lheure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout à coup ça sarrête, sans plus de raison que ça navait commencé, et le militant de base, le pompeux PDG, la princesse dopérette, lenfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui as cru en Dieu jusquau bout de ton cancer, tous, tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort imbécile, tandis que les droits de lhomme seffacent devant les droits de lasticot.
Alors : quelle autre échappatoire que le rire, sinon le suicide, poil aux rides ?
A la deuxième question, peut-on rire avec tout le monde ? Je répondrai : cest dur. »