Suggestion
Historique [modifier]
D'après les
philologues Oscar Bloch et
Walther von Wartburg, le terme de suggestion présente une connotation péjorative dès son apparition en
1174. On l'associe aux idées de
sorcellerie et de pratiques diaboliques. Il en sera de même pour le verbe suggérer apparu à la fin du
XVe siècle. Dans ses
Méditations sur l'évangile,
Bossuet dénonce les suggestions du démon. Il faut attendre le milieu du
XIXe siècle pour qu'
Émile Littré signale que suggestion « se dit quelquefois en bonne part ».
Suggestion et Hypnose [modifier]
Mentionnée par
James Braid à propos de l'
hypnose, puis par
Ambroise-Auguste Liébeault, la suggestion a surtout été définie et mise au centre du processus psychothérapeutique par
Hippolyte Bernheim. En
1884, Bernheim la définissait comme « acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui ». Selon Bernheim,
Joseph Delbuf, et les autres membres de l'
École de Nancy (aussi appelée École de la suggestion), c'est la suggestion qui explique l'
hypnose plutôt qu'un quelconque phénomène physiologique.
Ils s'opposent en cela à
Jean-Martin Charcot et
Pierre Janet de l'
École de la Salpêtrière. Dans le cadre de la polémique qui oppose les deux écoles, Janet déclare en
1889, « je ne suis pas disposé à croire que la suggestion puisse expliquer tout et en particulier qu'elle puisse s'expliquer elle-même ».
Mais Janet et Bernheim se rejoignent sur l'idée selon laquelle la suggestibilité n'est pas nécessairement liée à l'hypnose. Janet écrit dans
L'automatisme psychologique que « la suggestibilité peut être très complète en dehors du somnambulisme; elle peut être totalement absente dans un état de somnambulisme complet ». Bernheim en déduisait en
1891 que la psychothérapie suggestive opérait aussi bien, sinon mieux, sans hypnose. On retrouve une idée analogue chez
Milton Erickson, pour qui il peut très bien y avoir
hypnose sans rituel hypnotique.
Le pharmacien
Émile Coué, auteur de la célèbre méthode qui porte son nom, apprendra les techniques de suggestion de Liébeault et Bernheim en
1885.
Suggestion et Psychanalyse [modifier]
Dans la polémique qui oppose ses deux professeurs, Bernheim et Charcot,
Sigmund Freud prend une position proche de l'
École de la Salpêtrière. En
1921, revenant sur cette période, il déclare que sa résistance à la tyrannie de la suggestion s'est « orientée ultérieurement vers la révolte contre le fait que la suggestion, qui expliquerait tout, devrait elle-même être dispensée d'explication ».
Tout comme Charcot, et contrairement à Janet, Bernheim ou Erickson, Freud fait de la suggestibilité un trait caractéristique de l'
hypnose, elle-même assimilée à un état pathologique objectivable. Ainsi, en rejetant l'hypnose, il pense se débarrasser de la suggestion.
Pour Freud, la suggestion trouve - comme l'
hypnose - une limite dans son application du fait de la variabilité de la suggestibilité des patients. À la suite de Charcot, il considère que le modèle des patients susceptibles d'être influencés devrait être les hystériques mais que, même pour ces personnes, la technique de suggestion et/ou l'hypnose ne fonctionne pas suffisamment pour fonder un traitement. Après l'édification du modèle de la cure psychanalytique, la suggestion devient une sorte de manquement à la position de neutralité de l'analyste qui n'a pas à intervenir dans le processus associatif de son patient.
Nombre de contemporains de
Sigmund Freud, tels les psychiatres
Eugen Bleuler ou Leopold Löwenfeld considèrent que la suggestion continue à jouer un rôle très important dans l'analyse. Ainsi, Löwenfeld écrit dans un article de
1899 « les patients étaient soumis à une influence suggestive de la part de la personne qui les analysait » et Bleuler en
1896 « il est tout à fait possible que les succès thérapeutiques de la "méthode cathartique" soient tout simplement basés sur de la suggestion ». Freud, quant à lui, a toujours maintenu que la suggestion n'intervenait pas dans les interprétations et les constructions analytiques.
Plus récemment, des analystes comme Michel Neyraut ou
René Roussillon entre autres, considèrent que la psychanalyse n'en a pas terminé avec la question de l'impact de la suggestion. De son côté,
François Roustang, dans son article
Suggestion au long cours, publié en
1978 dans la
Nouvelle Revue de Psychanalyse, souligne le rôle de la suggestion dans la cure psychanalytique. Cet article sera repris en
1980 dans son livre
Elle ne le lâche plus....
Mikkel Borch-Jacobsen souligne en
2002 que « le refus de Freud de reconnaître le rôle de la suggestion correspond théoriquement à une très profonde
objectivation de la relation thérapeutique, comme si la parole des patients ne faisait que reproduire un pur "mécanisme psychique" observable de l'exterieur ».
Bibliographie [modifier]
- Hippolyte Bernheim, De la Suggestion dans l'État Hypnotique et dans l'État de Veille, Paris, 1884, (Rééd. L'Harmattan, 2004) (ISBN 2747556239)
- Pierre Janet, L'automatisme psychologique: Essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l'activité humaine, Masson , 1889, (Rééd. en 1989 selon le texte de la 4e éd) (ISBN 2225818258)
- François Roustang, Elle ne le lâche plus..., Minuit, 1980 (ISBN 2707303194)
- François Roustang, Influence, Minuit, 1991 (ISBN 2707313653)
- Léon Chertok, Résurgence de l'hypnose, Desclée de Brouwer, 1984
- A. Cuvelier, Hypnose et suggestion, de Ambroise-Auguste Liébeault à Émile Coué, Puy Nancy, 1991, (ISBN 2864802902)
- René Roussillon, Du baquet de Franz Mesmer au baquet de Sigmund Freud, PUF, 1992 (ISBN 2130441688)
- Mikkel Borch-Jacobsen, Folies à plusieurs. De l'hystérie à la dépression, Empêcheurs de penser en rond, 2002
- Michel Neyraut, Le transfert: Etude psychanalytique, PUF, 2004 (ISBN 2130548016)
- Michel Larroque, Hypnose, suggestion et autosuggestion, L'Harmattan 1993.
Liens internes [modifier]