Ultra-moderne solitude

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Anonyme

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Avis au lecteur
Ami de la gaudriole et de la blague facile, toi qui pénètres le cœur content dans cette cathédrale du rire et de la mise en boîte, si tu es en quête du dernier bon mot ou d’une quelconque saillie drolatique, passe ton chemin. Crois-m’en, garde ton cœur léger. Les quelques pauvres lignes qui suivent ne sont pas pour toi. Car, comme le dit si bien — et avec quelle délicatesse — le fameux proverbe phamaco-mercatique : « La douleur, c’est moche. »



Je vous ai déjà parlé de Madame Germaine et je m'aperçois qu'en dehors de ses araucarias splendides, vous ne savez presque rien d'elle. J'en sais moi-même assez peu à vrai dire et, n'étaient nos "bonjour" du matin, je crois que je ne me serais jamais soucié de connaître l'identité de la locataire du premier. Je m'empresse d'ajouter qu'il y a à cet étage deux appartements, A et B, mais que le second est inoccupé depuis plusieurs mois et, en tout cas, depuis une date antérieure à mon arrivée dans l'immeuble.
Germaine Duprat (j'ai lu son nom sur la boîte aux lettres dans le hall) doit avoir entre 60 et 70 ans. Elle est de taille moyenne, environ 1,60 m, avec, comme c'est souvent le cas pour les femmes d'un certain âge, une tendance à l'embonpoint disgracieusement fixée sur ses hanches. Elle est peu coquette et traîne le plus souvent en savates lorsque nous nous croisons. Elle a dû être brune, si on en croit la racine récalcitrante à se ternir de certains de ses cheveux gris. Elle n'a jamais été belle.
Madame Germaine vit seule. Je n'ai jamais vu quiconque entrer ou sortir de chez elle et je ne lui connais pas d'autre compagnie que celle de ses chats et d'un canari dont la cage reste sur le palier, juste à côté du bel araucaria.

Bien que ce soit à peu près tout ce que je sais d'elle, je sais aussi que je ne l'aime pas. Je n'aime pas l'odeur d'encaustique sur le palier ou celle qui se répand de son appartement lorsque la porte en reste entrouverte. Je n'aime pas la cage du canari parce que je n'aime pas les cages. Je n'aime pas les savates parce que je n'aime pas qu'on traîne des pieds. Je n'aime pas qu'on soit dans l'escalier quand je pars travailler ou que je rentre de faire des courses. Je n'aime pas qu'on assiste à ma vie comme à un spectacle, où l'on viendrait mendier des bouts d'humanité pour remplacer ceux-là qu'on a pas su garder.
Mais j'aime les chats, quand ils viennent se frotter sur mes jambes ou jouer avec mon lacet. Et j'aime le sourire de Germaine, qui est un beau sourire.

Ce matin, Madame Germaine était encore sur le palier. En descendant l'escalier, je la trouvais penchée qui déposait au sol un bol de lait à l'attention d'un de ses quatre chats. Plusieurs locataires se sont souvent plaint des "nuisances" occasionnés par "la meute féline du premier", mais je n'ai pour ma part jamais rien dit à ce sujet. Elle me lança le "bonjour" habituel auquel je répondis, son sourire parut, et je sortis.



Quand le soir vient et que j'ai fini de grappiller mon plateau télé devant le 19 h/20 h de la 3, j'allume l'ordinateur. Je me cale dans un fauteuil et lorsque le système est enfin lancé, je me connecte sur la messagerie en direct. Comme par magie, une fenêtre s'ouvre alors, pleine de ces noms étranges et de ces vignettes aux couleurs vives dont j'ai déjà dit l'histoire*. J'ai remplacé certains de ces noms par les prénoms des personnes auxquelles ils appartiennent dont j'ai fait connaissance. Si l'une d'elles est connectée, son "avatar" apparaît aussitôt et le dialogue commence. Si personne n'est là, j'attends. Je fume une cigarette. J'écoute un vieux morceau. Et j'écris, les jours fastes...

Il m'a fallu du temps pour me voir ainsi. Je veux dire en savates, sur le palier virtuel d'un immeuble numérique dont les étages s'illuminent et s'éteignent tour à tour. Personne ne saura ni quel est mon sourire ni si mes cheveux grisonnent déjà à la lueur électrique de l'écran. Je reste silencieux, spectateur de cette vie irréelle qui s'organise au bout de mes doigts et à laquelle je n'appartiens pas encore. J'attends. Je veux la voir bondir cette putain d'icône qui me dira que je ne suis plus seul. Je veux mon bout d'humanité pour ce soir, mes vingt centimètres d'humanité propre et sèche, sans embonpoint, sans odeur de graillon, sans canari et sans visage. Sans lendemain.



Ceux qui savent, ceux qui sentent, ceux que j'aurai croisés un soir de demi-brume sauront pourquoi j'ai écrit cette histoire. Ceux-là connaissent le poids terrible que l'existence pèse parfois et la difficulté d'être. Le grand réseau numérique et froid est plein de cette affreuse petite souffrance d'enfant gâté dont on ne peut qu'avoir honte quand on a tout pour être heureux, de ce petit malheur ordinaire et mesquin du suralimenté computophile, de cette peine sans nom, toute bête et qu'on ne peut pas dire, mais qui vous serre le cœur jusqu'aux lèvres.

Qu'on me pardonne si je garde une pensée pour les enfants gâtés et les femmes vieillissantes !

* Voir "Madame Germaine", dans la même collection et du même auteur.
 
<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par DocEvil:</font><hr />
Ceux qui savent, ceux qui sentent, ceux que j'aurai croisés un soir de demi-brume sauront pourquoi j'ai écrit cette histoire. Ceux-là connaissent le poids terrible que l'existence pèse parfois et la difficulté d'être. Le grand réseau numérique et froid est plein de cette affreuse petite souffrance d'enfant gâté dont on ne peut qu'avoir honte quand on a tout pour être heureux, de ce petit malheur ordinaire et mesquin du suralimenté computophile, de cette peine sans nom, toute bête et qu'on ne peut pas dire, mais qui vous serre le c&amp;#339;ur jusqu'aux lèvres.
<hr /></blockquote>
Moi, je sais Doc !
Il est peu de gens qui peuvent lire "entre les lignes" de certains posts et y déceler parfois l'énergie du désespoir...
Cela est réservé à ceux qui ont vécu, qui ont souffert ou qui ont vu souffrir mais qui, surtout, se réfugient dans l'imaginaire de leur enfance pour échapper un tant soit peu à cette ultra-moderne solitude que tu décris si bien...
Cette solitude, cette demi-brume comme tu dis, nous entoure et parfois nous étrangle - à ce moment, on prend son clavier comme jadis on prenait sa plume et on couche ses sentiments sur l'écran, bien enrobé sous une couche de gaudriole, de calembours ou d'élucubrations débiles ... on existe, puisqu'on poste et qu'on nous répond !
Mais tout n'est pas si noir et glauque et parfois je me plais à imaginer le sourire de certains lecteurs improvisés, même si ce sourire n'est que virtuel ...
A ce moment, je suis heureux !!!
Amitiés,
thebig
 
On t'as reconnu Docteur Denfer !
evilpinky.jpg


/ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/laugh.gif

Désolé… /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/rolleyes.gif
 
<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par DocEvil:</font><hr />Elle est de taille moyenne, environ 1,60 m, avec, comme c'est souvent le cas pour les femmes d'un certain âge, une tendance à l'embonpoint disgracieusement fixée sur ses hanches. Elle est peu coquette et traîne le plus souvent en savates lorsque nous nous croisons. Elle a dû être brune, si on en croit la racine récalcitrante à se ternir de certains de ses cheveux gris. Elle n'a jamais été belle.
Madame Germaine vit seule. Je n'ai jamais vu quiconque entrer ou sortir de chez elle et je ne lui connais pas d'autre compagnie que celle de ses chats et d'un canari dont la cage reste sur le palier, juste à côté du bel araucaria.
<hr /></blockquote>

J'ai trouvé... c'est pépé rico dont tu parles /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/laugh.gif autrement appelé aussi "Tatie Danièle" par Al... oups... non rien /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/tongue.gif /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/laugh.gif (ahem toussrtouss)
 
C'est quoi cette histoire de solitude virtuelle? Ne pouvons-nous pas seulement être seul, sans pour autant être seul "pour de faux"?

Toutes nos émotions ne sont que de bannales réactions chimiques, qu'elles soient réelles ou virtuelles, se sont les mêmes réactions!

Lorsque je dialogue "virtuellement" en direct, je rigole souvent "réellement" (et réciproquement d'ailleurs). La frontière n'est pas si épaisse que cela...

Je discute avec de "vraies" personnes, et Madame Germaine est aussi réelle qu'elles. Je me sens plus seul admirant un coucher de soleil que devant mon ordinateur.

La solitude ne doit pas être un "mal" mais une manière de voir le monde dans sa simplicité, d'ouvrir ses yeux sur d'autres véritées, de "penser autrement" et enfin, pourquoi pas, de s'ouvrir aux autres.

Relativisons bon sang!

Nous sommes en effet des privilégiés, et j'envie parfois Madame Germaine...

Merci DocEvil, et à demain /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/wink.gif
 
6 jours absent de MacGé et on rate un message " wouaw " /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/wink.gif
(wouaw = message que l'on aurait aimé écrire si on en avait eu le talent.)
Vu la longueur et l'esprit, il n'en faudrait pas trop des pareils mais bon quel bonheur.
 
/ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/frown.gif /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/frown.gif /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/frown.gif adieu..... PAN ! pan ! /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/ooo.gif /ubbthreads/http://forums.macg.co/vbulletin/images/smiliesold/ooo.gif
 
DocEvil a dit:
Je reste silencieux, spectateur de cette vie irréelle qui s'organise au bout de mes doigts et à laquelle je n'appartiens pas encore. J'attends. Je veux la voir bondir cette putain d'icône qui me dira que je ne suis plus seul. Je veux mon bout d'humanité pour ce soir, mes vingt centimètres d'humanité propre et sèche, sans embonpoint, sans odeur de graillon, sans canari et sans visage. Sans lendemain.

c'est le contre coup de l'été... not'doc a dut faire pampelune, dax, bayonne, arthez, monein, ezskioul, le tournoi de mesplede et les 24 heures de pomps... alors forcement, c'est pas facile de se retrouver seul face à l'ecran !
courage doc !
 
<blockquote><font class="small">Post&eacute; &agrave; l'origine par thebiglebowsky:</font><hr />
Mais tout n'est pas si noir et glauque et parfois je me plais à imaginer le sourire de certains lecteurs improvisés, même si ce sourire n'est que virtuel ...
<hr /></blockquote>
Il ne l'est pas toujours (virtuel)... je souris vraziment... les yeux réjouis de ce que je peux lire parfois !
 
Même si tout peu paraitre froid,des gens m'ont déjà fait battre le coeur sur internet,et alors fait sourir ou pleurer.

Jolie texte.Très jolie même....Ton écriture est très fluide Doc,et c'est pour moi sa qualité première.

Ce qui me gene un petit peu,si je peux me permettre : Pourquoi mettre en opposition ces deux moyens de communiquer ?

Tu ignores ta voisine de palier mais tu vas le soir sur le net pour voir si quelqu'un peu te parler...

C'est toi qui est quelque peu "malade"...

Je trouve justement que l'un empeche pas l'autre,et je dirais même que,en ce qui me concerne,les deux sont alliés : j'en ai connu du monde,dans le monde réel grace au monde virtuel !

Je pense aux AES, je pense aux rencontres et soirées que je passe,ici à marseille avec ces gens que je ne connaissais pas et qui maintenant sont de vrais potes !

Je trouve même parfois celà encore plus fort,de se rencontrer sur le net et de devenir potes...Il y a comme quelque chose de magique...

D'ailleurs arriver au moment ou tu allumes ton ordi dans le texte,je croyais que Germaine allait apparaitre dans la liste en disant : "bonjour".

Là ça aurait été magique !

Mais la mélancolie et le mal de vivre ont l'air de t'inspirer beaucoup plus ! Je me trompe ?

Comme toujours,remerciement à toi pour ces nouvelles rafraichissantes doc.

Mais bon sang,un peu d'optimisme tout de même !

Enfin,avec tout ça j'ai envie d'écrire moi aussi....
wink.gif

 
</font><blockquote><font class="small">Citer:</font><hr />
Je n'aime pas qu'on assiste à ma vie comme à un spectacle, où l'on viendrait mendier des bouts d'humanité pour remplacer ceux-là qu'on a pas su garder.<hr /></blockquote>
Peut-être qu'elle n'a pas su garder de bouts d'humanité, mais peut-être aussi n'en a t'elle jamais eu, ce qui expliquerait son attitude.
 
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