"Je marchai avec eux jusqu'à la voiture de police. Ils me mirent devant avec Andy, le chauffeur. Mike s'installa derrière moi. Comme nous passions sous le réverbère, je vis qu'il avait un visage massif et grêlé. Son copain était plus petit, plus mince, avec des sourcils blonds et un nez pointu.
Nous fûmes près de la Chevrolet presque avant que j'aie fini de m'asseoir. Nous nous rangeâmes à côté. Andy allongea une main.
- Les clés.
Je les lui donnai.
- Pour démarrer, il faut...
- Je sais, dit-il en s'extirpant de derrière son volant.
Il alla lancer le démarreur de la Chevrolet, deux ou trois fois, puis sortit et souleva le capot. Il éclaira le moteur avec sa torche pendant une minute, puis ferma le capot et revint.
- C'est bien comme il a dit.
Il me rendit les clés et je me sentis mieux. Mike s'éclaircit la gorge.
- Et alors? Ça ne signifie pas qu'il est innocent.
Andy pianota sur le volant.
- Il ne pourrait pas utiliser ce tacot pour se sauver. Au fait, comment t'appelles-tu, fiston?
- David Carey.
- Et le nom de ton père?
- Samuel E. Carey.
Andy hocha la tête.
- La plaque est à ce nom. Fais voir ton permis de conduire.
Je le lui passai. Il y jeta un coup d'oeil et me le rendit.
- C'est exact.
- Bien sûr, dis-je. Tout est exact. Écoutez, je vous ai dit la vérité. Pourquoi ne pas me laisser partir et vous mettre à la recherche de cet autre type? Il faut encore que je téléphone chez moi, et il vaudrait mieux que j'appelle le garage.
Mike souleva le sac de pièces..
- Qui nous dit que tu ne figures pas une ou deux fois déjà sur le registre du sergent Jensen?
- Oh ! non. Je n'ai jamais eu d'histoires de ma vie. Je ne tiens pas a commencer maintenant.
Andy fit:
- On ne veut pas être vaches envers personne, fiston. Mais on serait des drôles de flics si on ne t'emmenait pas au poste. Ils ne feront probablement rien, mais ils aiment bien prendre les décisions eux-mêmes.
- Mais l'auto...
- T'en fais pas pour l'auto. Si tu n'as rien à te reprocher, nous veillerons à ce que tu n'aies pas d'ennui pour quelque chose que tu n'as pu empêcher.
Il poussa le levier sur Marche, et nous roulâmes.
Nous fûmes au poste en moins de dix minutes. Ils m'emmenèrent dans une pièce avec plusieurs chaises en bois le long des murs, un plancher usé et un flic derrière un bureau. Il avait le cheveu brun clairsemé, et une figure en lame de couteau. Je sus que c'était le sergent de nuit, Driscoll.
Il me regarda, impassible, puis sortit une espèce de formulaire et se mit à me poser des questions. Lorsqu'il en arriva à mon âge, et que je dis: « Seize ans », il regarda Mike, puis déclara:
- Vaut mieux appeler ses parents pour qu'ils viennent ici. Qu'a-t-il fait? - On suppose qu'il a fracturé un téléphone public pour prendre la mitraille. Tenez.
Mike posa le sac sur le bureau.
- Alors ils n'auront pas besoin d'avocat. Son vieux suffira.
Mike empoigna le téléphone.
- Quel numéro, petit?
Je me tournai vers le sergent Driscoll.
- Vous allez m'inculper?
Il ne sourcilla même pas.
Il faut que ce soit enregistré, fiston. Ils t'ont amené. Je n'ai pas encore tout entendu. Mais tout ce qui est amené ici doit être inscrit. Maintenant, allons-y. Je ne dis rien, cherchant le moyen d'éviter que mon nom soit sali.
Driscoll reprit :
- Si tu n'as rien fait, ça ne peut pas être retenu contre toi. Tu as seize ans. Nous n'avons pas l'habitude de raconter dans toute la ville quels sont les gosses qui viennent ici. A présent, finissons-en, car j'ai autre chose qui m'occupe.
Andy, qui se tenait à côté de moi, jeta une allumette dans un
cendrier sur le bureau.
- Qu'est-ce qui se passe?
- Une espèce de rixe a éclaté il y a cinq minutes, expliqua Driscoll, près du carrefour de Locust et de la 3e Rue. Et la famille d'une fille a appelé, à peu près au même moment, pour déclarer que la môme est en retard pour rentrer - elle n'est ni chez ses amis ni dans les hôpitaux. Elle a dû se planquer quelque part avec un gars. (Il me regarda.) Elle s'appelle Joyce Reynolds. Tu la connais?
- Je sais qui c'est. Elle est dans la classe au-dessus de moi au collège.
- Avec qui sort-elle?
- J'ai entendu dire que c'est avec Herb Blackwood.
Il regarda un bloc-notes.
- Il déclare ne pas l'avoir vue...
Andy demanda paresseusement:
- Aucun gang de gosses n'a rien fait, ce soir?
- Pas que je sache. Bon... Revenons à nos moutons.
Il regarda Andy, puis Mike.
- Parlez-moi de celui-ci.
Environ une demi-heure après, papa arriva. Il n'entra pas comme un ouragan, comme certains pères qu'on voit à la télévision; et il n'entra pas le chapeau à la main, prêt à se faire marcher dessus. Il me regarda simplement, puis regarda Driscoll (les deux autres étaient repartis au travail), et dit:
- L'agent qui a téléphoné disait que Dave a été surpris en train de fracturer un téléphone public.
Le sergent tapota le papier du bout de son crayon.
- On le dirait, oui, Mr Carey. Mais il y a une histoire au sujet de votre auto, qui pourrait être en sa faveur.
- Que voulez-vous que nous fassions?
Nous.
Le sergent fut précis.
- Nous allons transmettre ce rapport au sergent Jensen, de la Brigade des mineurs, et le laisser vérifier. Pour le moment, nous confions ce garçon à votre garde. Je suggère qu'il revienne ici demain, pour parler avec le sergent Jensen.
- Il viendra. A quelle heure?
Driscoll réfléchit.
- Cela prendra un certain temps. Inutile de lui faire manquer l'école. Disons vers quatre heures.
- Il sera ici à quatre heures. Dois-je venir aussi?
- Comme vous voudrez. Jensen ne les avale pas pour les recracher en petits morceaux. Et parfois, ça s'arrange mieux quand l'enfant est seul. Pourquoi ne pas vous en remettre à lui?
- Entendu.
Papa se détourna et m'examina.
- Tu ne sembles pas mal en point... Mais ta mère dira peut-être quelque chose pour cette terre sur tes genoux. Comment as-tu attrapé ça ?
- Je brossai mon pantalon. Ça ne s'en allait pas bien.
- Je suppose que c'est en m'agenouillant dans cette cabine pour ramasser l'argent. Driscoll fit une légère grimace. Sa voix grinça un peu:
- Il n'a pas été maltraité, si c'est ce que vous voulez dire.
Il nota quelque chose sur le papier placé devant lui.
Papa semble très inoffensif quelquefois, mais ce ne fut pas le cas; ses yeux brillèrent, et je crus presque voir ses cheveux crépiter.
- Personne n'a suggéré ça, avant que vous le fassiez, lança-t-il à Driscoll. Personne n'en parlera si ce n'est pas nécessaire. Mais quelqu'un le fera si cela s'avère nécessaire.
Il se retourna vers moi.
- Maintenant, dis-moi ce qui est arrivé à la voiture et rentrons chez nous.
(à suivre)