Je ne suis pas d'accord avec toi, mon guigui. Et sur la question des esclaves de Khéops ou d'autres, et sur celle du bâtiment de Perrault.
Mais je ne suis pas d'accord avec tes contradicteurs non plus. Et c'est à eux que je m'adresse plus qu'à toi.
Pour être plus exact, je ne remets en cause ni la beauté pyramidale, ni les choix de Perrault. En tant que monuments, les deux sont, à mon sens, des éléments structurants de leur environnement et de leur contexte historique et culturel.
Je ne mettrais même pas à verser dans la litanie des critiques des intellectuels - essentiellement parisiens et usagers - de la TGB. La plupart de ces gens ne regardent que leurs pieds, cela les empêche de voir l'horizon. D'autant que l'architecture des bibliothèques est un sujet largement débattu, et que peu de choix architecturaux ne
comportent pas d'inconvénients.
La question, pour moi, est autre.
La BNF est, comme tout bâtiment, une affaire de choix au sein de contraintes, comme tu l'a rappelé.
Et ce qui est en cause n'est pas le produit final de cette équation, mais les contraintes de départ. D'où le malentendu profond de la controverse entre les architectes et les "usagers".
La seconde des contraintes aberrantes de ce bâtiment est sa commande. Fallait-il créer un monument pour la BNF ? La question mérite d'être posée lorsque émerge la question de la numérisation des documents, et le cout du monument en question.
Mettre la bibliothèque en bords de seine était un contresens dont l'architecte n'est pas responsable. Il doit faire avec. Des silos enterrés auraient nécessité la mise en œuvre de protections aussi couteuses que leur élévation.
Et le cout de fonctionnement, c'est bien la question que pose Loustic. Et ce n'est pas une question de salon de coiffure.
La BNF nouvelle coute trois fois plus cher que l'ancienne. Passons sur le surcout de l'accueil, nécessaire à la diversification des salles de consultations. Nécessaire en tout cas en fonction de la seconde contrainte, l'aberration monumentale, dont je parlerais plus tard.
Mais le cout de maintenance est exorbitant. Pour parler consommation de fluides, la BNF consomme autant qu'une ville de 30 000 habitants*.
Cette préoccupation doit elle être la préoccupation de l'architecte ?
En règle générale, oui, assurément. Et les bibliothécaires sont d'ailleurs très attentifs à cela. Les bibliothèques (municipales, départementales) sont certainement les bâtiments les plus avancés sur les questions de développement durable, ou de Haute Qualité Environnementale, comme on dit (même si la HQE est souvent une vaste fumisterie, mais c'est un autre débat).
Mais la question n'était pas là pour la BNF. Elle n'était pas dans le cahier des charges, d'ailleurs. On s'en foutait.
Là, sur ce plan de terrain parisien réservé par l'État, devait se dresser un monument à la gloire des lettres et de 'histoire françaises. Et la gloire, c'est l'amour. Quand on aime, on ne compte pas. Qu'aujourd'hui le cout de fonctionnement de la BNF soit équivalent aux couts de fonctionnement de 40% des bibliothèques universitaires n'a pas d'importance... D'ailleurs les bibliothèques universitaires n'ont pas d'importance. On s'en fout.
Et pourtant.
Vallait-il mieux construire un temple pour la BNF, accueillant chercheurs du monde entier, et surtout du tout Paris, ou permettre à l'ensemble des chercheurs français un meilleur accès aux sources grâce à une numérisation et un réseau de partage et d'accueil plus performant ?
La question ne s'est pas posée,
grands travaux oblige.
On a donc construit ce monument. On a dit qu'il devait se faire là, et qu'il devait marquer son temps.
Et c'est une profonde aberration.
Le résultat n'est pas la faute de l'architecte. L'architecte a fait son taf, et plutôt bien, compte tenu de ses contraintes et de ses choix de départ. Et ses choix valent surement moins que d'autre, c'est certain, et d'autant plus facile à dire qu'on ne sait pas ce qu'auraient donné les autres choix.
Bref, le problème n'est pas celui de la réalisation, mais celui de la commande. Et lorsqu'on discute architecture ou urbanisme, il est bon de se poser la question du pourquoi de la commande. Ça évite la facilité de tout foutre sur le dos de l'architecte.
Ça n'exonère pas l'architecture de devoir être une science sociale, hein. Mais elle n'est pas la mère de tous les maux.
Tu vois, finalement, je suis d'accord avec toi.
*
c'est vrai qu'à cette aune-là, la réintroduction des faucons pèlerins à Paris soir redevable de la TGB est assez anecdotique, sur le plan environnemental. Quasiment putassier, même.