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Membre supprimé 1210397
Invité
De quelle « sagesse » parlez-vous donc ?La sagesse consisterait peut-être à continuer dans le sens du reconditionné/occase. Dans deux-trois ans on pourra sans doute trouver du M1 à pas cher, restera le problème de l’obsolescence du point de vue des systèmes.
Imaginons un développeur résolument écologiste : son gagne-pain consiste à affiner, année après année, un logiciel qu'il a conçu au moment où la firme à la pomme lançait son iMac tout-en-un — le G3. Le logiciel suit pas à pas les évolutions des OS successifs. Ici et là, on rabote, on ajuste, on peaufine. Bon an mal an, le logiciel se vend. Vingt ans passent. Le vent tourne. Le « reconditionné/occase » devient la norme. La prudence écolo est le nouveau bon sens : désormais, il faut penser « recyclage » et « circularité », circuit court et durabilité. Tout y passe drastiquement, des vêtements aux voitures, des appareils en veux-tu en voilà aux jeux de société, aux jouets, aux livres, etc. Pour de nombreux consommateurs, le produit neuf — origine usine, emballé tout plastique —, devient peu à peu l’exception. Imaginons. Un monde nouveau naît sous nos yeux. (…) Écologiste convaincu, notre développeur est tout de même très inquiet : les nouveaux processeurs mis au point récemment par la firme à la pomme sont vraiment prometteurs. Aucune commune mesure avec le vieux G3 : tout va très vite. Les acheteurs, cependant, s’en détournent. Sous la pression du tact écologiste, les lois du Marché ont été englouties par de nouveaux usages : on récupère, on recycle, on fait main, on fait maison, rien ne se perd, rien ne se crée, on transforme. (Je force un peu le trait pour les besoins de la démonstration.) Le logiciel lui-même n’a plus à être développé : il suffit d’assurer la maintenance de ses fonctions primaires. Dans cette économie dite « circulaire », l’avenir de notre développeur — le mot est faible — est incertain : à quoi bon continuer à développer un produit auquel aucun marché ne correspond plus vraiment ? Pourquoi s’entêter à concevoir de nouvelles fonctionnalités logicielles, si, au final, le faible volume de ventes ne justifie plus aucun frais de création ? (Par comparaison, que l’on songe un instant à la situation économique d’un constructeur de voitures qui s’entêterait à produire une automobile à essence dans un monde sans pétrole.) Bref.
La circularité requiert sans doute bien plus qu’une mobilisation de niche. Autre échelle, autre amplitude, autre envergure. Autre modèle économique. Autre « sagesse ».
Les OS concurrents de la pomme, c’est vrai, proposent un « esprit », sinon une « sapience », dans un secteur — l’open-source logiciel, le hardware reconditionné — où le consommateur, toutefois — pardon, le reconditionneur —, est acquis solidement à la cause. Ici, l’ordinateur sans packaging — j’exagère — devient un bien vraiment commun à un prix réellement imbattable. Et peut-être est-ce une voie ? Mais, d’où les développeurs acquis-à-la-cause tirent-ils donc leurs revenus puisque l’Eldorado software bat désormais pavillon morne ? Étendons l’expérience : et si demain, chacun d’entre nous apprenait à cultiver son propre potager, à faire lui-même son pain, à assurer l’entretien de sa chaudière, seul ou avec l’aide d’un voisin ? La liste, cela va de soi, est loin d’être exhaustive.
La sagesse à laquelle vous faites allusion — le « reconditionné/occase » — fonctionnerait vraisemblablement à l’échelle d’une économie d’une tout autre nature que celle dans laquelle nous vivons, travaillons, jouons, pensons actuellement : une économie coopérative, collaborative… collectiviste ?
Dans cette nouvelle économie, l’ordinateur individuel — même recyclé — a-t-il encore vraiment un sens ? (Je vois qu’on tremble. La question est pourtant dramatiquement sérieuse.) Et notre développeur, dans l’entre-deux, qu’est-il devenu ? Dans quel nouveau secteur d’activités a-t-il fallu qu’il se recycle, lui aussi ?