Contre Switch

La sagesse consisterait peut-être à continuer dans le sens du reconditionné/occase. Dans deux-trois ans on pourra sans doute trouver du M1 à pas cher, restera le problème de l’obsolescence du point de vue des systèmes.
De quelle « sagesse » parlez-vous donc ?
Imaginons un développeur résolument écologiste : son gagne-pain consiste à affiner, année après année, un logiciel qu'il a conçu au moment où la firme à la pomme lançait son iMac tout-en-un — le G3. Le logiciel suit pas à pas les évolutions des OS successifs. Ici et là, on rabote, on ajuste, on peaufine. Bon an mal an, le logiciel se vend. Vingt ans passent. Le vent tourne. Le « reconditionné/occase » devient la norme. La prudence écolo est le nouveau bon sens : désormais, il faut penser « recyclage » et « circularité », circuit court et durabilité. Tout y passe drastiquement, des vêtements aux voitures, des appareils en veux-tu en voilà aux jeux de société, aux jouets, aux livres, etc. Pour de nombreux consommateurs, le produit neuf — origine usine, emballé tout plastique —, devient peu à peu l’exception. Imaginons. Un monde nouveau naît sous nos yeux. (…) Écologiste convaincu, notre développeur est tout de même très inquiet : les nouveaux processeurs mis au point récemment par la firme à la pomme sont vraiment prometteurs. Aucune commune mesure avec le vieux G3 : tout va très vite. Les acheteurs, cependant, s’en détournent. Sous la pression du tact écologiste, les lois du Marché ont été englouties par de nouveaux usages : on récupère, on recycle, on fait main, on fait maison, rien ne se perd, rien ne se crée, on transforme. (Je force un peu le trait pour les besoins de la démonstration.) Le logiciel lui-même n’a plus à être développé : il suffit d’assurer la maintenance de ses fonctions primaires. Dans cette économie dite « circulaire », l’avenir de notre développeur — le mot est faible — est incertain : à quoi bon continuer à développer un produit auquel aucun marché ne correspond plus vraiment ? Pourquoi s’entêter à concevoir de nouvelles fonctionnalités logicielles, si, au final, le faible volume de ventes ne justifie plus aucun frais de création ? (Par comparaison, que l’on songe un instant à la situation économique d’un constructeur de voitures qui s’entêterait à produire une automobile à essence dans un monde sans pétrole.) Bref.

La circularité requiert sans doute bien plus qu’une mobilisation de niche. Autre échelle, autre amplitude, autre envergure. Autre modèle économique. Autre « sagesse ».
Les OS concurrents de la pomme, c’est vrai, proposent un « esprit », sinon une « sapience », dans un secteur — l’open-source logiciel, le hardware reconditionné — où le consommateur, toutefois — pardon, le reconditionneur —, est acquis solidement à la cause. Ici, l’ordinateur sans packaging — j’exagère — devient un bien vraiment commun à un prix réellement imbattable. Et peut-être est-ce une voie ? Mais, d’où les développeurs acquis-à-la-cause tirent-ils donc leurs revenus puisque l’Eldorado software bat désormais pavillon morne ? Étendons l’expérience : et si demain, chacun d’entre nous apprenait à cultiver son propre potager, à faire lui-même son pain, à assurer l’entretien de sa chaudière, seul ou avec l’aide d’un voisin ? La liste, cela va de soi, est loin d’être exhaustive.

La sagesse à laquelle vous faites allusion — le « reconditionné/occase » — fonctionnerait vraisemblablement à l’échelle d’une économie d’une tout autre nature que celle dans laquelle nous vivons, travaillons, jouons, pensons actuellement : une économie coopérative, collaborative… collectiviste ?

Dans cette nouvelle économie, l’ordinateur individuel — même recyclé — a-t-il encore vraiment un sens ? (Je vois qu’on tremble. La question est pourtant dramatiquement sérieuse.) Et notre développeur, dans l’entre-deux, qu’est-il devenu ? Dans quel nouveau secteur d’activités a-t-il fallu qu’il se recycle, lui aussi ?
 
Est-ce à dire que le développeur est, ontologiquement, destiné à contribuer ou participer à cette course effrénée vers toujours plus de vitesse, de consommation, de gaspillage, etc. ?
Je comprends le désarroi du développeur écologiste dans ton exemple. Mais cela ne montre qu'une chose : que l'engagement et l'action "écologiste" (ou "décroissante", "raisonnée", quel que soit le nom qu'on lui donne) au niveau individuel conduisent, au mieux à l'insignifiance, au pire à se mettre en difficulté (ici perdre son métier).

L'utilisation raisonnée du matériel, le "reconditionnement" et toutes leurs variantes me semblent des pistes intéressantes, flattant mon côté survivaliste et environnementaliste. Dans l'utopie que tu décris (plutôt bien par ailleurs), le développeur n'aurait-il pas du travail à sa mesure ? Par exemple, concevoir les outils logiciels nécessaires au pilotage et à l'automatisation de nouvelles pratiques ou techniques qui se seraient démocratisées ? Qui va programmer l'ouverture/fermeture automatique du toit de ma serre ? L'orientation de mes panneaux solaires montés sur tête rotative ? Le pilotage de ma machine-outil ? La recharge intelligente pour optimiser la durée de vie des batteries de ma station ?
Tout cela bien entendu avec un code épuré et peu gourmand, une forme d'austérité qui ne serait plus une posture ou un principe abstrait, mais la réponse adaptée à une circonstance concrète.

Il manque un grand récit — ou une série, format plus adapté à notre temps — de SF "survivaliste" (décroissante sans être régressive, là est toute la nuance en ce qui concerne l'emploi de la technologie) qui mettrait au cœur de la nouvelle société en devenir le travail et l'utilité des développeurs.
 
Est-ce à dire que le développeur est, ontologiquement, destiné à contribuer ou participer à cette course effrénée vers toujours plus de vitesse, de consommation, de gaspillage, etc. ? [...] Dans l'utopie que tu décris [...], le développeur n'aurait-il pas du travail à sa mesure ? Par exemple, concevoir les outils logiciels nécessaires au pilotage et à l'automatisation de nouvelles pratiques ou techniques qui se seraient démocratisées ? Qui va programmer l'ouverture/fermeture automatique du toit de ma serre ?
Le développeur — c’est du moins ce que j’imagine — aspire à vivre tranquillement des gains issus de son activité. L’idéal est de concevoir une application élémentaire, mais redoutablement efficace : certains gestionnaires de tâches en sont sans doute de bons exemples. Des mises à jour au compte-gouttes, au fil des ans, mais toutes optimisées. On assure la maintenance, le service après-vente, le traitement des questions juridiques pour un retour sur investissement vraisemblablement optimal. Dans l’intervalle, le développeur dispose de temps-pour-soi puisque plus rien ne presse. L’application, pourtant, ne répond pas à un besoin : chacun sait d’expérience qu’il suffit d’un crayon et d’une feuille de papier pour établir une liste de tâches et gérer des projets, même complexes avec tâches et sous-tâches. Le gestionnaire de tâches est sans doute très utile, mais c’est un luxe, un « luxe de la sensibilité », dirait Friedrich (Nietzsche, Le Gai Savoir, I, 31, traduction P. Klossowski, Gallimard) pour un sensible d’un nouveau genre : l'interface, l’écran, la surface tactile.

— Le niveau monte d’un cran. On s’égare, non ?

Dans une économie survivaliste, il me semble que la nécessité seule fait loi : la citerne à eau est indispensable parce que l’eau est vitale. Il faut donc des outils et des matériaux pour construire la citerne. Mais, qu’est-ce qui peut — pour reprendre ton mot — ontologiquement justifier l’utilisation d’un ordinateur dans une économie de services qui serait fondée intrinsèquement sur le besoin — se nourrir, s’hydrater — et sur ses biens concomitants — se loger, se vêtir, se soigner, par exemple — et non sur la demande, ontologiquement imaginaire ? En d’autres termes, quel type de monde avons-nous donc bâti — et à partir de quand, historiquement parlant, les ferments de ce monde émergent-ils ? — pour qu’un micro-ordinateur y ait désormais une place aussi naturelle et aussi nécessaire que notre microbiote intestinal ? (Il y a sur cette question toute une littérature, mais qui, aujourd'hui, s'en soucie ?)

Certains écologistes avertis préconisent purement et simplement un départ radical vers une économie extrêmement frugale. Suivant cette logique, les mots d’ordre « open-source » et « reconditionné » pourraient avoir du sens, comme le propose @Le docteur. Dans une logique strictement survivaliste, je ne le pense pas. Je serais curieux de savoir si, dans le fond, les communautés Amish n’auraient pas contribué à inspirer les courants survivalistes.
 
@dōgi Tout cela est intéressant. Tu poses dans ce dernier message la question du besoin, qui est fondamentale. L'exemple du gestionnaire de tâches révèle bien la difficulté d'une tentative de définition du besoin : le pendant digital (disons, numérique) du papier + crayon, cette dernière façon traditionnelle gardant toujours de nombreux avantages (fluidité, rapidité, versatilité, coût, etc.). Pourtant, les applications de gestion de tâches, plus ou moins complexes, ne cessent de se multiplier (peut-être pour répondre à la multiplication des process dans l'appréhension moderne du travail). Le besoin et l'outil, c'est comme l'œuf et la poule : qui était là avant ? :D

Le survivalisme radical (ce qui est peut-être son sens premier d'ailleurs) suppose de fait des circonstances sévères, réduisant toute action humaine à la satisfaction des besoins primaires, d'où le terme de "survie". Si j'apprécie certaines techniques et certains principes issus de la pensée survivaliste, je ne crois pas un seul instant à l'advenue d'un monde nécessitant un tel mode de vie généralisé, du moins dans la durée. Je ne fais pas partie des alarmistes ou des paranoïaques. Cette clarification s'imposait.
Je trouve plus pertinent, et réaliste, la prospective d'un mode de vie raisonné, "décroissant" peut-être (mais je ne maîtrise pas le terme, il me semble un peu politiquement connoté, à vous de me dire). Le rapport à la technologie fait toute la différence entre le survivalisme et le reste : en ce qui me concerne, je ne refuse pas les réalisations techniques de la modernité, et je pense que dans un monde autre, ou une société autre, nous en garderions l'emploi, mais à une échelle plus raisonnable et sans ce rapport perverti à tant de choses qui nous caractérise aujourd'hui (au temps, au corps, à l'accomplissement, à l'argent, etc.).

Ainsi, même loin d'une société de divertissement, de consommation, je pense que l'ordinateur garderait sa pertinence, son utilité et donc son emploi. Il deviendrait peut-être, en effet, un simple outil, au même titre qu'une scie sauteuse ou un alternateur. De même le logiciel.

Si la question du rapport de la modernité au travail (notamment le travail mécanique et manuel, dont l'informatique en général n'est qu'une itération, selon moi), je te conseille Éloge du carburateur (Shop Class as Soulcraft : An inquiry into the value of work), de Matthew Crawford, 2009. Il offre une lecture de l'évolution de notre rapport à la machine automobile : l'analogie peut être faite avec l'évolution de notre rapport au logiciel (et à l'ordinateur, dans un paradigme plus large).
 
Ça va pas, non, d'écrire des baratins aussi longs ? Bon, je retourne cultiver mes salades :angelic:
Moi je nous trouve très calmes. Nul doute que nous pourrions faire mieux, ou pire. Mais il s'agit de ne pas traumatiser les foules, peu habitué aux manifestations des choses de l'esprit. Et puis, c'est un forum après tout !
 
Moi je nous trouve très calmes. Nul doute que nous pourrions faire mieux, ou pire. Mais il s'agit de ne pas traumatiser les foules, peu habitué aux manifestations des choses de l'esprit. Et puis, c'est un forum après tout !
@Moonwalker , sors de ce corps :hilarious:
 
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@boninmi : les salades, déjà ? Et les châtaignes ? J'ai été élevé à la Faugier, jusqu'à ce que je descende sur les hauteurs d'Aubenas. Patatras : la crème de marrons d'Aubenas est tellement fine, tellement subtile. J'espère que cet été, il y aura suffisamment d'eau pour plonger une tête dans la rivière et pour ne pas avoir besoin de citernes.
 
Si j'apprécie certaines techniques et certains principes issus de la pensée survivaliste, je ne crois pas un seul instant à l'advenue d'un monde nécessitant un tel mode de vie généralisé, du moins dans la durée. Je ne fais pas partie des alarmistes ou des paranoïaques.
:confused:
Je trouve plus pertinent, et réaliste, la prospective d'un mode de vie raisonné, "décroissant" peut-être [...] en ce qui me concerne, je ne refuse pas les réalisations techniques de la modernité, et je pense que dans un monde autre, ou une société autre, nous en garderions l'emploi, mais à une échelle plus raisonnable et sans ce rapport perverti à tant de choses qui nous caractérise aujourd'hui (au temps, au corps, à l'accomplissement, à l'argent, etc.).
:up:
 
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@boninmi : les salades, déjà ? Et les châtaignes ? J'ai été élevé à la Faugier, jusqu'à ce que je descende sur les hauteurs d'Aubenas. Patatras : la crème de marrons d'Aubenas est tellement fine, tellement subtile. J'espère que cet été, il y aura suffisamment d'eau pour plonger une tête dans la rivière et pour ne pas avoir besoin de citernes.
Entretenir volontairement la confusion entre châtaignes et marrons comme tu le fais, c'est pas loin de l'homicide involontaire, si la victime est parisienne. :hilarious:
Pour remplacer la crème de "marrons", as-tu essayé la confiture d'ipomée (si cela se vend en France) ? C'est assez incroyable : même texture, même goût et, partant, même addiction.
 
Entretenir volontairement la confusion entre châtaignes et marrons comme tu le fais, c'est pas loin de l'homicide involontaire, si la victime est parisienne. :hilarious:
Ici, c'est Privas ! Là, c'est Aubenas ! À chacun ses châtaignes.
Pour remplacer la crème de "marrons", as-tu essayé la confiture d'ipomée (si cela se vend en France) ? C'est assez incroyable : même texture, même goût et, partant, même addiction.
... ipommée... iMovie... iCloud... iMac. Non. Mon entraînement survivaliste n'est malheureusement pas compatible avec un régime à la crème de marrons. :hungover:
 
Sur un plan strictement diététique, la châtaigne est excellente pour la santé. En revanche, certains chats sont des teignes, il convient de s'en méfier si l'on ne veut pas se prendre une châtaigne.

J’ai fait comme toi j’ai pas lu ! :D
C'est bien le problème : de plus en plus d'experts, de moins en moins de lecteurs. :p Heureusement, il y a l'IA et, bientôt, l'IA-Plus, nouvelle Sainte Trinité. Nous sommes sauvés ! :zen:
 
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Réactions: Raphael10
Les soucis de nappe SATA sont connus sur les MBP unibody. Cela dit, ça se réglait en général par un unique changement (par ex. avec une nappe d'iFixit). C'est celle d'origine qui posait problème.
Au passage, c'était un exemple typique d'une pièce qu'il ne fallait surtout pas changer par une pièce Apple d'origine...
Je me demande si, l'ordinateur étant vendu avec un HDD, il n'était pour ainsi dire pas "fait" (vous m'excuserez ma vision un peu cavalière des questions techniques) pour ainsi dire pas "capable" de supporter le SDD que j'avais collé dedans.
Ceci dit, tu as raison, c'était une belle connerie de faire changer ça par un APR : la pièce (mon Dieu ce cadeau!) était prise à charge, mais la pose (me serais-je fait ...?)
 
De quelle « sagesse » parlez-vous donc ?

De la bête sagesse du "bon père de famille" qui gère l'argent qu'il peut dépenser au quotidien et qui a des choix à faire. Les lignes au-dessus sont dans un registre personnel. Le contexte !

Pour ce qui est des considérations économiques (au sens moderne, le sens ancien de l'oikos nomia, renvoyant à la gestion, justement des afffaires de la maison, il y a aurait déjà pas mal à dire sur ce paradoxe), on s'arrange pour nous faire oublier sans cesse que si une société, quelle qu'elle soit, produit assez de richesses pour assurer le bien être de ses habitants, elle est viable. Les histoires qui relèvent des échanges ne sont pas des finalités mais des moyens. La farce du néo-libéralisme consistant précisement à nous faire prendre ce qui peut bien, certes, être un moteur, pour la production elle-même des richesses.
Je ne vois pas pourquoi, dans une société un peu moins con - et peut-être pas collectiviste pour autant - fort de ce constat, s'il était compris par tous, ton développeur ne pourrait pas vivre dignement d'un travail qui, lui aussi est digne. Et le progrès n'est pas, effectivement et forcément une course effrénée vers un avant qu'il reste à déterminer, mais peut aussi être un raffinement de plus en plus abouti, une économie des ressources et non des transferts où on apprendrait sans cesse à produire mieux, plus intelligemment...

La distribution dont je vous écris (une Fedora Aurora) est une merveille non seulement technique, mais d'intelligence collective, faite par des gens qui ne pensent pas forcément la même chose les uns et les autres. C'est très au-dessus d'un Windows, du point de vue technique, tout en étant "en avance" sur lui (j'ai essuyé des bugs récurrents et incompréhensibles dans ma tentative de contre-switcher par la fenêtre). Et c'est même sans doute en avance sur la Pomme aussi (système immuable/atomique contenant des applications conteneurisées, chaque mise à jour amenant la construction d'une nouvelle image disque qui passe d'un bloc ou est mise de côté).

Stiegler disait de belles choses là-dessus. Nous ne sommes plus en situation de nous contenter de voir le progrès comme une simple course en avant mais comme un défi que seule une augmentation dl 'intelligence collective peut relever (quelque chose de proche du "supplément d'âme" prôné par Bergson dans Les Deux sources de la morale et de la religion.

 
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Réactions: Artyom
Je me suis arrêté à ma blonde. C'est beauf sérieux
 
Si tu le penses. Sinon, le second degré, je te conseille d'essayer. C'est bien.
J'ai beaucoup de raisons de dire "ma blonde", et la beaufitude en général n'en demande pas autant.
 
ok