De passage sur Terre

  • Créateur du sujet Créateur du sujet jul29
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Le jour cède lentement,
Comme à regrets
Toutes les couleurs du spectre à la nuit
Mais il sait que c’est un deal avec la nuit

La nuit va être douce
La nuit console le jour

La nuit est douce
De cette douceur douloureuse
Qui enveloppe
Les blessures des héros
D’une nuit

Je regarde
La douceur de la nuit
La douceur des crimes
La douceur des étreintes
La douceur de la haine

J’aime la nuit

J’aime aussi le jour
J’aime sa lumière
Qui va éclairer les hôpitaux blêmes
Qui va répondre à la nuit
En illuminant
Ce que la nuit a fait
Qui va infecter ses blessures
 
Ils sont là, tous face à moi, dans cette salle sans fenêtre. Les néons nous donnent un teint blafard. Ils sont assis, autour de cette table, le regard fixé sur mes gestes. Etrangement, je n'ai pas d'appréhension, au contraire : ce "tribunal" me donne de la force, et je sais que certains me sont acquis.

J'ouvre mon carton à dessin, et j'en sors les maquettes, que je scotche lentement au mur. Une opération promotionnelle, qui devient en cet instant, en ce lieu, aussi importante pour ceux présents qu'une déclaration de guerre mondiale. Alors que je leur tourne le dos, je me rends compte de la stupidité de la situation.

Je fais volte-face : au premier regard, j'ai compris que je serais seul. Ceux qui sont sensés "vendre" le projet avec moi ont la tête qui disparait dans les épaules.

Et je parle. Etrangement, comme ces fois où les kilomètres défilent sans que l'on s'en rende compte, où on conduit en automatique, où on ralentit, stoppe au feu sans y prêter attention, je libère le flot d'où émergent des rochers qui se nomment "recco", "plan média", "opérations"... Je cite des chiffres qui ne veulent rien dire, parce que trop importants pour ce dont on parle. Je parle des consommateurs, donc de moi, comme de hamsters de laboratoire. Ils acquiescent.
Je dis ce qu'ils veulent entendre, et avec l'air d'y croire. Y croient-ils ?

Une heure après je suis dehors. A l'ombre de bâtiments sans âme. Serrage de mains, il fait 35°. Je jette mes cartons à dessin sur le siège arrière de la voiture, et je démarre. Je conduis comme j'ai mené cette réunion, en automatique. Le Lamentin, Fort de France, le Rond Point du Viet-Nam héroique, la Route de Didier.

A l'arrivée, Agnès, ma secrétaire, m'annonce que nous avons le budget. 15 minutes ont suffit pour des centaines de milliers de Francs, probablement des millions. Elle me regarde étrangement. Surement parce que je n'en suis pas fier. Pas comme ca.
 
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Réactions: Bassman
Dans la nuit noire d'un crapaud velu,
l'ecchymose du spectre moribond enterre l'astre de miel.

La vague d'écume change l'oriflamme en un terroir glacé,
et le légume furibond crie sa colère si puissamment que les gélules flasques n'entendent pas la morve rose.

Pourquoi cet acharnement incongru du mythe citoyen appauvri ?
La valse des singes n'aura pas cette réponse auditive...

La nuit passe sur son écueil de mémoires hypnotiques,
L'avenir coulera à travers l'émergence du miroir aux alouettes.
:mouais:
 
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Réactions: tirhum et Lalla
De passage sur terre
Dans une si courte unité de temps
Je ne veux pas laisser de traces

Je marche pieds nus sur les plages
Avec des plantes des pieds de vent
Je glisse sans sillage sur la face des vagues

J'écris des mots sans pesanteur
A l'encre sympathique
Qui ne laissent que des blancs sur les pages

Je ne pense que dans le silence
Pour laisser d'autre penser
Dans le même silence

Je laisse cette terre à son secret
 
Une petite gare toute grise et toute mouillée en bord de ville. Est-ce vraiment de l'architecture ou plutôt un module fonctionnel ? Le parvis se résume à une nappe de bitume et quelques bordures en béton. Noir, gris. Et la pluie qui leur donne une vague luisance.

Passé le hall où rien ne retient mon attention j'arrive aux quais. Ici encore rien que de strictement fonctionnel : des rails, des caténaires, des pylônes, des portiques. Des verticales et des horizontales. Autant à l'extérieur l'espèce de parking-place est d'un fonctionnalisme desséchant, autant ici ce bizarre charme industriel du "chemin de fer" agit.
Il n'y a même pas de passage souterrain : il faut franchir les voies sur un passage matérialisé par un radier de traverses.
Je soupire car deux gênes simultanées sont apparues. La pluie qui reprend dru et une horde d'adolescents qui regagnent leurs quartiers ruraux après leur semaine d'internat. Je me tiens le plus loin possible d'eux.
La patache arrive et je comprends alors que le trajet sera pénible car elle est bondée d'autres scolaires ramassés en amont.

Je me retrouve debout sur la plateforme. Le chauffage malsain de ces vieux wagons sur les vêtements trempés transforme rapidement l'atmosphère en étuve. Les odeurs corporelles viennent peu à peu s'y mêler. Les vitres dégoulinent de buée. Je ne me sens pas bien.
J'observe ces jeunes gens qui m'entourent. Les filles avec les filles. Les garçons avec les garçons. A part l'inévitable couple qui se bécote malhabilement mais demeure fort bien apparié dans une même physionomie bovine.

Et au fond je me dis que rien n'a changé. Ils ont beau essayer de se conformer à l'image d'une jeunesse dans le coup, en tapotant sur leurs téléphones mobiles ou en s'enfonçant leurs écouteurs dans les oreilles, tout leur aspect trahit une appartenance rurale. Leur gaucherie est si manifeste qu'elle en est presque touchante. Leurs habits, succédanés des marques et de la mode d'il y a deux ans, en font les moines de leur condition d'enfants de milieux campagnards pas bien aisés. Les voilà, les internes des lycées moins côtés que ceux du centre-ville, les apprentis, ceux "du technique", tous ces ploucs qu'on se charge de renvoyer dans leurs pénates quand vient le temps des loisirs et des plaisirs, ceux qui n'iront jamais avec la progéniture notabiliaire s'encanailler dans les rallyes ou les clubs le samedi soir. Flaubert et "Charbovary", tous les récits mi-sadiques d'internats du XIXème siècle sont là.

La télévision, l'ordinateur domestique, le téléphone portable et le lecteur MP3 sont les illusions contemporaines de l'égalité.
 
Je suis dans un théâtre. Encore. Cette fois le théâtre est en plein centre ville, et la représentation se fait en matinée. Rien n'y est fait pour le public, et les véritables acteurs des histoires qu'on s'y raconte n'ont droit qu'à des strapontins, et à l'indifférence de ceux qui sont en scène. Seuls les concierges ont, pour ces pauvres erres, un tant soit peu de commisération.
Il faut dire que les murs impressionnent. Le public accède à l'intérieur par un escalier aussi monumental qu'extérieur, qui débouche sur des colonnes blanches. Là, l'escalier se resserre entre deux statues imposantes, deux grands acteurs historiques, natifs du pays.
Jean Bay, aumônier de Louis XIV, précepteur puis Premier Ministre de Louis XV. La justice dans sa version absolutiste.
Jacques de Cambacéres, ministre de la Justice de la Convention, deuxième consul du Directoire, archi-chancelier de l'Empire. Une autre justice d'exception.
C'est que ce théâtre si particulier, si froid, si silencieux, est celui de la Cour d'Appel de l'ancienne capitale des Etats du Languedoc.
Dans chaque salle, les pièces s'enfilent les unes après les autres. Avant chaque représentation,un homme en noir cravaté de blanc rappelle une partie de l'histoire dont le prochain acte a déjà commencé.
Fait rare, la scène qui se déroule sous mes yeux se joue avec un acteur amateur. Les professionnels de la profession le rappellent parfois aux usages, avec quelque condescendance. Les vrais acteurs, en écharpe d'hermine, maîtrisent leur langue, l'ordre des choses à présenter, manient la mauvaise foi ou le mensonge à l'occasion, créent une version des faits la plus convaincante possible pour le vrai public de la scène, les quatre hommes assis sur l'estrade, les juges.
Parfois, les acteurs se rapprochent de la tribune. Ils examinent des éléments que le public ne voit pas, interrogent des accessoires, tandis que l'audience tire l'oreille pour les entendre. Puis ils reprennent leur ballet, s'agitent, se rassoient, conciliabulent.
Dans la salle, l'audience est clairsemée, et chaque scénette n'intéresse vraiment que peu de spectateurs. Les autres attendent. Attendent leur tour. Attendent de raconter l'histoire des autres. Attendent que d'autres racontent leur histoire.
Il n'y a pas d'applaudissements. L'issue elle-même, la chute, n'interviendra que plus tard, dans le silence des couloirs du greffe.
Je pense à l'auteur de ce fil, rencontré quelques minutes hier. Je pense à écrire. Je pense à ne pas penser.

Le conseil de mon adversaire est une femme que je ne connais pas. Elle-même connait peu le dossier, visiblement, mais elle le plaide avec beaucoup de métier. Elle parle à la place de mes anciens patrons. Elle essaye de convaincre les juges qu'ils n'étaient pas mes patrons. Ou alors, que si ils l'étaient, c'est nous qui sommes partis de notre plein gré.
Nous.
Nous sommes trois. Unis, en bloc, depuis des années. Nous sommes bien, entre nous. Rien ne passe, rien ne nous a fragilisé. Nous sommes une équipe. Soudée.
Il n'y a plus que nous, nous sommes les derniers dont on racontera l'histoire aujourd'hui.
Notre avocate est une tigresse. Elle essaye toujours de déstabiliser son adversaire par un coup de griffe, un ricanement. Les deux femmes nous jouent une scène connue, un classique des prétoires. Les deux félines en bataille.
Le public en noir s'en amuse, puis s'en lasse. Il écoute. Pose des questions. A nous. C'est la première fois que l'on nous demande ce que l'on fait. Nous nous levons, l'un de nous prend la parole. Ce n'est pas moi. Les mots ne sont pas sortis de ma bouche assez vite.
L'avocate conclut. Les juges remercient. Délibéré dans six semaines. Ils saluent les dames en noir. Pas nous. Nous, nous n'existons déjà plus. C'est fini.
La tension est forte, l'attention se relâche. Je n’ai envie de rien d’autre que de chaleur. C'est une épreuve de froideur et d'inhumanité. Nous sommes étrangers à ce monde dans lequel nos histoires se racontent et se rangent et se jugent.


 
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Réactions: teo et Paski.pne
Dans le rayon informatique d'une grande surface parisienne, entre deux rendez vous. Je furète, je musarde devant l'étroit présentoir des logiciels Mac, lorsque mon oreille vagabonde se focalise sur le dialogue entre un vendeur et un petit monsieur âgé, à deux mètres de moi.

En substance, le candide personnage est informé que la disquette à 10 €** qu'il cherche, il n'a aucune chance de la trouver, et que ce matériel à une centaine d'Euro* est sa seule chance de parvenir à ses fins.

Devant le renoncement un peu désespéré de son interlocuteur, le vendeur s'en détourne et dirige son attention vers des chalands plus prometteurs en termes de chiffre d'affaire.

J'intercepte le petit monsieur, l'informe que, naturellement, le vendeur lui a raconté n'importe quoi, et sors de ma sacoche une disquette** usagée mais vierge dont je pouvais me passer, que je lui remet afin de le tirer d'embarras.

C'était il y a sept ans, depuis, de fil en aiguille, nous avons noué une amitié simple et chaleureuse, qui me rassure : être de passage sur terre, ça a aussi de bons côtés. :zen:

(*) Précision préventive : bien qu'une forme plurielle soit tolérée en France, le terme "Euro" est réputé invariable, naméo ! :p

(**) Disquette "ZIP 100" de Iomega.
 
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Réactions: La mouette
Il tente, essaie , appuie,
Elle fuis, analyse, sans arrêt sur sa route...

Il pense, parfois, souvent....., trop sans doutes
Elle attends , sans fin, avec force, cachant sa folie

Il est là, ici, partout, nul-part,
Elle a disparu, où? comment, Quant?

La musique le berce, le transperce , Mozart
Elle FM sur la bande, achetant tout ce quelle entends

Le ventre souffre, surchauffe, espère ..
Elle le contrôle, le gère, le capsulant avec la pastille des pigeons rêvant d'être père, elle opère....

Sincérité, Chanceux, Malheureux, Rêveur, sur le bord de la route
Humanité, Provocante, Enjôleuse , Patiente, en doute ...

Mozart, Tartare, Perniflare, Guitare, Hasard, Malabar, Plumar
Justice, Sincérité, Décallée, Droite, Mal, Braise, Accessoires

A toi

Toi que te promenait pas si loin .... que la puce, sans vie, a conduit vers moi. Je marche sans savoir où, je travail, concentré, pense, trop, pas assez, au mauvais moment, inutilement ?
Pense quand même, en plus en marchant, dingue !!...
Bon je marche, j'y arrive, je me pose, commande .... but why ?
 
Dans ce bureau ordinaire, beige-blanc-cassé, presque sale, poussiéreux, sans odeur, froid parce que...

"On n'aime pas la chaleur par ici"...

...je présente mon projet devant tous ces gros bonnets, avec une voix un peu trop blafarde.

On me fait répéter. On n'a pas bien entendu. Je répète. J'aurais dû être plus puissante. Je n'ai pas rendu les bons mots, la bonne attitude gagnante. Pourtant, j'ai mis mes petits yeux brillants pour l'occasion, ceux du bonheur, de la lumière, de "l'atteinte par résultats" digne des meilleurs scénarios de l'ACDI...

Ça concerne l'Afrique et l'enseignement et les plantes, mais "ça" n'intéresse pas grand monde. Aucun retour à ce sujet. Alors, on parle de biomasse. DE BIOMASSE ET DE CRÉDIT CARBONE!!! "C'est payant, c'est l'avenir".

C'est ici que je m'ennuie. C'est devant eux que je trouve le temps long, froid, gris. Les murs auront beau être repeints en orange - ce sera encore... conventionnel, politique, digne du meilleur sous-chef.

Il neige, il pleut, il fais gris. Non, ça ne pousse pas vite par ici.
 
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Réactions: Aurélie85
Une, deux, trois, quatre... presque cent marches jusqu’à chez toi. Je frappe à la porte de ton appartement, essoufflée. J’entends, derrière, tes pas qui viennent ouvrir. « Salut ». Tu ne m’embrasses pas. Tu me tournes le dos et tu vas t’asseoir à nouveau sur ton canapé, face à l’écran qui est resté allumé. Je referme la porte.
L’indifférence.
Toujours pas de patère... Je pose mon manteau à même le sol. Je me sers un verre d’eau et je te rejoins. Je reste là une heure ou deux, sur ton canapé, à tes côtés mais inexistante. Les centimètres qui nous séparent sont des milliards d’années lumières. Parfois, quand le film touche à sa fin, tu poses ta tête sur ma cuisse, tu prends ma main que tu caresses avec ton pouce. Parfois même tu m’embrasses, car pour quelques minutes tu te rappelles que je suis encore là, vivante, le coeur battant à côté de toi.
Mais désormais il est trop tard pour un jour de semaine. Trop tard pour sauver cette histoire qui agonise. Tu es fatigué, je dois me lever tôt et puis on le sait : c’est fini. « Salut ». Je ramasse mon manteau et repars au milieu de la nuit. Il fait froid.
 
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Réactions: Amok, Tulum et mado
Le froid me pique les joues. Le vent me gifle le visage. Vent dû à la vitesse. Vent soufflé par Eole. Impossible de faire la différence. Je m'en fous, j'aime ça. Le soleil brille comme il ne l'a pas fait depuis bien des jours dans le ciel azur. Il me chauffe le visage les rares fois que je m'arrête.

Je glisse, vite, de plus en plus vite. Les courbes se succèdent. La vitesse me grise. Ne jamais perdre le contrôle. Maitriser, garder ses appuis. Etre concentrée tout se faisant plaisir. Ne penser à rien d'autre si ce n'est garder la trajectoire, faire une belle courbe. Passer ces bosses.

M'éclater.

Putain c'était bien.
 
La lumière d'hiver qui baisse. Un thé, une clope.
Je remplis mes pensées de tous ces petits détails, anodins ? Certainement pas seulement. Justement parce qu'ils recèlent une attention de tous les instants. Même les plus anodins..

laisser filer des mots légers, néanmoins chargés de possibles
me remplir d'une énergie exaltante
explorer ma féminité avec tant d'attention
t'ouvrir, vivre les instants présents, en jouir,
être rattrapé par un autre présent.
essayer de m'en protéger, avec une pudeur désarmante,
être touchée au fond de moi, de l'homme que tu es.
avec ses forces, ses faiblesses, ses doutes, son respect de l'autre.
se dire de renoncer ?
"Je suis dans l'abandon avec toi" tu me déclares. Double résonance. Aux antipodes.
Si l'abandon est le plaisir ? Au détriment de rien d'autre ? Est ce dangereux ? Est ce comparable ? Est ce coupable ?
Je suis une amante amoureuse. Pas une mante religieuse.

Juste pas envie de me dire que rien de cela n'existe.
Mais accepter et comprendre les points de résistance.
Me dire qu'un jeu de patience m'attend au pied d'un sapin quelconque.






:love:
 
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Réactions: l'écrieur
C'est un tout petit bruit. Qui m'enveloppe.
Juste le son des centaines de petites boules d'eau blanche et gelée qui cognent contre mes vêtements. Il est à peine dix heures du matin, et le monde est un silence ouaté.
Harnaché dans de multiples tissus aussi techniques qu'étanches, je suis immobile.
Seule, une main gantée de soie noire se meut régulièrement. Elle porte à mes lèvres le filtre en carton par lequel j'aspire des bouffées d'une fumée acre et douce et sucrée.
Le télésiège est plongé dans le brouillard. Au dessous, la piste est vide. Quelques groupes sont montés. Des enfants et des adultes, accompagnés d'hommes et de femmes en rouge. Mais ils ont filé sur l'autre versant, où le brouillard s'est déchiré.
Moi, ce sont les hommes en bleu et jaune que je vais aller voir. Dire Bonjour. Discuter de la neige, des conditions. Demander leur avis. Leur autorisation, en un sens. Les prévenir, en tout cas, de là où je vais.
La neige tombe sans arrêt. Le manteau est épais, mais il fait très froid. Pas de coulées lourdes. Mais une avalanche de poudreuse, une corniche qui cède sous le poids. C'est toujours possible.
Pas de couloirs, on y voit rien. Je vais plonger dans les vallons, faire glousser cette crème si légère.
Je vérifie l'arva™. Je resserre mes chaussures. Le sommet est là. La fumée du poêle se détache au dessus de la cabane. Nous sommes au dessus de la nappe, le soleil pointe.
Le café des pisteurs est bon.
Lorsque je prendrais le chemin, dans quelques minutes, la douce masse du Mont Émi apparaitra en pleine clarté. Derrière, un couloir, un double esse. Un toboggan de trois mètres de large et cinq cent mètres de long, régulier, une pente de soixante pour cent, qui débouche sur un tremplin naturel, une barre de plus de quarante mètres de haut, que les riders du monde entier adorent.
Je leur laisse. Aucune envie de déjeuner à Albiez.
Je longerai l'arête, sur la courbe de niveau la plus haute, jusqu'au creux de la Chible. J'écouterai le silence des alpes. Et je laisserai mon corps glisser au milieu des vallons poudreux. Je saluerai le cairn. Je plongerai dans le lit du ruisseau gelé, là où les faros sont si belles au printemps. Je glisserai jusqu'à chez Juju.
 
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Réactions: WebOliver
«C’est l’Est !» et ça coule de moi comme une évidence. Je prononce cette phrase à voix haute dans l’agitation de cette fin d’après-midi d’hiver. Sous les arcades teutoniques aux pilastres de grès rose. Du dehors où il fait déjà noir provient ce froid continental qui m’est si peu familier. Je rajuste mon écharpe.
Les internes des lycées se pressent vers les quais pour des destinations aux consonances alémaniques. Les manières sont directes sans être violentes. Des travailleurs frontaliers passent. Il me semble qu’une culture ouvrière subsiste encore. Et Dieu sait combien elle a morflé dans cette région !
Il y aussi des militaires et leur barda. De simples troufions et quelques gradés. Image de permissionnaires devenue insolite depuis la fin de la conscription obligatoire. Mais les vieilles frontières ont la vie dure.

Ici déjà flotte un petit air de Mittel Europa.
 
Un jour à Prague, entre Gothique flamboyant, baroque dégoulinant et Art Nouveau lumineux, pas loin de Malà Strana
Une petite place

Le matin, je rencontre un vieil ami
Il fait visiter Prague à des touristes lyonnais
Le Hradcany
Et la nouvelle ville
On dirait Lyon
C'est froid, c'est triste
La lumière est belle pourtant
Comme à Lyon

Une petite place
Une cour intérieure
Dans laquelle se glissent encore deux ou trois rayons de ce soleil d'hiver
Un petit bar
Où échanger
Où parler de la ville
Où parler des villes

Et puis
La chute d'un pigeon mort
Je n'y fais pas trop attention
Nous continuons à parler des villes
Et un autre, puis un autre
Une pluie de pigeons morts

Mon ami s'en va
Vomir
Effrayé

Et je reste seul au milieu des pigeons morts
Ils n'ont plus rien à me dire

Si ce n'est, dans les plis de leurs ailes désormais immobiles
Une nouvelle géographie urbaine
 
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Réactions: Lalla
Le ciel est bleu. Non, pas ce bleu du sud, bleu marine, bleu azur. Un bleu froid, un bleu qui te donne la température juste en le voyant. Le point météo de ce matin ne s’est d’ailleurs pas trompé « Température –5°C, sensation de froid pouvant aller jusqu’à -23°C à 2500m avec le vent. Ciel dégagé jusqu’en début d’après-midi, premières chutes de neige en début de soirée ».
Je serre mes souliers, enfile mes gants, ajuste mes lunettes.
J’avance, un pas après l’autre. Je suis des traces fraîches. Je mets quelques minutes à trouver un rythme régulier, la bonne cadence. Ne pas démarrer trop vite, les 800 mètres de dénivelé ne me feront pas de cadeau autrement, je n’ai plus l’habitude de ce genre d’efforts. Le froid me brûle les bronches à chaque respiration.
La forêt est derrière moi. Le paysage se dégage et me dévoile ses sommets. Panorama à 360°. Les plus beaux sommets alpins s’offrent à mon regard. Je compte plus de 10 3000 mètres. Pas un nuage, juste du bleu et des sommets enneigés.

J’hésite à me reconnecter au monde après tous ces jours, à appuyer sur ce bouton. Je le fais, juste pour déposer un mot sur ta messagerie. Surprise, tu décroches. Quelques paroles échangées, quelques rires, quelques banalités, quelques silences. Te parler en regardant ce panorama à quelques choses de surréaliste. Je te souhaite une bonne soirée avec tes amis et ton « image », tu fais de même. Je ne te dis pas que mes amis de ce soir seront Amélie Nothomb et Dan Brown.

J’éteins mon portable et continue à avancer. J’aperçois au loin ma destination finale. Ne pas s’arrêter, continuer malgré les cuisses qui chauffent. Encore une petite heure et je serai à l’abris du vent, un thé chaud dans les mains.
L’effort me fait du bien, j’oublie tout. sauf ta voix.
 
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Réactions: teo et Fab'Fab
Quelque chose, dans l’espace-temps, vient de basculer
Une superposition de couches temporelles mêlées de la violence d’une géographie native
Etrange et peu recommandable dans son invasion soudaine de l’histoire
Réduite d’un coup à une sorte d’immobilité pseudo-cyclique par cette incursion spatiale

Je regarde, les yeux grand ouvert, la Place Bellecour, à Lyon
Une grande symphonie urbaine dans des tons mineurs
Des brasiers partout
Allumés par les enfants lointains des cités lointaines

La ville a inversé son essence
Se protéger des ténèbres extérieures
Des peurs archaïques
Se refermer sur elle-même dans son rêve de pureté
Maintenant, elle accueille au plus profond d’elle-même
La peur de ses entours
Elle recueille dans ses entrailles
Les fruits pourris de ses enfantement
Rejetés dans des déserts
Tous les scélérats, tous les génies qui l’on fait ce qu’elle est
Qui reviennent lui demander des comptes

Ceux des vieilles banlieues
Ils sont venus se défier
Comme s’ils étaient sans âge
Les vieux Rockers de la Dargoire
Dessinant sur leur sol des diagrammes qui valent interdit
Pour ceux du Vergoin
En Malag qu’ils étaient
En Vespa que nous sommes

Les Kinks seront notre salut

Les Pompiers ont renoncé à éteindre tous les feux
Leurs camions ont entamé un ballet étrange
Selon des mesures inouïes
Des tonalités insensées

Le Préfet a enfin songé à envoyer les Brigades motorisées Malik Oussekine
Qui, trompées par des brouillages
Ont chargé une vieille compagnie de CRS
Les Survivants du Pont Lafayette
Convoqués par un Préfet plus ancien
Fatigués pas leurs casques trop lourds
Par le deuil et la culpabilité
Trop vieux pour être réels

Je regarde ces fantômes
Et je crois aux fantômes
 
Une porte. Quelques tables en bois avec toutes leurs histoires. En choisir une, près de la fenêtre aux rideaux à carreaux rouge et blanc.
Une odeur de fondue, des vêtements de sport, quelques bouteilles, des accents qui chantent en égrenant des noms de sommets qui font rêver, des rires, quelques éclats de voix, des muscles fatigués.
Ecouter.
Des flocons dansent au dehors…
Un esprit qui s’envole à mille lieues de là.
Je suis bien.
 
S'asseoir devant ce bureau de flic. Pas con, mais dans son rôle néanmoins.
Mon statut social, ma féminité, un regard forcément différent. Discriminatoire, même si c'est à mon avantage.
Parler, mais ne pas faire de concession. Dénoncer les hypocrisies.
Faire réécrire le compte rendu de la déposition.

Cauchemarder.

Apprendre que ces mots ont porté.
Esquisser un sourire.
 
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Réactions: Craquounette
Le boîtier est sur la table. 2 adresses à ses côtés, 2 personnes pouvant être intéressées à le racheter. Un portable avec un disque dur vierge. Une lettre manuscrite dans laquelle elle s’excuse. Elle n’explique pas, elle s’excuse. Elle doute que vous soyez prêts à comprendre. Il n’y a que A. qui connaisse la vérité depuis le début, fidèle présence depuis 18 ans.

A regarder son appartement, rien ne laisse penser à ce qui se trame.

Elle tourne la clef dans la serrure une dernière fois, s’assure d’avoir pris son billet sans retour. Son grand sac bleu lui semble bien léger, à vrai dire elle n’a pas emporter grand chose. Aucun souvenir, juste un livre, quelques habits. Elle s’en va, ne regarde pas en arrière. Elle laisse tout derrière elle.

Elle ne fait que traverser vos vies sans laisser de trace.

Là-bas, elle espère juste une chose : ne plus être invisible.

La lumière est douce. C’est de bonne augure.