J'ai eu la chance d'acheter l'ouvrage hier et de le lire dans la foulée - 12,50 , pour info.
Chose curieuse, j'étais dans une "grande surface culturelle" bien peuplée (samedi oblige), et n'étant pas habitué aux rayonnages de cette enseigne, j'ai demandé s'ils l'avaient en stock. Surprise, non seulement la gentille vendeuse connaissait (quand on sait combien de références sortent par semaine et quand on connaît la compétence globale de ce type de "vendeurs", j'avoue que je suis tombé sur une perle) mais en plus, ils en avaient un sacré paquet !
Eyrolles a semble-t'il mis les petits plats dans les grands pour en vendre une quantité respectable. Ca, c'est pour le côté marketing.
Tout de suite, la méfiance au niveau du titre : "Apple Pixar Mania" en gros, avec "ipod, itunes, Nemo, The Incredibles, 20 ans du Mac ... l'année Steve Jobs" en sous-titre (je sais, ça fait long). Un peu catalogue publicitaire, tout ça, mais logique si l'ouvrage s'adresse au grand public - un coup d'oeil à l'intérieur suffit, c'est écrit aussi gros qu'un roman d'Amélie Nothomb !
L'illustration de la jaquette montre un Steve Jobs poivre et sel lors d'une de ses keyn... conférences, avec une pomme floutée en arrière, mais on a bien reconnu un certain logo...
Le bandeau rouge qui ceint l'ouvrage s'orne d'un énorme "MANIA". Hmmm...
La quatrième de couverture s'orne d'une déclaration de Jobs tirée du "MacWorld" de février 2004... en anglais ! Chose curieuse, on retrouvera cette même déclaration parfaitement traduite, dans le corps de l'ouvrage. Je veux bien croire que les français maîtrisent la langue de Wilde, mais quand même... Erreur de maquettage ?
Ca, c'était pour l'aspect extérieur.
La bio de l'auteur n'appelle aucun commentaire, sinon qu'elle nous informe qu'il pratique la veille technologique et qu'il collabore à une lettre d'infos "co-éditée par le CNRS". On nous dit qu'il est ingénieur en informatique (ça commence mal, ai-je pensé), qu'il a fondé "le premier magazine 100 % électronique du Web francophone", et dirigé une des premières start-up française "dédiée à l'édition de sites d'information consacrés à la technologie"...
Un flou artistique gênant à mon sens. Il a roulé sa bosse, mais ce n'est pas avec un CV pareil - sans aucune référence concrète - qu'on se donne contenance et crédibilité.
Ah si, sa bio mentionne qu'il possède un iMac, un iBook et un iPod. Un "Nota bene" à la fin du dernier chapitre de l'ouvrage nous apprendra que sa rédaction a débuté sur un PowerBook G3 et s'est achevée sur iMac G4 ! Nous avons affaire à un fan de la Pomme - ce que la lecture confirmera. Toutes ces infos étaient-elles primordiales ? Le PC-user lambda qui feuillette l'ouvrage risque de penser que celui-ci est biaisé. A moins qu'il ne s'adresse qu'aux Mac-addicts ? Pas sûr : Pixar est sensé draîner bien au-delà de 'nos' sphères...
L'ouvrage - 240 pages, dont 231 de rédactionnel - se lit vite (c'est écrit GROS, l'ai-je déjà souligné ?), l'écriture est journalistique, claire et assez agréable - je n'ai relevé qu'une seule coquille - la tendance est au laisser-aller dans l'édition à ce niveau.
Nous sommes visiblement dans le registre de la biographie. Une notice en début d'ouvrage nous indique cependant "qu'il ne s'agit pas d'une biographie dans le sens où on l'entend habituellement. Car (...) nous avons cherché à comprendre (Steve Jobs), ses actes, sa stratégie." Steve n'ayant pas souhaité participé à l'ouvrage, celui-ci "doit être pris pour ce qu'il est : une histoire commentée, mettant en lumière quelques pans essentiels de la révolution numérique dans laquelle s'est engagée notre monde". Woah. L'intention louable ne cache pas une ambition un poil grandiloquente.
On l'aura compris, de Jobs et de ses relations avec autrui il sera question durant tout l'ouvrage. Mais surtout, du GRAND DESSEIN de Steve Jobs : changer l'humanité et la rendre meilleure.
L'auteur - s'il se veut journalistique - ne cache pas toujours son admiration du bonhomme : le style devient alors vif et assez emporté - quoique rarement ampoulé.
Le contenu repose pour beaucoup sur le discours rapporté : récupérations d'interviews, de propos, de notes, d'articles glanés dans une bibliographie réduite (6 ouvrages), des sources télévisuelles (il s'étend pas mal sur le TV-film "Les Pirates de la Silicon Valley") ou Internet (une grosse dizaine de sites cités, dont "l'Aventure Apple", MacGénération, et autres). Pas d'investigations directes semble-t'il... Une matière qui semble riche, dont il tente d'extraire les faits les plus signifiants.
Le problème de toute biographie est de savoir équilibrer les différentes parties d'une vie. Ici, la jeunesse de Jobs, ses premières années Apple et l'aventure NeXT / Pixar (1955-1995) prennent 80 pages bien fournies ; son retour chez Apple (et les coulisses de l'accord Microsoft-Apple) et la nouvelle stratégie globale pour la compagnie le reste, soit 151 pages pour la période 1996-2003.
L'histoire "récente" est donc disséquée pour le plus grand plaisir de l'auteur - qui s'était fait une joie de décrire une Apple sans Jobs à la dérive. Son recul (?) lui permet de décrire le grand schéma planificateur de Jobs, qui aurait TOUT pensé, tel un grand sage, depuis son retour - et même parfois AVANT son retour : les gammes grand public / pro, l'iMac, le design, les Apple Stores, MacOS X, les accords HP-Pepsi, iTools, .mac, iSight/iChat, recentrage sur le métier, iTMS / iPod / GarageBand, tout y passe ou presque...
Certes, les parts de marché (qu'il faut relativiser, précise l'auteur, eut égard de la nature fluctuante de l'informatique) diminuent et Cyril Fievet ne nie pas les diverses inquiétudes des Mac-addicts - qu'il semble bien connaître par ailleurs. Mais il multiplie les arguments - et les chiffres (parfois même hors-contexte, ce qui est plus contestable) - afin de convaincre le lecteur qu' "Apple possède aujourd'hui quelques cartes maîtresses, qui la placent dans une position confortable, lui permettant d'envisager son avenir d'une façon sereine. Par bien des aspects, la situation de l'entreprise est peut-être même la meilleure qu'elle ait jamais connue au cours de son histoire mouvementée."
Il faut reconnaître que l'auteur est assez convainquant dans sa démarche, et le Mac-fan en sortira rasséréné.
Mieux, le bonhomme Jobs ne passe pas toujours pour sympa. Mais il est plus souvent considéré comme un artiste / génie caractériel - l'auteur évoque même sa fameuse "distortion de la réalité" - qu'un manipulateur sans coeur avide de pouvoir. Et pourtant, la fin justifiant les moyens, on le voit écartant tout ce qui pourrait l'empêcher d'atteindre ses objectifs (entre autres, Jef Raskin lors de la création du Mac) - ou contournant l'obstacle quand celui-ci ne peut être défait (Microsoft)... C'est assez bien vu finalement, et confortera la vision de certains dans le caractère "messianique du numérique" du iCEO.
Grosso-modo, et pour résumer, "oui, S. Jobs avait de gros défauts avant d'être viré d'Apple, mais il a mûri, il a appris de ses échecs." C'est l'homme nouveau, quoi.
Le bouquin est assez bien documenté, les anecdotes sont intéressantes - quoique la plupart connues des fans, et le tout se lit sans déplaisir. Le récit est linéaire et on ne perd à aucun moment le fil de celui-ci.
Cependant...
J'ai, pour ma part, relevé quelques "distortions de la réalité" ou oublis chez l'auteur. On pourra les juger mineurs, mais ils m'ont personnellement agacé un tantinet :
- MacOS X est évoqué jusqu'à "Jaguar". L'OS 10.3 n'est présenté à aucun moment (l'auteur ne l'aurait pas testé ?),
- l'auteur, s'il présente en détail la stratégie de reconquête de la compagnie (Apple Stores, iTMS, etc.) n'évoque à AUCUN moment la désaffection de la compagnie pour l'Europe : il est français, bon sang, qu'il le dise qu'Apple se porte mal dans notre contrée ! Je n'ai vu nulle part le sticker "Approuvé par Apple France", so what ?!!?
- dans le même style : l'auteur parle de "nouveaux titres" de la presse spécialisée Mac, en oubliant de préciser que d'autres ont disparu. Un portrait idyllique, donc,
- le duopôle Wintel n'est le plus souvent évoqué que pour se faire basher gentiment par Jobs - à aucun moment n'est évoquée la si problèmatique montée en puissance des Pentiums (alors que les campagnes Apple sont 'détaillées') et "le Mythe du Mégahertz" n'a pas intéressé C. Feivet - ne voulant pas rentrer dans les détails techniques trop pointus, probablement... A le lire, jamais Apple n'a eu de mal à tenir les PC à distance, probablement à cause du point suivant :
- Motorola n'est JAMAIS cité - sauf erreur de ma part - comme fondeur ou membre du consortium PowerPC : ses créateurs sont Apple et IBM, qui tient véritablement la vedette (avant, c'était l'ennemi suprême, désormais, c'est le puissant allié) avec son G5. Pas de Motorola, donc pas de retards du G4, plus de problèmes d'approvisionnement, etc. On aurait quand même voulu en savoir plus sur les relations (que l'on peut imaginer orageuses) entre Jobs et le fondeur historique de la gamme Apple. Cela aurait demandé un poil plus d'investigation, peut-être...
- l'auteur a le chic pour nous abreuver de chiffres et pourcentages, corrects certes (j'ai pas vérifié non plus, mais a priori...), mais vides de sens, à la perspective biaisée sans références initiales. Du genre, "je vous donne le chiffre de l'année n mais pas de l'année n-1 ou n+1". Vous avez dit "évolution" ? On ne lui demandait pas des tableaux non plus, mais peut-être son argumentaire en aurait-il pris un coup,
- on écoute de la musique sur un iPod, on peut jouer dessus (ouaiiiis) et on peut même planifier ces rendez-vous, super! Mais l'auteur a oublié que ce bel objet servait dans bien des cas de disque dur portable pour le transfert de fichiers. Le préciser aurait ajouté un point en faveur du iBidule,
- PAS un mot, pas une ligne, sur le eMac. No comment,
- et Pixar, me demanderez-vous ? Pas plus d'une vingtaine de pages sur l'ensemble du bouquin. La portion congrue. Cyril Fievet nous vend "Apple + Pixar", mais l'on se retrouve finalement avec un ouvrage centré sur Apple (logique dans un sens) dont la conclusion offre un satisfecit à l'Oeuvre de Jobs - point terminée... Certes, les relations de Jobs et Disney sont évoquées, mais l'auteur s'appuie trop sur les communiqués de presse et ne développe que peu (dans le monde de l'animation, il évoque Dreamworks mais pas Blue Sky, Sony, ni aucun autre studio). Et assurer que Pixar est devenu le 2ème plus grand studio d'animation au monde me paraît cavalier et relever plus de l'enthousiasme de fan qu'autre chose...
L'ouvrage, s'il se lit vite et s'avère agréable et distrayant (l'informatique, cette grande aventure...) n'en demeure pas moins un livre DE fan POUR le fan (qui sommeille en vous). Le switcher récent ou le curieux apprendront moultes choses, mais le vieux routier sera peut-être déçu. L'auteur enfonce des portes ouvertes... et dans le même temps tord le cou aux idées en cours "de l'autre côté" ("Microsoft a sauvé / racheté Apple", "Apple a volé l'invention de Xerox", etc.).
Bref, grâce à sa documentation, il constitue un argumentaire anti-troll relativement imparable dans les forums. Pour le reste, le Mac-user y trouvera en condensé, un résumé du Grand-Oeuvre de Steve. Une sorte de digest des évangiles selon St Jobs.