A
Anonyme
Invité
Mac OS X 10.2 « Jaguar » a popularisé le concept de messagerie instantanée (« chat ») auprès de nombreux utilisateurs, dont je suis, qui vivaient jusqualors dans lignorance des bienfaits incomparables de la communication directe. Avant cela, il fallait en effet vivre dans la réalité le seul endroit où se faire servir un bon steak, selon Woody Allen pour goûter aux délices coupables dune conversation bien menée, délices à peine compromis par la promiscuité inévitable avec « lautre » (puisquil faut être au moins deux).
On pourrait arguer (on aurait tort de sen priver) que le chat offre une possibilité de dialogue intercontinental bien difficile à opposer au piètre « Bonjour, Madame Germaine » servi à la voisine du premier. Il y a pourtant dans ce discret et machinal salut matutinal (si, ça existe), je ne sais quoi de profondément humain qui ne laisse pas de minterroger.
Les forums et autres groupes de discussions offrent un espace où chacun peut sexprimer librement, en fonction de son humeur ou dun sujet donné. Le courrier électronique renouvelle le genre épistolaire et lenrichit de possibilités inédites (échanges de fichiers numériques, photographies, etc.)
Quid du chat ?
Quon nattende pas de moi une attaque en règle visant lindigence ordinaire des propos échangés sur le chat. Contrairement aux forums ou au mail, la discussion en direct, par sa nature qui est dêtre dans linstant, laisse peu despace à la réflexion. Et cest bien ainsi. Mais à quoi sert-elle, quand elle ne se limite pas aux échanges intimes avec des amis ou des parents éloignés ?
Il ny a pas daspect communautaire du chat. Chaque communauté a ses codes, ses principes fondamentaux qui sont le lien existant entre chacun des membres qui la compose. Ici, une préférence pour le meilleur ordinateur du monde, là pour un chanteur, un groupe ou un compositeur, là encore pour une philosophie ou une religion. Rien de tel sur le chat. Les groupes qui se constituent se sont déjà constitués ailleurs, sur des forums ou dans « lhorrible » réel. Les salons qui sont ouverts reflètent cette appartenance antérieure à un groupe. Vont sur (feu) « macgeneration » ou sur « macbidouille » les habitués de ces sites, sur « jaguar » les utilisateurs anglophones de Mac OS X, etc.
Lutilisateur lambda qui découvre pour la première fois la messagerie en direct se tourne le plus souvent vers un de ces salons, car leur aspect communautaire rassure le profane. Mais le chat est un monde virtuel impitoyable. Il faut souvent donner des coudes pour se faire entendre. Quant à se faire respecter
Et cest bien là que le bât blesse. Il ny a pas à proprement parler de respect sur le chat, puisquil ny a personne, ou pour mieux dire : « puisque les utilisateurs connectés en même temps que moi nont pas dexistence réelle à mes yeux. » Ils sont autant davatars et de pseudos plus ou moins drôles ou originaux, flanqués ou non de statuts parfois ésotériques. Quel crédit puis-je apporter à ces entités numériques qui jouent à être des personnes ? Quel crédit puis-je avoir, moi qui ne suis plus quun avatar, cest-à-dire au choix une transformation du moi réel ou une aberration binaire ?
Madame Germaine astiquant son araucaria sur le palier du premier a bien plus de chair et de poids dans ma perception du réel quaucun avatar au monde*. Elle na pas dimportance sur ma vie, mais elle est. Et je respecte cette humanité fragile, agaçante et empuantie dencaustique. Ami chatteur qui, à mon image, traîne des jours fades sur un réseau anonyme, noublie pas que le monde virtuel est aussi peuplé daraucarias quon astique, et que lavatar qui te parle pèse son poids sur lunivers le soir. À suivre
* Jentends le chur des railleurs : « On sen vichnou ! » et « Vichnou la paix ! » (sic)
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On pourrait arguer (on aurait tort de sen priver) que le chat offre une possibilité de dialogue intercontinental bien difficile à opposer au piètre « Bonjour, Madame Germaine » servi à la voisine du premier. Il y a pourtant dans ce discret et machinal salut matutinal (si, ça existe), je ne sais quoi de profondément humain qui ne laisse pas de minterroger.
Les forums et autres groupes de discussions offrent un espace où chacun peut sexprimer librement, en fonction de son humeur ou dun sujet donné. Le courrier électronique renouvelle le genre épistolaire et lenrichit de possibilités inédites (échanges de fichiers numériques, photographies, etc.)
Quid du chat ?
Quon nattende pas de moi une attaque en règle visant lindigence ordinaire des propos échangés sur le chat. Contrairement aux forums ou au mail, la discussion en direct, par sa nature qui est dêtre dans linstant, laisse peu despace à la réflexion. Et cest bien ainsi. Mais à quoi sert-elle, quand elle ne se limite pas aux échanges intimes avec des amis ou des parents éloignés ?
Il ny a pas daspect communautaire du chat. Chaque communauté a ses codes, ses principes fondamentaux qui sont le lien existant entre chacun des membres qui la compose. Ici, une préférence pour le meilleur ordinateur du monde, là pour un chanteur, un groupe ou un compositeur, là encore pour une philosophie ou une religion. Rien de tel sur le chat. Les groupes qui se constituent se sont déjà constitués ailleurs, sur des forums ou dans « lhorrible » réel. Les salons qui sont ouverts reflètent cette appartenance antérieure à un groupe. Vont sur (feu) « macgeneration » ou sur « macbidouille » les habitués de ces sites, sur « jaguar » les utilisateurs anglophones de Mac OS X, etc.
Lutilisateur lambda qui découvre pour la première fois la messagerie en direct se tourne le plus souvent vers un de ces salons, car leur aspect communautaire rassure le profane. Mais le chat est un monde virtuel impitoyable. Il faut souvent donner des coudes pour se faire entendre. Quant à se faire respecter
Et cest bien là que le bât blesse. Il ny a pas à proprement parler de respect sur le chat, puisquil ny a personne, ou pour mieux dire : « puisque les utilisateurs connectés en même temps que moi nont pas dexistence réelle à mes yeux. » Ils sont autant davatars et de pseudos plus ou moins drôles ou originaux, flanqués ou non de statuts parfois ésotériques. Quel crédit puis-je apporter à ces entités numériques qui jouent à être des personnes ? Quel crédit puis-je avoir, moi qui ne suis plus quun avatar, cest-à-dire au choix une transformation du moi réel ou une aberration binaire ?
Madame Germaine astiquant son araucaria sur le palier du premier a bien plus de chair et de poids dans ma perception du réel quaucun avatar au monde*. Elle na pas dimportance sur ma vie, mais elle est. Et je respecte cette humanité fragile, agaçante et empuantie dencaustique. Ami chatteur qui, à mon image, traîne des jours fades sur un réseau anonyme, noublie pas que le monde virtuel est aussi peuplé daraucarias quon astique, et que lavatar qui te parle pèse son poids sur lunivers le soir. À suivre
* Jentends le chur des railleurs : « On sen vichnou ! » et « Vichnou la paix ! » (sic)
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