Que peut-il bien faire à présent ?
Je ne sais pas.
Tu crois qu'il pense à moi parfois.
Parfois, oui.
Aussi souvent que moi je pense à lui ?
Je ne sais pas. C'est à lui qu'il faudrait demander ça.
Oui, bien sûr.
(Un temps.)
Tu sais (ne vas pas te mettre en colère, hein ?), je ne sais toujours pas ce qui te plaît chez ce garçon
Ça ne m'étonne pas.
Quoi donc ?
Que tu ne comprennes pas.
Ah ? Et on peut savoir pourquoi ?
Oh, c'est pourtant facile à comprendre : il n'est pas comme les autres, comme ceux qui nous plaisent d'habitude.
Ah ?
Ben oui, il n'a pas cette beauté évidente qu'on les autres. Tu sais bien, le genre qui te décroche la mâchoire d'ordinaire
Oui, bon
Justement, il n'est pas comme ça. Alors quoi ? Pourquoi tu bloques sur lui sans arrêt ?
Tu as un avis sur la question ?
Bah oui, mais tu vas encore crier
Tu dis ça comme si je criais pour des riens !
Non, mais bon. (Il hésite.) Ben voilà, je me dis que si tu penses aussi souvent à lui c'est parce que, vu qu'il n'habite pas la porte à côté et qu'il n'est pas super causant, tu ne risques rien à t'imaginer des choses
(Un temps.)
C'est vraiment ce que tu penses ?
Ben, tu demandes aussi
Hum. Tu n'as peut-être pas tort.
Comment ça ?
C'est vrai, ce que tu dis n'es pas dénué de sens. Ça me ressemblerait assez de m'énamourer d'un type sachant que certains
« paramètres » rendent difficile, voire impossible, l'éventualité d'une relation. Ça cadrerait assez avec l'idée que tu te fais de moi.
Quelle idée ?
Ben tu sais, le mec qui a pas de *******s et pour qui tous les prétextes sont bons
Dis, tu ne vas pas ruminer encore ça, non ?
Ça collerait assez, tu ne trouves pas ?
Mouais.
C'est drôle, mais tu n'as pas l'air convaincu.
Ben, quand tu me prends à la légère comme ça, ça m'inquiète un peu
Qu'est-ce que tu veux dire ?
Je veux dire que ça m'inquiète ! Je me demande si, des fois, tu ne serais pas un peu amoureux sur les bords, comme ça, mine de rien.
(Il sourit.)
Et ça t'inquiéterait beaucoup que je sois « un peu amoureux sur les bords » ?
Inquiéter, c'est pas le mot. Mais si quand même un peu. Je me demande si tu ne vas pas te chercher des ennuis.
Des ennuis ? Quels ennuis ? Quel mal pourrait-il me faire que je ne me sois pas déjà fait ?
Mouais. Littérature tout ça
Peut-être. N'empêche.
(Un temps.)
En admettant, je dis bien « en admettant » que tu aies la moindre chance (ce qui, soyons clairs, est loin d'être le cas), est-ce que tu peux me dire ce que tu trouves à ce type ?
Mais
Plein de choses !
Par exemple ?
Tu veux vraiment que je détaille ?
Ben j'aimerais assez, oui.
Si tu y tiens
D'abord il est drôle, d'une drôlerie subtile, vive, intelligente, adaptative
Adaptative ?
Oui
Enfin, je veux dire qu'il sait s'adapter aux gens qui sont en face de lui. Il peut-être plus ou moins subtil selon le cas.
Hum
Admettons. Ensuite ?
Ensuite il y a son intelligence justement, une intelligence instinctive, perçante. Il connaît bien les gens. Je crois qu'il les aime bien.
Quoi d'autre ?
Son histoire me touche. Enfin, ce que j'en sais et ce que j'en devine. Je ne ressens pas de pitié pour ce qu'il a traversé, mais j'ai de l'admiration pour ce qu'il en a fait, pour la personne qu'il est devenue. Et puis il y a cette merveilleuse sensibilité qui est la sienne et qu'il cache, trop, comme un trésor, comme une zone à protéger. Il se protège beaucoup. C'est une habitude qui vient facilement à ceux qui sont tendres et qui doivent survivre. Pour être fort, il faut avant tout le paraître.
C'est ce que tu penses ?
Non, mais c'est ce que je constate. C'est un peu ridicule, comme la rose du Petit Prince avec ses épines de quatre sous, mais c'est ainsi. Et puis, les autres font pareil, alors
C'est tout ?
Oh, non ! Je pourrais te parler de son regard, fixe, intense, scrutateur, de ses mains toujours en mouvement, de son air soucieux, presque grave parfois, de son rire ridicule qui m'enchante, de son côté fashion victim qui m'amuse, de son admirable petit cul qui
Ça va, ça va, j'ai compris !
Quoi ? Tu es jaloux ?
Du petit cul ? Avec celui qu'on se traîne, il y a de quoi non ?
Imbécile.
Mouais. Toujours est-il que tu confirmes mes craintes.
C'est-à-dire ?
T'es dans la merde.
Alors
On y est tous les deux.
Mouais. Youpi.