Sur le fond, je suis d'accord. La machine n'est pas une extension de la puissance humaine. Mais est-ce pour autant que le rapport homme/machine doive être interprété selon le schème politique de la souveraineté : l'homme est le souverain, la machine est son sujet. Ou version marxiste inversée, l'homme aliéné par la machine devient le sujet de son propre sujet ? Il n'est pas sûr que la finalité dans le rapport homme/machine soit un rapport extérieur, celui d'une volonté subjective extérieure aux objets techniques, rapport d'utilité. Si, comme le pense Simondon, la finalité se situe à l'intérieur des objets techniques, du fait qu'il y a une logique qui préside à leur devenir, alors tout change. Cette logique, le processus de concrétisation, consiste dans une intégration toujours plus poussées des éléments dans le tout de l'objet technique, donc dans une individualisation de plus en plus achevé de l'objet technique. C'est la réalisation de son individuation qui est ainsi sa finalité et non plus l'utilité. Ce qui se perfectionne, ce n'est pas l'adaptation de la machine aux services qu'on attend d'elle, mais le schéma opératoire qu'elle est et qui introduit une nouvelle causalité dans le monde. Dès lors, l'homme se trouve situé au milieu des machines. Il s'intègre à leur schéma opératoire comme un médiateur entre leurs composants. Il devient lui même fonction technique dans l'univers machinique.
Mais ceci ne signifie pas un asservissement de l'homme à la technique. Cet univers machinique est fait de ce que Deleuze appelle des agencements. Ainsi, l'agencement de "la guêpe" et de l'orchidée", tel que le décrit P. Maniglier : "on sait que les orchidées, par différents stratagèmes (forme, odeur, etc.), se font passer pour la femelle d'une espèce bien déterminée d'insecte pollinisateur, lequel, en cherchant à s'accoupler avec ce leurre, libèrera le pollen de la fleur, lui permettant ainsi à elle-même de se reproduire. Une plante et un animal, appartenant à des lignée biologiques radicalement différentes se trouvent ainsi constituer une force de reproduction lâchée dans le monde, sans qu'on puisse parler d'une unité ni de structure, ni de fonction" (Mécanopolis). De même, l'agriculture peut être considérée comme un agencement machinique. En sélectionnant des plantes cultivables et assimilables, l'agriculture produit une déterritorialisation de l'espace végétal. Mais cette modification n'est elle-même possible que sur le fond d'un agencement plus complexe, celui de la sédentarisation qui fait intervenir des éléments sociaux, techniques, politiques et géographiques.
C'est l'agencement technique qui est premier. Alors, savoir à partir de là, s'il s'y produit des tics de langage n'est peut-être pas la vraie question, puisque le langage est lui-même tributaire de ces agencements.