Quel accent de merde !!!
Ferdinand de Saussure, dans son «
Cours de Linguistique Générale», déclare, en substance, qu'une langue parlée est un "flux sonore", une "nappe accoustique", dans laquelle les unités signifiantes (les mots) s'individualisent seulement par l'effet de scansions distinctives.
J'ai eu du mal, à la lecture, à concevoir la pertinence de pareille déclaration. Parce que, le Français étant ma langue maternelle, je n'ai jamais expérimenté qu'en tant que langue parlée, le Français soit une telle "nappe accoustique", un tel "flux sonore" continu, dans lequel les mots s'individualiseraient seulement en tant que scansions. Quelles que soient les intonations qu'on peut ajouter aux mots qu'on prononce, quel que soit l'accent du terroir qu'on peut avoir (je suis Gascon et la Gascogne a l'accent "pointu") - j'ai toujours expérimenté le Français comme une langue « plate » (ce qui n'est pas un péjoratif) : une langue d'élocution « neutre ». Parler Français, pour moi, ce n'est pas générer une nappe sonore continue, dans laquelle les mots ne s'individualiseraient qu'en terme de scansions accoustiques. Tout au contraire, c'est partir de mots a priori distincts dans leurs concepts pour produire des articulations syntaxiques improvisées qui sont des phrases.
Le Français m'apparaît comme la « langue des idées » par excellence : la langue de
Descartes. Où chacun arrange à sa guise les mots élémentaires pour proposer à d'autres l'arrangement libre d'une phrase. Ce n'est pas par une musique sonore continue que je cherche d'emblée à frapper l'oreille de l'autre, pour produire une espèce de bain auditif dans lequel nous nous reconnaîtrions ensemble comme des congénaires accoustiques ; c'est une phrase articulée que j'émets à un espace médian de la liberté. Qui, pour avoir ce statut d'espace médian de la liberté, doit être vide de « medium accoustique », neutre. Parler Français, pour moi, c'est faire l'expérience de la liberté intellectuelle dans l'espace vide d'a priori de l'interlocution.
En écoutant parler Américain (comme par exemple le locuteur de cette vidéo), par rapport à cette expérience de la neutralité libre du Français, j'ai fini par comprendre ce que
Saussure voulait dire. Un Américain ne commence pas par proposer à quelqu'un d'autre une phrase dans l'entre-deux de la liberté, il commence par générer un flux sonore modulé (une nappe accoustique où le mode prononciation accentuée est principal) en vue de susciter a priori un effet de reconnaissance par consonance : un effet de groupe, un effet de team, un effet de famille : bain sonore commun, l'immersion accoustique assimilante. Par une espèce d'effet de sens secondaire, intervient le contenu particulier du message, qui a toujours été précédé par la reconnaissance de la musique commune.
Freud évoque quelque part avec cruauté ceux qui «
ont eu le malheur de naître Américains ». L'idée que la moindre de mes phrases puisse être toujours « devancée » par l'immersion dans un bain accoustique permanent (cette profération continue de la résonance
Américaine) - cette idée, je l'avoue, me choque en tant que locuteur Français. Que penser soit toujours précédé par une consonance de groupe...