Alors, me voilà une demi heure avant le concert avec deux amis devant le Zénith. On évoque, comme c'est devenu une habitude entre nous depuis plusieurs années, nos attentes et les concerts passés. Le dernier en date à Paris, celui du 13 novembre 2003, ne nous avait pas laissé une impression inoubliable. On espérait qu'il nous donne ce soir des interprétations plus nuancées que les versions boogie-woogie du dernier concert et surtout qu'il laisse le clavier pour reprendre sa guitare.
Le noir se fait brièvement et la formation apparaît sur scène : un guitariste massif d'une cinquantaine d'année, un batteur un peu plus jeune, une guitare bass entre deux âges, un violoniste, piano-guitare, joueur de banjo (ouch!) plutôt jeune et une guitare-riff grabataire. Dylan au clavier :hein:
Voir la pièce jointe 7008
Le spectacle s'ouvre sur Maggies Farm dans une version rock un peu rapide. Tout amateur avisé de Dylan sait qu'il avait déjà ouvert un concert par Maggie's Farm. C'était au Festival Folk de Newport de 1965. Précisément le jour où, troquant ça guitare acoustique pour une guitare électrique, il a tourné le dos à la musique folk qu'il avait tant contribué à faire connaître. Le public d'alors était outragé et les paroles étaient claires dans le contexte : " I ain't gonna work on Maggie's farm no more. No, I ain't gonna work on Maggie's farm no more".
J'epérais donc qu'il se passe quelque chose ce soir. Ca me semblait nécessaire. Sa voix était catastrophique, et franchement, Dylan au clavier, il y a quelque chose qui va pas. Mon attente était d'autant plus grande que cette année, Dylan est partout, avec d'abord le magnifique bouquin "Chronicles - Volume 1", ensuite le superbe documentaire de Scorsese "No Direction Home" et le double CD "bootleg" homonyme.
Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Il enchaîne sur le très beau "Tonight I'll be staying here with you" mais l'interprétation est catastrophique. C'est surtout la voix qui ne va pas. D'aucun diront qu'il n'a jamais eu une bonne voix. C'est vrai qu'elle a toujours été particulière, mais précédemment elle s'élevait haut et fort, comme au travers une colonne d'air, et faisait passer des émotions (amour ou haine) très fortes avec une sincérité bouleversante. Aujourd'hui elle est usée, caverneuse, et ne permet plus aucune nuance. Le chant en devient répétitif, presque automatique, en somme lassant.
Suivra le très moyen Tweedle Dee & Tweedle Dum qui ouvre le dernier album (sorti déjà le 11 septembre 2001, ça ne s'invente pas) et ensuite le grandiose It's All Right Ma (I'm Only Bleeding). Mais la encore, un massacre. Il m'a fallu deux strophes pour reconnaître le morceau. Le public (pourtant très nombreux) ne réagit même pas sur le vers mythique "Even the President of the United States Sometimes Must Have to Stand Naked" qui a toujours déchaîné les foules et qui dans le contexte actuel aurait dû faire mouche. Il faut dire qu'il était pratiquement inaudible et dit sans conviction.
Suivent encore deux morceaux dans une version genre boogie-woogie que je n'ai même pas fait l'effort de reconnaître et durant lesquels rien ne nous a été épargné : le violon et le banjo se sont invités; le clavier de Dylan était carrément à contretemps. Rideau.
A l'entracte, autour d'une bière, je fais part de mon dépit à mes amis. Ils sont un peu moins durs que moi mais globalement d'accord. D'une façon générale le public est partagé. Il y a ceux qui n'ont pas de mots pour le descendre "il faut qu'il arrête, ça ne ressemble plus à rien". Ceux qui sont anormalement enthousiastes. Surtout des très jeunes très excités qui ont le sentiment de vivre un événement. Et puis ceux qui n'ont pas d'avis. Ils sont là parce qu'un concert de Dylan c'est malgré tout un événement mondain.
Finalement les vrais amateurs sont rapidement identifiables. Ils sont certes un peu dépités, mais sont somme toute contents de le voir encore une fois. Content d'avoir entendu tel morceau même si l'interprétation n'était franchement pas bonne. Regrettent la guitare mais sont contents des quelques sorties à l'harmonica.
L'entracte est très courte et le concert reprend alors que nous n'avons pas terminé notre première bière. J'hésite entre y retourner ou en commander une seconde. Evidemment j'y retourne. Plein d'appréhension, mais j'y retourne.
Voir la pièce jointe 7009
La deuxième partie s'ouvre comme la première s'était terminée. La seule différence notable est qu'l avait troqué son couvre-chef noir pour un chapeau de cow-boy blanc. Pas de quoi téléphoner à la famille
Et puis... il attaque It Ain't Me Babe. Une version très calme. Le groupe se fait discret. La voix n'est plus forcée. Il y deux jolies sorties à l'harmonica. C'est simple et c'est très beau. Je lui ai déjà pardonné tout ce qui a précédé. J'ai eu mon petit moment de grâce à moi et je sais pourquoi je suis venu et pourquoi je serai encore là la prochaine fois. :love:
Suivra Highway 61Revisted dans une version très passable. Ensuite A Hard Rain A-Gonna Fall. L'interprétation n'est vraiment pas terrible, mais je suis encore sous le charme de It Ain't Me babe et, nom de dieu, que le texte de cette chanson est beau. Suivra I Don't Beleive You (She Acts Like We Never Had Met) dans une version, très différente de celle de 1964 mais très convaincante. Et puis je n'avais plus écouté ce morceau depuis longtemps. Une bonne surprise. Viendra ensuite Desolation Row. Encore un superbe texte et il y avait longtemps que j'avais envie de l'entendre sur scène (l'interprétation live de 1966 est magistrale). Là c'était franchement moins convaincant, mais quand même...
Suivra un morceau que je n'ai pas réussi à reconnaître. Encore un de ces affreuses interprétation type rock de province.
Rideau. Rappel.
Le groupe revient avec Like A Rolling Stones. Alors bien sûr, on chante tous en coeur, mais l'interprétation à nouveau laisse à désirer. Les musiciens sont bons mais la voix est à nouveau forcée et n'assure plus.
Idem sur All Along the Watchtower. Le guitariste est excellent mais Dylan n'y est pas.
Nous avons ensuite droit à un petit salut rigolo. Dylan debout devant le public tenant deux harmonicas à hauteur du col de sa veste fait mine qu'il va les jeter au public. Puis non. Un petit sourire en coin et il s'en va.
Lumière.
En conclusion, un concert franchement très moyen, mais au milieu un très beau moment qui fait oublier tout le reste.
Et puis vous verrez. Un jour... ça viendra de très loin... on entendra comme une rumeur "Dylan s'est remis à la guitare". On sera impatient. On comptera les jours avant son prochain passage à Paris et bien sûr on y sera. Et ce concert sera vraiment bon.
Ce garçon à la capacité de rebondir.
Vous verrez.