A
Anonyme
Invité
Note de léditeur : Le texte qui suit na certes rien à voir avec la célèbre Phénoménologie de lEsprit de Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Pour autant, M. Evil a souhaité que le titre de cette uvre brillante soit donné à ce sujet, afin que ceux qui seraient surpris en train lire ces lignes pendant leurs heures de travail, les étudiants qui emploieraient de manière abusive laccès à Internet de leur université, et ceux qui, occupés à consulter ce site, seraient pris sur le fait par leur conjoint au beau milieu de la nuit, trouvent le repos de leur esprit inquiet dans cette réponse admirable : « Mais enfin, patron/M. le professeur/mon amour (rayer la mention inutile), tu vois bien que je suis en train de lire la Phénoménologie de lEsprit de Georg Wilhelm Friedrich Hegel ! » réponse quon pourra agrémenter dun « Merde ! » ou « Zut ! » de rigueur en fonction des circonstances. Pour cela aussi, merci M. Evil !
Toublakowski était sur les nerfs. La paperasse nétait pas, pour ainsi dire, sa tasse de thé. Il jeta un coup dil à la pile de dossiers entassés sur son bureau, poussa un soupir, puis il se leva et se dirigea vers la fenêtre. À travers les persiennes, il aperçut un panier à salade qui rentrait au bercail. Une jolie blonde en descendit la gueule en vrac, accompagnée par les deux gugusses de service. « Ça, cest encore pour ma pomme », se dit-il en se versant un café, le cinquième de la matinée.
De près, la jolie blonde nétait pas si jolie que ça. Son rouge à lèvres était étalé sur sa joue, son mascara avait coulé et ses cheveux bouclés partaient dans tous les sens. Elle portait une jupe courte très courte en cuir rouge, des escarpins aux talons dune hauteur improbable, un tee-shirt marin et un petit blouson de cuir aux épaules bouffantes. Bref, elle était sapée comme une pute. Pour lheure, elle patientait sagement dans le bureau du commissaire, reniflant de temps à autre, tandis que les comiques en bleu expliquaient à Toubla où ils avaient trouvé lépave.
« On la ramassé dans le parking du centre commercial, chef. Elle était vautrée par terre. Elle chialait contre la portière dune Xsara. »
« Moi aussi, je pleurerais si javais une Xsara »
Le gus ne releva pas et poursuivit.
« Je doute que ça été la sienne. Jai limpression quelle sest fait agresser par un mec. Toujours est-il quy avait personne quand on est arrivés, Paulo et moi. »
« Pauvre con, pensa Toubla, il allait tattendre peut-être »
« Comme elle ne disait rien, on la embarquée »
« Cest bon les gars, vous avez fait du bon boulot. Restez dans les parages, dès fois que jai besoin de vous. »
Ils le saluèrent, et il les regarda séloigner en se marrant. Les imbéciles heureux Au fond, il leur enviait leur jeunesse et leur insouciance. Il lui restait deux ans à tirer, et il avait vu trop de trucs moches pour continuer à se raconter des histoires sur la belle vie et les petits zozieaux.
En parlant de trucs moches Il entra doucement dans le bureau et fit claquer la porte. La blonde sursauta.
« Excusez-moi », lui dit-il en la dévisageant dun regard sévère. Il fallait à tout prix quon le trouve antipathique, revêche, presque méchant : vieille technique de flic pour accoucher les consciences. Et puis merde, après toutes ces années, ça le faisait encore marrer de jouer les durs. Avec ce spécimen, au moins, il naurait pas à sortir le magnum : il la sentait déjà prête à mouiller sa culotte.
« Café ? »
« Je veux bien », répondit-elle dune voix suraiguë.
Il la regarda avec des yeux ronds puis, se reprenant, il se leva pour lui servir un café et commença linterrogatoire.
« Nom ? »
« Si, juste un sucre. »
« Non, je vous demande votre nom »
« Oh, pardon. Cynthia. Cynthia Beauséjour. »
« Cest une blague ? »
« Non, cest mon nom. »
« Sans rire ? »
« Oui. »
Il rentra le nom dans lordinateur avec un soupir.
« Profession ? »
« Vendeuse. Je travaille au rayon parfumerie du centre commercial. »
« Vous êtes née le 12 janvier 1978, à Meaux, cest ça ? »
« Oui. Enfin à côté, à Claye-Souilly. Mais comme mes parents habitent à Meaux, cest là quon ma déclarée. Mes parents revenaient de chez des amis quand ma mère a eu des contractions. Elle a accouché dans la voiture alors quils étaient encore à Claye, mais ils ont dit que jétais née à Meaux, vu que cest là quils habitent. »
Elle avait débité ça dun trait. Il lui jeta un regard hébété, la bouche légèrement entrouverte, poussa un autre soupir et continua.
« Alors, si vous me racontiez ce qui sest passé dans ce parking, hein ? »
« Oh, cétait affreux ! Je nai pas pu len empêcher ! Il tirait si fort »
Elle se remit à pleurer. Toubla essaya de se montrer aimable. Il lui poussa sous le nez une boîte de Kleenex qui traînait sur le bureau.
« Allons, allons, on se calme. Si vous me racontiez depuis le début »
Elle se moucha bruyamment deux ou trois fois, essuya ses mirettes avec un coin du mouchoir puis, après avoir respiré un grand coup, elle le regarda droit dans les yeux et dit :
« Savez-vous seulement ce que cest que dêtre pauvre ? »
Il resta stupéfait par son attitude et par la question.
« Moi, je le suis. On travaille, on travaille, et puis des clous oui ! »
Elle marqua un temps.
« Je veux bien vous raconter ce qui sest passé, mais je veux que vous compreniez que tout ça pourrait me causer du tort. Ma patronne est une conne, mais je tiens à cette place. »
« Je serais muet comme une tombe »
« Plaît-il ? »
« Je ne dirais rien. »
« Ah. » Elle hésita et, baissant les yeux, elle ajouta : « Je ne suis pas une voleuse. »
« Personne ne vous accuse Vous avez volé quelque chose ? »
« Oui. Un jean. »
(à suivre)
Toublakowski était sur les nerfs. La paperasse nétait pas, pour ainsi dire, sa tasse de thé. Il jeta un coup dil à la pile de dossiers entassés sur son bureau, poussa un soupir, puis il se leva et se dirigea vers la fenêtre. À travers les persiennes, il aperçut un panier à salade qui rentrait au bercail. Une jolie blonde en descendit la gueule en vrac, accompagnée par les deux gugusses de service. « Ça, cest encore pour ma pomme », se dit-il en se versant un café, le cinquième de la matinée.
De près, la jolie blonde nétait pas si jolie que ça. Son rouge à lèvres était étalé sur sa joue, son mascara avait coulé et ses cheveux bouclés partaient dans tous les sens. Elle portait une jupe courte très courte en cuir rouge, des escarpins aux talons dune hauteur improbable, un tee-shirt marin et un petit blouson de cuir aux épaules bouffantes. Bref, elle était sapée comme une pute. Pour lheure, elle patientait sagement dans le bureau du commissaire, reniflant de temps à autre, tandis que les comiques en bleu expliquaient à Toubla où ils avaient trouvé lépave.
« On la ramassé dans le parking du centre commercial, chef. Elle était vautrée par terre. Elle chialait contre la portière dune Xsara. »
« Moi aussi, je pleurerais si javais une Xsara »
Le gus ne releva pas et poursuivit.
« Je doute que ça été la sienne. Jai limpression quelle sest fait agresser par un mec. Toujours est-il quy avait personne quand on est arrivés, Paulo et moi. »
« Pauvre con, pensa Toubla, il allait tattendre peut-être »
« Comme elle ne disait rien, on la embarquée »
« Cest bon les gars, vous avez fait du bon boulot. Restez dans les parages, dès fois que jai besoin de vous. »
Ils le saluèrent, et il les regarda séloigner en se marrant. Les imbéciles heureux Au fond, il leur enviait leur jeunesse et leur insouciance. Il lui restait deux ans à tirer, et il avait vu trop de trucs moches pour continuer à se raconter des histoires sur la belle vie et les petits zozieaux.
En parlant de trucs moches Il entra doucement dans le bureau et fit claquer la porte. La blonde sursauta.
« Excusez-moi », lui dit-il en la dévisageant dun regard sévère. Il fallait à tout prix quon le trouve antipathique, revêche, presque méchant : vieille technique de flic pour accoucher les consciences. Et puis merde, après toutes ces années, ça le faisait encore marrer de jouer les durs. Avec ce spécimen, au moins, il naurait pas à sortir le magnum : il la sentait déjà prête à mouiller sa culotte.
« Café ? »
« Je veux bien », répondit-elle dune voix suraiguë.
Il la regarda avec des yeux ronds puis, se reprenant, il se leva pour lui servir un café et commença linterrogatoire.
« Nom ? »
« Si, juste un sucre. »
« Non, je vous demande votre nom »
« Oh, pardon. Cynthia. Cynthia Beauséjour. »
« Cest une blague ? »
« Non, cest mon nom. »
« Sans rire ? »
« Oui. »
Il rentra le nom dans lordinateur avec un soupir.
« Profession ? »
« Vendeuse. Je travaille au rayon parfumerie du centre commercial. »
« Vous êtes née le 12 janvier 1978, à Meaux, cest ça ? »
« Oui. Enfin à côté, à Claye-Souilly. Mais comme mes parents habitent à Meaux, cest là quon ma déclarée. Mes parents revenaient de chez des amis quand ma mère a eu des contractions. Elle a accouché dans la voiture alors quils étaient encore à Claye, mais ils ont dit que jétais née à Meaux, vu que cest là quils habitent. »
Elle avait débité ça dun trait. Il lui jeta un regard hébété, la bouche légèrement entrouverte, poussa un autre soupir et continua.
« Alors, si vous me racontiez ce qui sest passé dans ce parking, hein ? »
« Oh, cétait affreux ! Je nai pas pu len empêcher ! Il tirait si fort »
Elle se remit à pleurer. Toubla essaya de se montrer aimable. Il lui poussa sous le nez une boîte de Kleenex qui traînait sur le bureau.
« Allons, allons, on se calme. Si vous me racontiez depuis le début »
Elle se moucha bruyamment deux ou trois fois, essuya ses mirettes avec un coin du mouchoir puis, après avoir respiré un grand coup, elle le regarda droit dans les yeux et dit :
« Savez-vous seulement ce que cest que dêtre pauvre ? »
Il resta stupéfait par son attitude et par la question.
« Moi, je le suis. On travaille, on travaille, et puis des clous oui ! »
Elle marqua un temps.
« Je veux bien vous raconter ce qui sest passé, mais je veux que vous compreniez que tout ça pourrait me causer du tort. Ma patronne est une conne, mais je tiens à cette place. »
« Je serais muet comme une tombe »
« Plaît-il ? »
« Je ne dirais rien. »
« Ah. » Elle hésita et, baissant les yeux, elle ajouta : « Je ne suis pas une voleuse. »
« Personne ne vous accuse Vous avez volé quelque chose ? »
« Oui. Un jean. »
(à suivre)