Tu pourrais avoir 60 ans.
Les cheveux gris et fournis, des lunettes cerclées d'argent, un visage poupin, un peu couperosé, avachi. Des bajoues tombent de chaque côté d'une bouche à l'expression blasée et satisfaite d'elle.
Tu portes du marron. Une veste en velours, un polo marron glacé qui enrobe ton estomac proéminent. Un jean marron, des tiags mexicaines. Marron aussi.
Tu lis la Tribune, le Figaro, le Monde, le Revenu français.
Tu découpes des pages que tu classes à côté d'un grand agenda à feuille d'or et cuir pleine fleur rouge. Tu classes des archives papier. Pas d'ordinateur à tes cotés, ni dans ce magnifique cartable en chevreau gris posé sur le siège droit. Tu déchires d'autres pages que tu jettes à la poubelle. Quand tu as fini de dépiauter tes canards, tu les empiles négligemment sur le siège d'en face.
Ils y resteront quand tu partiras du TGV.
Tu es un vieux soixante-huitard qui ne connait plus qu'une seule valeur, celle de l'argent.
Toi et tes semblables de la même génération, vous avez corrompu profondément le monde.
Pour oublier votre révolution ratée, je suppose.
J'ai le double de l'âge que tu avais alors. Je n'ai jamais cru à ta révolution, ni à aucune autre. Parce que j'ai grandi en regardant des gens comme toi pourrir la planète, aussi consciemment et cyniquement que tes parents l'avaient fait dans l'inconscience idiote et ébahie qui était la leur.
Le monde que tu nous laisseras, lorsque nous aurons enfin réussi à t'en foutre dehors, ressemblera plus à un champ de ruines qu'à un champ de fleurs. Et de ta bite génération, il restera des guerres de religions.
Alors, je préfère cultiver ma révolution intérieure. Aucune fatwa ne m'empêchera de me tordre en faisant du yoga. Là. En face de toi. Dans un compartiment de première du tgv montpellier-lyon, direct par valence.