Je reviens sur le sujet parce que j'ai écouté la fameuse émission Europe 1 et j'ai trouvé une source assez documentée sur l'affaire.
Déjà, l'intervenant, Louis Pouzin lui-même, précise bien que selon lui Cyclades ne fut qu'une victime collatérale de la guerre CGE vs. Thomson autour d'UNIDATA et qualifie le Minitel de réussite, les autres disent impasse mais lui ne veut pas amoindrir les réalisations des ingénieurs des télécoms. L'auteur explique qu'il aime mélanger fiction et réalité, pour lui Ambroise Roux est un personnage de roman, en plaçant un récit dans son roman. Certes, mais l'éclairage qu'il donne au récit, son interprétation des faits, sont bien personnels et romanesques. D'ailleurs, Louis Pouzin intervient alors pour préciser qu'il ne faut par faire "d'histoire conjoncturelle", que UNIDATA n'était pas forcément destiné à être une sorte d'Airbus de l'informatique.
Et pour cause. Ces pages retracent l'histoire de la CII (aka "C deux I" comme ont l'appelait alors) :
http://www.feb-patrimoine.com/projet/histoire_informatique/histoire_cii_1972-1975.htm
(Il faut tout lire, c'est passionnant sur les arcanes de la politique industrielle au temps de Pompidou et Giscard)
On s'aperçoit que UNIDATA, l'alliance entre CII, Siemens et Philips a suscité un certain scepticisme au gouvernement (on est encore sous Pompidou). Le ministère approuve mais le gouvernement refuse d'abord de s'engager (c'est-à-dire financièrement). À l'intérieur de CII, Thomson pousse mais la CGE freine. Début 1974, le gouvernement ne s'est toujours pas prononcé et la guerre CGE vs. Thomson fait les choux gras de la presse. Le gouvernement n'approuve officiellement UNIDATA qu'au mois de février 1974.
Au-delà de la rivalité CGE-Thomson, ou Roux-Richard, le cœur du problème était que la présence de la CII au sein d'UNIDATA réclamait un apport de fonds de l'État (par rapport au poids de Siemens et Philips) et que plus la conjoncture économique se dégradait, plus cela devenait difficile à réaliser. Il fallait à la CII un groupe industriel puissant pour l'épauler alors qu'elle était l'otage des rivalités de ses deux principaux actionnaires.
Autre point important : les sociétés composant UNIDATA sont toutes déficitaires à l'époque de plusieurs centaines de millions de $.
Cyclades n'est dévoilé qu'en février 1974, alors que l'affrontement CGE-Thomson au sein de la CII bas déjà son plein.
Dès le début, des problèmes de tous ordres apparaissent au sein d'UNIDATA entre CII et Siemens (financements, dettes, production), puis entre CII et Philips (politique commerciale). Il est clair pour tous les acteurs qu'on ne s'en sortira que par la fusion des activités des trois partenaires dans UNIDATA.
La question se pose alors pour CII : disparaître dans UNIDATA ou s'allier avec Honeywell-Bull pour rester un groupe français.
En mai 1974, changement de Président, de ministre, de politique, UNIDATA est finalement abandonné. La CII est alliée à Honeywell-Bull pour le destin qu'on lui connaît.
Pour moi, plus que UNIDATA, qui péri donc en 1975 avec la fin du Plan Calcul et devant les difficultés de financement de la CII, Cyclades, projet mineur qui ne s'arrête qu'en 1978, a été la victime de Transpac, le "bébé" de la Direction Générale des Télécommunications.
Pour les besoins de son roman, Eric Reinhardt voit Cyclades et UNIDATA plus beaux qu'ils n'étaient et son "héros", Ambroise Roux, plus important et maléfique que dans la réalité. C'est la loi du genre, c'est une histoire mais ça ne saurait faire Histoire, qui est une chose beaucoup plus complexe.