Philito a dit:
Pour toi, Philito ... ... ...
(suite ... ...)
Simon était à mes cotés ... il posa la main sur mon épaule et me demanda : "t'es pas bien ???" ...
Et c'est vrai ... je ne me sentais pas vraiment bien !
Je crois que la bière et la chaleur y étaient pour beaucoup ... en effet, je ne pouvais m'imaginer que ce soit la nouvelle de la maladie de Cathy qui m'ait bouleversée à ce point ... elle était une parfaite inconnue pour moi, une petite pute qui monnayait son corps et ses charmes, un dérisoire fantome de coursives d'hotels ... rien de plus ! Et malade avec ça ...!!!
Non, c'était bien cette fichue bière qui me flanquait le tournis !!!
La nuit était belle pourtant ... j'entendais au loin les bruissements et les cris de la foret - j'imaginais les drames qui devaient s'y dérouler dans le secret des ténèbres ... des armées de prédateurs en chasse, une débauche de victimes, des craquements de machoires sinistres, et du sang ... beaucoup de sang...!
Je demandais à Simon d'aller régler l'ardoise à Papa Mombassa en lui filant une poignée de billets... Je l'attendrais près de ma voiture...
Et elle aussi m'attendait, entourée de ses gardiens de misère assis, l'un sur le capot, l'autre sur le toit... Je leur filais ma monnaie ... toute ma monnaie ! Les "merci patron" qui fusaient de toutes parts me firent comprendre que j'avais été généreux ... ... généreux pour quelques pièces censées apaiser ma conscience de petit bourgeois looké colonialiste...!!!
Les gosses étaient sortis de nulle part et ils y étaient retournés ... juste si on entendait encore leurs cris et leurs rires qui s'estompaient au loin...
Purée, qu'est-ce que je me sentais seul au bord de cette piste déserte...envie de vomir, envie d'etre ailleurs...
Simon réapparut ... sa silhouette se dessina dans le halo du néon rachitique de Papa Mombassa ! Il marchait lentement ...
Quand il fut près de moi il me dit : "pas question de prendre ta voiture pour retourner au Memling ... viens chez moi, dans ma maison ! y'aura encore de la moambe...!" - et il ajouta : "t'en fais pas, demain il fera soleil...!" - Eh oui, demain il ferait soleil, comme tous les autres jours que Dieu fait... et la merde aussi ...!!!
De toutes manières, je n'aurais pas pu refuser ... son ton était sans appel et il aurait été certainement vexé que je décline son invitation !
Je voulus prendre ma voiture ... il refusa ! "Tu peux la laisser ... je me suis arrangé avec Papa Mombassa ... elle ne risque rien !"
On commença à marcher, cote à cote ... il me dit qu'on en avait pour une une bonne demi-heure ! J'étais crevé et en meme temps, j'étais content de marcher ... une petite brise nous caressait le visage et Simon avait sorti la lampe de poche qui ne le quittait jamais...
La nuit était noire - je pensais "plus noire que ça, tu meurs...!" - en plaisantant, je demandais à Simon de rester près de moi pour que je ne le perde pas de vue !!!
Il me répondit fièrement : "Hé oui ! Black is Black !!!"
Nous marchions dans un véritable cloaque, des flaques de boue incessantes qu'il fallait contourner sous peine de s'y étaler lamentablement ... l'orage avait fait son oeuvre, l'eau se mélangeait allègrement avec la pisse et les excréments et en transcendait les odeurs...
Le long du chemin qui serpentait entre les bicoques aux toits de tole ondulée et aux murs disparates, nous rencontrions quelques fantomes qui dormaient à meme le sol, ivres, probablement ou trop fatigués pour rentrer chez eux ... ou les deux...
Quelques gars aussi, machette ou tournevis de mécanicien à la taille, qui nous regardaient passer en nous suivant du regard ... à chaque fois, Simon les saluait de leurs prénoms comme pour leur prouver que nous étions ensemble... ils ne répondaient pas !
"Nous sommes bientot arrivés !" dit il en m'entendant souffler comme un boeuf derrière lui...
Et de fait, nous sommes arrivés devant une sorte de "grande cabane de jardin" comme nous dirions à l'européenne, sauf qu'ici on entreposait des hommes et des femmes et pas des outils de jardin !
"Man'za, tu es encore debout ???" demanda doucement Simon - une voix se fit entendre : "Oui Simon, je suis là" - la porte s'ouvrit laissant apparaitre un halo de lumière vascillante ... je vis clairement la lampe à pétrole posée sur la table...et l'image fugace d'une femme surprise de voir Simon avec un étranger ... il me dit : "attends-moi là, j'en ai pour une minute...!" - il entra sans refermer la porte et je l'entendis discuter avec la femme que je présumais etre son épouse...
Quelques minutes s'écoulèrent pendant lesquelles je me disais : "mais qu'est-ce que je fiche dans un endroit pareil ???"
Simon ressortit de la cabane : "viens que je te présente ma femme, Man'za !" - elle était charmante Man'za dans sa robe de nuit en coton rose ... pendant un instant, je ne vis que son sourire ... un sourire radieux ... un sourire à faire surgir l'aurore ... un sourire qui effacait d'un seul coup les péripéties de la nuit... Elle s'avança vers moi et ouvrit les bras ... tandis qu'elle m'embrassait chaleureusement elle me dit : "C'est toi l'ami de Simon ???" - un peu gené, je répondis que oui, ne sachant que dire d'autre de plus intelligent ou de plus circonstancié...
L'intérieur de la cabane était séparé en deux : une partie faisant office de cuisine, salon, salle à manger, débarras, foutoir etc... et l'autre partie, plus petite faisait office de chambre commune ... les deux parties étaient séparées par un simple drap accroché à une corde avec quelques pinces à linge - j'appris qu'ils vivaient à cinq (Simon, Man'za et leurs 3 enfants sur environ 20 m2 et Simon de me dire qu'ils avaient de la chance de pouvoir disposer d'une telle surface...!!!
Pour seul éclairage, une lampe à pétrole qu'ils baladaient d'un coté ou de l'autre selon les besoins...
Pas de fenetres ... la porte était la seule ouverture donnant sur l'extérieur...
Man'za me fit asseoir sur le canapé ou sur ce qui avait du etre un canapé dans une vie antérieure...
Elle me proposa une bière que je refusais ... "N'auriez-vous pas un peu d'eau s'il vous plait ?" - Simon me dit alors en riant, que mon faible intestin d'européen ne résisterait pas une heure aux germes présents dans l'eau de la cité... "prends la bière !" me conseilla t'il !
Man'za était sortie et revint quelques instant après avec un plat de moambe - j'appris qu'un feu de branchages brulait toujours à l'arrière de chaque maison - ce feu était destiné autant à cuisiner qu'à assurer la sécurité dérisoire des occupants de la cabane...
Maintenant je comprenais pourquoi, lorsque je regardais par la fenetre de ma chambre d'hotel à l'Intercontinental, je voyais des milliers de feux qui brillaient dans le lointain : un feu = une cabane = la vie !!!
Elle me servit une ration de moambe dans une gamelle bosselée et me dit avec un sourire délicieux : "ici on mange avec les doigts ... de toutes façons on ne peut pas faire autrement...!!!"
J'avais faim ... très faim ! La marche m'avait ouvert l'appétit et avait dilué les vapeurs d'alcool qui embrumait mon esprit ... je me précipitais sur la moambe que je trouvais délicieuse ... Man'za et Simon me regardait amicalement...!!!
Ils étaient beaux et fiers ... la lumière changeante et vascillante donnait du relief à leurs visages et accentuait l'éclat de leurs yeux ...
Ce moment était magique ... j'avais l'impression d'etre en face du bonheur...!!!
(... ... à suivre)