Ma Julie
Je me demande parfois où tu en es, dans ton adolescence que j'espère pas trop perturbée.
Tu sembles être du genre à pas te laisser faire et ça me rassure, cette capacité à envoyer bouler ta ***** de mère. Je ne t'ai pas vu et n'ai pas de nouvelles depuis maintenant bien 2 ans et demi et y'a des jolis moments où je pense à toi, en me demandant comment ça serait si un jour tu m'appelais, comme ça, juste pour me faire un coucou, me dire que tu es à la Gare du Nord, descendant du Thalys, seule, avec une copine ou un copain et que tu ne sais pas où dormir ou simplement pour me dire que je te manque.
Dans le métro hier soir, entre Porte de Clignancourt et Châtelet (je quittais un garçon et en allait en retrouvait d'autres), je lis un flyer de Réseau Éducation Sans Frontières, contre le traitement estival et abusif des sans-papiers et de leurs gamins par certains hum, services de l'Etat, photocopie sans doute posée sur les banquettes par du personnel de la RATP. Réunions deux fois par mois à Belleville (joli nom n'est-ce pas ?).
Au 2e arrêt, Simplon (ça me fait sourire à chaque fois, dans ce long long tunnel qu'est le métro), une maman et sa fille de 3 ans, belles comme la nuit se sont assises en face de moi. J'ai ramassé les chouchous bariolés que la petite faisait régulièrement tomber pendant que sa mère colorait ses tresses par petites touches, regards échangés, tranquilles et amicaux, un petit voyage en bonne compagnie. Sa bouche me faisait penser à la tienne, quand je te prenais dans mes bras ou quand je te poussais sur la balançoire du jardin.
J'étais quasiment la seule personne blanche dans le wagon et ça m'a transpercé. Ton absence, cette possibilité d'agression sur cette petite tête à couette en face de moi, un truc désagréable au possible, une envie de vomir comme un peu avant ta naissance, où la vue de mon passeport français me faisait honte rien qu'à l'écoute des infos sur ces horreurs au cur de l'Europe, à cette inertie et aux mauvais choix du Sphynx à qui j'avais donné ma confiance, quelques années plus tôt. Ils ont perdu ma foi à ce moment-là. Le Sphynx est mort peu après et la place semble toujours vide. Tu es donc née, juste après. Joie australe pour moi, bel été hivernal, rouge, noir et jaune au pays de koalas. Heureux. 23 ans et grand frère. Choc.
Je ne t'ai pas beaucoup connue, tu nous adorais, je n'en ai jamais douté, on se voyait quelques fois par an et chaque séjour a pu être une fête, malgré les tensions des adultes. Et maintenant, celui qui nous rassemblait nous sépare. Et tu as 15 ans.
Je suis descendu à Châtelet, laissant la fillette et sa très jolie maman (le genre à faire basculer une vie, si si...) continuer leur voyage et j'ai rejoins sous la pluie mes camarades plantigrades et canidés, à l'abri de l'eau (mais pas des regards: no shame) sur le pas de notre grotte. Et là, je me suis réchauffé à leur contact, avec force houblon et tabac et j'ai repensé à toi, à d'autres êtres chers qui sont venus et partis, et je me suis dit que j'aimerai un jour t'y emmener, on est un peu sauvage, parfois pataud vu de la rue, mais on est pas méchants et tu rigolerais bien je suis sûr à nos plaisanteries, nos bêtises, Akela ou Baloo si sensibles
Il faudra que je te fasse écouter un vieux standard: Elvis Presley et (Let me be) your teddy bear... c'est gentil et coquin, tu as l'âge, faut bien écouter les paroles. As-tu toujours notre ours en peluche ?
Ton frère parmi les ours et les loups