Petit retour en arrière hier en cherchant dans mes cartons de négatifs...
Je n'ai pas retrouvé ce que je cherchais mais je suis tombé sur cette photo, prise au café en face de mon école, quand j'y étais encore étudiant. Elle n'a rien de bien intéressant, que ce soit la lumière ou le cadrage, et je n'ai même pas été foutu de faire la mise au point sur le personnage au premier plan.
Mais voilà, c'est justement cette absence de netteté sur les personnages qui aujourd'hui m'interpelle.
En effet la seule chose qui semble nette ce sont les verres sur le comptoir, seuls vestiges qui subsistent aujourd'hui de cette scène, les deux personnes étant disparus, peu de temps après pour l'un, et quelques années plus tard pour le second, un visa estampillé "cirrhose" pour le paradis des écluseurs de ballons.
Ce flou ne me gène plus du tout et prends aujourd'hui un tout autre sens, comme si la photo avait voulu commencer le travail de sape qu'en général la mémoire se charge d'effectuer, arrondissant les angles et diluant les contours, avant même la fin de l'histoire. Je fabule un peu mais c'est ce que je ressens aujourd'hui quand je la regarde.
Alors certes ce ne sera jamais une "belle photo", mais pour moi elle restera longtemps l'une de mes plus belles, parce qu'elle est chargée à bloc d'un paquets de souvenirs et qu'elle résume à elle seule tous les moments que j'ai passé, un verre à la main, à écouter ces deux hommes (toujours ivres mais toujours dignes) raconter leur vie, leurs amours, leur monde.