Il est exact que beaucoup d'agitation se fait sur le statut des profs qu'il faudrait soi-disant réformer au plus vite....
Je m'en ouvre ici et là sur le net, j'en ai parlé dans
un de mes billets.
Comme je le crois répondre parfaitement à la problématique (mince, voila que je parle comme à l'IUFM!) abordée, je me permets de le recopier et de le compléter un peu:
SOUS LE STATUT, LE SOCLE
Ces derniers temps, il souffle un vent mauvais sur les terres arides de l’enseignement. Après l’édification du socle des «compétences» qui instaure l’émiettement des savoirs et prépare l’atomisation des disciplines (analyse
ici), voici que l’on songe, à droite et à gauche, à édifier sur cette stèle marquant la tombe de la volonté humaniste de l’enseignement quelque nouveaux statuts qui, soyons en sur, n’auront d’autre but de d’assurer «la réussite de tous et de chacun» dans le cadre d’une institution faite «pour chacun et pour tous»...
Ainsi, qu’il serait doux pour quelques beaux esprits de pouvoir enfin forcer les professeurs à ne plus être des intellectuels (donc suspects) de leur discipline mais des «animateurs de groupe classe», «référents adultes», «facilitateurs de croissance» et autres billevesées plus ou moins horticoles.
Pour parvenir à ce but louable, les esprits qui se meuvent dans l’empyrée ont un moyen: remettre en cause (traduction: mettre à bas) l’actuel statut des professeurs.
Quel est-il*?
Les professeurs sont tenus d’assurer 18 heures de cours dans leur établissement s’ils sont certifiés, 15 s’ils sont agrégés. Le reste du temps... d’aucuns voudraient faire croire qu’ils ne font rien. Levons un tabou: cela existe. il y a des profs «a minima» qui, sortis de leur salle de classe, ne font plus rien... jusqu’au prochain cours qu’ils vont «improviser»... ou «animer»... Précisons toutefois qu’il ne sont qu’une minorité. Si j’en juge par mon expérience dans les salles des profs, ils en représentent moins de 1%. Mais ils existent. Chaque métier comporte ses tire au flanc.
Voyons maintenant la réalité de la majorité des profs: les «simples» certifiés. Je viens de recevoir mon emploi du temps. 18 h + 1h sup. soit 19h. Nos belles âmes en déduisent que je passe 19h dans l’établissement. Ben voyons. C’est oublier ce que l’on appelle «l’emploi du temps»: la majorité des profs n’habitent pas à deux pas de leur établissement, et les emplois du temps ne sont pas constitués d’heures toutes consécutives. Ils restent donc, déjà, longtemps dans leur établissement où, n'en doutez pas, ils sont à la disponibilité de l'administration et des élèves.
Ainsi, en tenant compte de ce «détail», je suis dans mon collège de 8h 30 à 17h, 3 jours par semaine, et 4 h le mercredi matin. Cela nous fait 30 h de présence «in situ». Rajoutons ce fameux «travail personnel» à la maison, où j’utilise une pièce (que je paye), un équipement informatique personnel et performant (que je me suis choisi et qui correspond à mes choix et mes besoins) ainsi que la connexion web, l’imprimante... le tout «gratos pro Deo» pour l’État.
Imaginons que dans le but louable d’être, comme les scouts,«toujours prêt», nous devions rajouter 5 h de présence «administrative». Avec fourniture de bureaux, matériel... mais ou est le problème, outre le cout ? (Passons sur de menus détails comme l'architecture des bâtiments existants et leur totale inadaptation à une "bureau-cratisation" des profs, après tout, Algeco fait des merveilles!)
Ajoutons une difficulté supplémentaire: pour le professeur "authentique", il est très difficile de tracer une frontière entre ce qui relève du personnel et du professionnel: je regarde un documentaire sur le séisme de Lisbonne: j'y vois des données et des images aptes à améliorer mon cours sur les séismes, ou à me fournir des idées d'exercices, je prends en note et j'enregistre: suis-je en train de me divertir ou de travailler ? Je traduis Darwin pour mon "plaisir", mais j'y trouve des extraits et des informations qui vont améliorer (j'espère!) mon enseignement. Loisir ou travail ? Je pars en vacances sur les volcans du monde, rapportant force photos et échantillons que j'utilise en cours. N'ai-je fait que 100% de vacances, ou dois-je considérer qu'il y a là un petit % de travail ? Je lis forces traités abscons de biologie, achetés une petite fortune, des revues, des sites.... J'ai maitrisé keynote, le mac, l'ipad maintenant... J'écris des manuels scolaires gratuits que j'utilise en cours, et ce faisant j'améliore aussi mes cours en découvrant de nouvelles infos... où commence le "travail", ou s'arrête le "loisir" ? Comment décompter, séparer l'un de l'autre alors que dans la vie du prof ils ne font qu'un ?
Pourtant, le problème le plus important ne réside pas seulement dans le fait que lire les périodiques et sites scientifiques (plaisir, certes, mais qui fait intégralement parti du métier de prof de Sciences), préparer évaluations, réaliser les corrections, mettre en ligne des documents… nécessite bien plus de 5 h par semaine.
Calcul sur un coin de table: j'ai, cette année, 13 classes représentant 330 élèves. Statistiquement, je dois bien faire un minimum de 2,5 évaluations par trimestre, soit 825 copies à corriger. Par copie, je passe environ 5 minutes (au minimum, cela doit bien faire rire Cratès, qui doit bien multiplier cela par 5, au bas mot!) soit 69 h environ de correction par trimestre. Si je compte 12 semaines par trimestre, on a donc 6 h par semaine rien que pour les corrections en moyenne. Rajouté à mes 30 h de présence in situ, cela nous donne 36h en moyenne par semaine (je dépasse déjà le temps de travail "légal", tiens, je vais demander des RTT!).
Je ne parlerai même pas des premières années où l'on "construit" son cours, mais la simple préparation des documents, des interros, des keynotes, des recherches minimales nous fait exploser le plafond des 40 h...
Pourtant, ce n'est pas le noeud du problème.
Le problème réside davantage dans la négation du professeur en tant qu'individu, ce dernier ne devenant plus qu'un rouage d'un "dispositif d'enseignement". Le problème, il est dans ce que le «je» ne va plus exister. Il n’y aura plus «mon» ordinateur à «mon» bureau avec «mes» logiciels et «mes» horaires, mais un ordinateur partagé, avec des logiciels choisis par l’état, dans un local commun, pour un travail défini en équipe dont la pertinence sera, d’ailleurs, évaluée de façon collégiale et pour l’équipe enseignante entière, le tout dans un quota horaire imposé et à des heures imposées.
Le devoir d'application du socle et l'évaluation par équipes auront raison des appréciations individuelles et des spécificités de chacun: chaque professeur deviendra ainsi interchangeable, adaptable, normalisé comme une pièce manufacturée.
Cela ne vous rappelle rien ? On passe d’une conception relativement «libérale» (au sens professionnel» au collectivisme façon kolkhoze. Et nul n’ignore ce qu’il est advenu de la productivité des susdits kolkhozes...