J'ai vis à vis du corps médical dans son ensemble une certaine méfiance : je fais partie de ces individus qui considèrent que les maladies s'attrapent dans les salles d'attente des médecins et que les pharmacies n'ont qu'une fonction, donner du travail à de jolies pharmaciennes en blouse blanche. Vous dire si quand un dénommé DocEvil m'a contacté, je suis resté sur une certaine réserve. Sur un certain réservoir devrais-je plutôt dire, tant ses propos étaient lubrifiés et glissaient avec harmonie dans les bulles multicolores qui explosaient sur les carreaux de ma fenêtre de chat.
Je traversais une période difficile et -essayant d'éviter les clous qui me déchiraient les pieds- je déambulais sur l'asphalte d'autoroutes périphériques, frontières entre le virtuel et la réalité, zébrées de véhicules humains lancés à vive allure. Embrumé de vapeurs bien plus lourdes que l'air je raclais le sol, espérant un gouffre qui, à défaut de me permettre de voler, m'autoriserait une chute vrillée.
Ses propos déformés par les glaçons qui tintaient mon champ de vision frappaient simples et directs. Je restais en suspension sur ses points, il m'apostrophait, ses compléments d'objet étaient toujours directs, ses majuscules tenaient le cap et jour après jour nos échanges devinrent réguliers. Comme il l'a raconté dans un de ces posts précédents nous parlions poésie, littérature, cinéma. Nous parlions du bout des doigts et un homme azerty en valant deux, ces échanges me permirent d'émerger des sables aspirants dans lesquels je m'engluais inutilement.
Etrange relation. Quelques appels téléphoniques, ses messages toujours parfaitement écrits sur les forums, fatalement tout cela devait aboutir a une rencontre.
elle eut lieu dans le bruit mat d'un aéroport. J'étais arrivé en avance et, affalé sur un tabouret de bar, j'observais les alphabets défilants sur les panneaux d'affichage de cet merveille architecturale qui fit la fierté de notre nation dans les années soixante. Autant l'avouer : les aéroports m'ont toujours fait réver, même hors lit, et j'ai dans celui-ci des tas de souvenirs que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Donc, j'attendais.
Soudain, apparaissant dans le mouvement des passagers en départance, il apparu. Je crus d'abord a une hallucination : il portait les atours d'un surfeur, et de son regard vif cherchait un visage qu'il ne connaissait pas : le mien. Sa tête effectuait de lents mouvements de radar grippé et un quidam ignorant la raison de ce comportement aurait pu croire qu'il somnolait debout par intermittence. Je m'avancais et comme il est assez rare d'être reçu par un inconnu qui en attend un autre, il leva la main et me dit : "je suis venu en paix, au nom de l'humanité toute entière". Cette phrase, gravée instantanément en lettre de feu dans mon esprit tourmenté me fit perdre un instant l'oraison et je me jurais de la prononcer si un jour je croisais un extra-terrestre*.
Emportés par la foule nous ne faisions qu'un seul corps et c'est en cet étrange équipage que je sautais sur le siège conducteur de ma voiture tandis qu'il prenait place dans le coffre, oubliant sa valise sur le siège passager.
Nous avions prévu de rencontrer d'autres membres des forums, et le premier à arriver fut mon ex-femme Bengilli, vêtue pour l'occasion d'une superbe robe à l'imprimé représentant un Grec poursuivant un castor sur fond de rondelles, les cheveux (il en restait quelques touffes à l'époque) délicatement retenus par des peignes de celluloïd. Fidèle à l'élégance qui lui permit de chevaucher (monter serait trop vulgaire) les échelons de la hiérachie Macgéenne, elle lui tendit une main, l'autre étant perdue dans une entrejambe broussailleuse offerte aux regards médusés des passants. Il y eu ce jour là, et en ce lieu, plus de signes de croix qu'aujourd'hui place St Pierre. Ignorant les caractères asiatiques qui éclaboussaient le macadam, on aurait pu se croire quai de Javel.
En moins de temps qu'il n'en faut à Mackie pour contacter une nouvelle inscrite, nous Gin Tonisions dans un bar d'angle (les bars font souvent un angle, probablement pour éviter aux consommateurs l'appréhension de la ligne droite), racontant de préférence n'importe quoi, ce que nous faisons très bien. Puis ce fut le restaurant, ou face a des plats asiatiques nous nous lancammes*** dans des conversations débridées, les échanges se faisant à baguettes rompues et dans des effluves de vin, vite suivies par l'odeur exotique d'alcools venant de régions où les champs de riz s'étendent à perte de vue et dans lesquelles les paysannes se coiffent de chapeaux coniques pouvant également servir de tabouret aux européennes en mal d'amour.
Bengilli, ressemblant de plus en plus a la mère Mac Miche et les cheveux comme passés a la débroussailleuse d'un jardinier pervers prenait des poses de Lady, le Doc Evil jurait ses grands Dieux que l'avenir de l'homme était dans l'alcootest anal et moi.... Moi... Je ne me souviens plus.
Nous avons bu jusqu'à en perdre la tête. J'ai des flashs de bruits étranges, de chutes niagaresques de sannybroyeur, d'un retour nocturne ou chaque capot nous servait de béquille, et ensuite d'un trou noir.
Midi sonnait aux églises joyeuses des campagnes lorsque je retrouvais le doc. Livide comme une anti peinture de Soulages il m'attendait et après m'avoir demandé (dans l'ordre) qui j'étais, quel jour étions nous et où nous trouvions nous, il accepta de me suivre (visiblement satisfait de mes réponses : le père noel, le 37 janvier 2012, sur Mars). Nous trainames*** dans Paris et la capitale offerte en ce mois d'Août semblait l'accueillir. Je lui montrais les panneaux publicitaires, les lampadaires, les cabines téléphoniques, toutes ces choses qui n'existent pas chez lui et il riait, heureux de tant de découvertes.
Mais l'heure du départ approchait. Son intestin malmené faisant un bruit mururoesque il acheta un paquet de biscuits que dans un instant d'égarement il oublia sur le tapis d'enregistrement des bagages, le faisant voyager en soute**. Nous nous embrassames*** alors fougueusement, mes doigts essayant une dernière fois de lui fouiller les oreilles, et je le vis s'éloigner en titubant vers le tube translucide d'embarquement.
Je ne l'ai jamais revu, mais nous discutons encore souvent. Sans lui, ces pages me sembleraient bien vides. J'ai toujours chez moi un paquet de biscuits, au cas où il débarque, et une bouteille de Mei-Kwei-Lu. C'est quand tu veux, le Doc, pour une nouvelle soirée de cuite et de cohue. Bisous foguenne****.
*Ce fut le cas plus tard lorsque je vis Foguenne, mais il sembla ne pas percevoir l'incroyable message qu'elle sous entendait. Il la balaya d'un "salut vieux con" qui me laisse encore songeur. Dieu merci Silvia fut plus charmante et nous ne loupons, elle et moi, jamais une occasion de nous embrasser dans le cou sur les trottoirs. Mais ne le répétez pas : Paul est d'une jalousie déplacée.
** Je vous jure que c'est vrai !
*** Faites pas chier!
**** Private joke.