J'avais prévu un beau texte sur le cinéma, sur le hasard, sur les rencontres, et puis j'ai tout bazardé. Ça n'aurait servi à rien. Deux ou trois l'auraient lu, on m'aurait dit bravo (on me dit toujours bravo), sonny ou n'importe quel trouduc serait venu pourrir le sujet et, pour finir, tout le monde serait reparti jouer avec Google ou je ne sais quelle connerie parce que - il faut bien l'admettre - tout le monde s'en branle. Alors, je vais faire court.
Reagan est mort, tout le monde en parle ; Ray Charles est mort, tout le monde le pleure (moi y compris) ; Odette est morte, tout le monde s'en fout.
Un soir où je n'avais rien d'autre à faire, sur ma télé il y avait ce film de Tavernier, avec Birkin et Dirk Bogarde. Elle était belle Odette. L'emmerdeuse ordinaire dans toute sa splendeur : le genre qui vous étouffe à force de vous aimer, qui tremble quand elle entend une ambulance dans la rue, qui demande trois fois si on s'est bien brossé les dents ou si les volets sont fermés, qui dit qu'on doit manger pour prendre des forces et qui prépare, la veille au soir, les pilules qu'il faudra prendre au petit-déjeuner. C'est marrant, dit comme ça, on dirait ma mère. Peut-être même qu'on dirait la mère des autres, qui sait ?
Je voulais lui dire merci à Odette. C'est pas grand chose, mais j'aurais trouvé ça sale de la laisser partir toute seule comme ça. Et puis quand je la revois dans ce film de Tavernier où elle est si craquante avec son sourire inquiet, c'est drôle, j'entends Léo qui chante les mots des pauvres gens : « Ne rentre pas trop tard. Surtout, ne prends pas froid... »
C'est samedi soir et la tendresse s'en va toute seule. Ça me passera.