Ce soir était diffusée sur France 2 la dernière émission de
Tout le monde en parle. On aurait du mal à faire pleurer dans les chaumières sur le sort de Thierry Ardisson, qui se consolera sur Canal + à partir de novembre, de Laurent Baffie, qui na pas besoin de la télé pour exister, ou de leurs nombreux invités dont la plupart sont, il faut bien ladmettre, ce quon appelle des « valeurs sûres ». Une émission disparaît, une autre, animée par Laurent Ruquier, prendra sa place à la rentrée de septembre : il ny a là, somme toute, pas de quoi fouetter un chat. La télévision, ce nest pas nouveau, est un ogre qui dévore ses enfants, et larrêt de
Tout le monde en parle nest quun épisode de plus dans la longue liste de ces infanticides cannibales.
Non, ce qui justifie ce petit mot, en dehors de lincompréhensible gâchis que constitue le fait de mettre un terme à la diffusion dune émission populaire qui, sans être parfaite, uvrait à sa manière à la promotion de la culture, ce qui anime mon esprit et mon cur tandis que jécris, cest le sentiment dune grande tristesse. Une tristesse toute personnelle au fond et qui puise sa source ailleurs que dans larrêt de cette émission. Je suis triste, moi qui nai ni le goût ni loccasion de samedis soir enfiévrés, quon me prive ainsi de ma récréation hebdomadaire. Je suis triste et je suis en colère, contre ceux qui ont décidé cette suppression, contre moi qui, semble-t-il, nai rien de mieux dans ma vie à même de me faire comprendre combien lobjet de cette tristesse est futile et vain.
Cest aussi que jai passé de belles heures à regarder ce programme. Jai ri, beaucoup, jai pleuré parfois, jai tour à tour été captivé ou ennuyé par certains invités. Je nai jamais été indifférent.
Tout le monde en parle était à cet égard, pour moi comme pour beaucoup dautres, une occasion déchapper à la quotidienneté dune vie parfaitement quelconque, faite de tracas ordinaires et de doutes qui ne le sont pas moins. Pendant deux heures trente, penser à moi maurait semblé aussi grotesque que de vouloir changer de chaîne et je confesse sans la moindre honte que cet échappatoire, ainsi que louverture quil représentait sur des univers différents du mien et différents entre eux, mapportaient un divertissement salutaire.
Aussi, cette nuit, ma tristesse est celle dun homme seul et isolé dont on vient de refermer lune des fenêtres sur le monde. Ce nétait heureusement pas la seule et je sais que je trouverai dautres moyens, peut-être meilleurs, peut-être plus subtils, mais dont je doute pour lheure, souhaitant que ce petit chagrin me trompe, quils mapporteront tout autant de plaisir. Car cest avant tout cela dont jai déjà la nostalgie : mon plaisir et ma joie.
Il est très possible quil y ait des sujets plus graves ; pour moi, cétait lun des plus gais. En parler cétait accepter le risque dêtre raillé, ne rien dire cétait renoncer à dire ce qui me touche : la raillerie mest indifférente, le renoncement insupportable.