Non ! Je ne suis pas toujours de bonne humeur...
Non ! Je n'ai pas toujours le mot pour rire...
Comme tout le monde d'ailleurs...!!! ... et heureusement !!!
D'ailleurs, en ces temps-ci, je suis plutôt du genre à m'esclaffer la journée - (il faut bien vivre ... et j'ai des enfants à qui j'ai inculqué que l'humour était l'arme ultime...
) et à angoisser la nuit quand des images sombres viennent troubler la quiétude de mes rêves immobiles...
Parfois je cours au ralenti, semblant donner toute mon énergie, et ne parvenant pas à m'arracher au sol spongieux qui m'attire inexorablement vers lui ... comme au cinéma, des images défilent à droite ou à gauche ... parfois terribles, parfois incompréhensibles mais toujours mystérieuses et annonciatrices d'une grande lassitude quand le matin poindra...
Cette angoisse est sourde et diffuse ... elle commence toujours par vous attaquer au creux de l'estomac, vous le tordant pour vous faire comprendre que la quiétude est terminée... lorsque quelques gouttes de sueur perlent à votre front ... il est déjà trop tard ! ..."Elle" s'est invitée au plus profond de vous, chassant le sommeil et rameutant tous vos vieux démons...
Et vous restez là ... et las ! couché sur le dos, l'oeil ouvert sur le vide de la nuit ... à guetter le moindre bruit et à espérer qu'enfin "elle" vous oublie, du moins pour quelques heures ou pour quelques nuits...
Comme dans le "Grand Meaulnes", vos visions sont embrumées et semblent flotter au-dessus du sol ... des mains se tendent, des visages vous scrutent, des corps immatériels vous frolent dans l'obscurité pour s'estomper dans l'infini de votre âme torturée...
Ce demi-sommeil, cette demi-mort devrais-je dire, n'est pas effroyable, mais elle vous perturbe au plus profond de votre être et bouscule l'ordre que vous croyiez établi de vos pensées...
Alors, quand "elle" arrive, je fais face ... inutile de tenter de retrouver un semblant de sommeil ... "elle" est trop subtile pour se laisser distraire et trop hargneuse que pour vous abandonner...
Il m'est souvent arrivé de m'habiller et de prendre la voiture quand l'aube est encore trop éloignée ... et de rouler, tous feux allumés pour que les ombres qui défilent me prouvent que j'existe encore...
Pas de radio ... le silence est mon compagnon ... il me calme et me berce au rythme de mes pérégrinations...
Parfois, je suis allé à Ostende retrouver mon capitaine de père sur son bateau de pierre et de bois fixé à jamais au bord de l'horizon ... je m'accoude sur la jetée, regardant passer les cargos dans le bruit rauque et régulier de leurs diesels ... la lumière tournoyante du phare me donne un peu le vertige ... j'écoute ... j'écoute le bruit des vagues qui meurent sur le brise-lames ... j'écoute les bruits de la nuit ... si particuliers, si mystérieux...
L'eau est sombre et glauque ... c'est tout juste si l'on distingue les crêtes d'argent qui vont et viennent au rythme des marées...
Les odeurs vous submergent, mélange d'air marin, d'iode, de poissons et de pourritures ... c'est comme si chaque chose se pressait d'exhaler avant que le jour ne se lève...
Le temps n'a plus d'importance... vous êtes en dehors du temps ... en dehors de vous aussi ... combien de fois n'ai-je pas eu l'impression de survoler mon corps tristement attaché à la gravité terrestre, piètre et mortelle enveloppe d'un esprit condamné à l'habiter le temps de mon passage ici-bas ...
Quand le temps le permet, je regarde les étoiles accrochées tout là-haut ... je me mets à imaginer un voyage intersidéral qui m'amènerait sur la plus éloignée et la plus mystérieuse d'entre toutes ... je m'imagine, flottant dans l'espace, frôlant la grande ourse et la voie lactée dans une pluie d'or et de lumière ... le corps a ses limites ... l'imagination n'en a aucune ... vous vous sentez libre ... vous êtes libre ... vous faites partie de l'univers et de son infini... vous êtes infini !!!
Quelques lumières brillent au loin ... déjà le port s'ébroue dans le brouillard matinal et quelques mouettes joueuses tournoient autour de vous...
Je relève mon col ... il est temps de rentrer ... salut Pa et à bientôt...
Je repasse par la plage, foulant le sable encore humide dans lequel je me roulais lorsque j'étais mioche ... on faisait des châteaux, des chasses au trésor, on courait, on riait ... on était heureux, insouciants...
Je devais avoir 5 ou 6 ans et j'en avais marre de trimballer toujours le même petit seau jaune et la même pelle rouge en plastic ... je voulais du neuf ... du "à la mode", comme les autres !
Un jour, je les ai enterrés au plus profond de la plage et j'ai dit que je les avais perdus ... si ça tombe, ils sont encore là, tristes Titanics de mon enfance perdue ... irrémédiablement perdue !!!
Lorsque le moment viendra de quitter cette terre, j'espère que la mort, emberlificotée d'une mansuétude peu habituelle, me permettra de m'en aller d'ici ... juste au moment ou le jour embrasse la nuit et que la mer se pare de mille feux... je sentirais la main de mon père dans ma main et il me dira de sa voix douce : "Allez viens, fiston ... on rentre !!!"