Cher Monsieur l'Administrateur,
Vous avez encore trifouillé un je-ne-sais-quoi superflu-à-vos-yeux, et réduit de ce fait d'une unité un compte que j'ai mis tant d'application à rendre symétrique.
C'est ennuyeux.
Je me vois donc en train de dépenser une énergie peu banale pour arrondir mon cercle et retomber sur mes pattes.
D'aucuns taquins m'objecteront que ceci n'est pas une lettre morte.
Ils ne connaissent pas le tenancier de ces lieux.
C'est lettre est aussi morte que l'autre.
Toute mon absence de respect, amiral de bateau-lavoir, bayadère de carnaval, troglodyte de serveurs, tortionnaire de fils innocents, scaphandrier d'eau de vaisselle, papou des carpathes !
Chère.
Je ne devrais pas t'écrire. Mais tu m'écris, toi.
Tu laisses des messages dans des endroits publics. Je n'en vois pas l'intérêt, mais j'en saisis l'occasion.
Cela fait bien longtemps que je ne sais plus ce qu'il y a dans ta tête, et que j'ai cessé de le chercher. Je ne suis plus uni à toi depuis longtemps. Depuis avant que notre fils naisse. C'est toi qui l'a voulu, qui a voulu. Partir. Vivre autre chose.
C'était, ce fut, très douloureux. Pour toi comme pour moi. Mais tu partais, dans une autre histoire, un autre homme.
Pourquoi je te dis tout ça ? Je te l'ai déjà dit, et nos versions sont irréversiblement différentes.
Je voulais te dire que je t'ai aimé, sans y penser vraiment. Nous avons grandi ensemble, nous nous sommes attachés irrémédiablement l'un à l'autre, et nous n'avons pas su rebondir, au bout de quinze ans.
J'ai cru qu'en ne construisant aucune colère, je t'aiderai. Je ne sais pas. Je sais aujourd'hui qu'ainsi, j'ai compromis alors toute possibilité de reconstruire notre couple.
C'est une chose que ma marraine ne m'avait pas appris, ça.
Mais peut être ne le savait-elle pas.
En tout cas, je sais aussi que rien ne sert de mettre des si. Il n'y a pas de si.
Tu m'as quitté. Je n'ai pas voulu revenir. C'est ainsi. Tu m'en voudras toute ta vie ? Tu ne supporteras jamais que je vive une autre vie que celle que tu voulais que je vive ? Je le supporterais, dans la mesure du possible.
Mais si tu pouvais essayer de passer à autre chose, la vie serait plus savoureuse. Surtout pour toi. En tout cas, moi, la haine me laisse toujours un mauvais gout dans la bouche. Elle m'empêche de croquer la vie à pleines dents.
Je t'embrasse.