Vous avez bien raison, le texte n'est pas assez aéré, voici une version plus brève:
Quelque part en allant à Prem Dam
Une journée presque comme les autres. Mon petit-déjeuner prit à la maison mère et de suite après, comme tous les matins, je m'engageais dans cette étroite ruelle menant à Prem Dam, le plus grand dispensaire de Mère Teresa à Calcutta. Durant ce séjour en Inde, j’étais bien heureux de pouvoir savourer chaque parcelle de mes journées sous ce ciel obscur, ténébreux de la mousson. Quand au loin, plus je m’avançais dans cette ruelle et plus je voyais indistinctement quelqu'un repoussant du devant de sa porte un gros tas d'immondices avec un gros bâton. Il me fallut faire encore quelques pas supplémentaires pour que, irréversiblement, la vérité me saisisse. Ce n'était pas un tas d'ordures que la personne repoussait avec brutalité, mais c'était un homme. Il se trouvait là à mes pieds. Il ne bougeait pas et semblait plutôt mourant. L’homme gisait presque nu sur le sol au-devant des passants indifférents et impassibles.
Je ne savais plus quoi faire et je ne savais plus quoi dire non plus. Je restais tout bêtement pétrifié à le regarder sans vraiment le voir. C'était la première fois que j'affrontais une scène aussi intense. Une lâcheté humaine, soudaine, m'envahissait. Pourquoi m'imposer une telle situation ? Fuir ou éviter cette scène morbide aurait été bien plus facile pour continuer à conserver toute ma vision des choses. Mon monde était jusqu’à ce jour bien ordonné et mes vérités régnaient sans incertitudes. Mais trop tard, mes yeux avaient accroché la scène. Je restais planté là, de longues secondes, juste le temps d'accepter cet instant de ma vie. Cette rencontre allait modifier à tout jamais ma personne.
En croisade pour mon salut, ma vie attend des actes et j'ai le frisson tant attendu de l'aventure. Je ne peux plus maintenant reculer ou me dérober. Une fois au moins dans ma vie, je dois agir. La vie me met aujourd'hui au défi. Comment accepter l'inacceptable ? En temps de paix, la violence continue d'être omniprésente comme la pluie ou le soleil. La dureté du contexte est au-delà des jugements sociaux et de toute moralité. Une question flagrante me vint à l'esprit : pourquoi l’homme contemporain avec toutes ses croyances et toutes ses promesses à l'aube de l'an 2000 n'avait-il pas plus d'empathie envers son prochain ? Ma conscience baignait dans ces pensées et cette réflexion ne semblait point vouloir me quitter. Je n'avais jamais rien demandé jusqu'à ce jour à notre Père. Dieu qui est aux cieux, as-tu vraiment fait de ton mieux ? Jamais plus mes matins ne seraient colorés comme avant, je venais de le comprendre. J’éprouvais de grandes difficultés à admettre les raisons de ma présence ici. Était-ce une manigance de Dieu pour mieux me rapprocher de lui ou une simple sollicitation de ma conscience ?
Les citadins, quant à eux, continuaient leur bout de chemin, de se croiser, de se saluer en prenant bien soin d'éviter ce qui me dérangeait ! Je finis par me résoudre à intervenir pour cet inconnu. Enfin, j’avais pris le courage de poser mon regard attentivement sur son corps. Il était musclé et semblait avoir la trentaine. Son corps était sale, plein d’hématomes et de terre. Ses yeux grands ouverts pointaient vers le haut, le ciel, qui pourtant ne semblait pas lui promettre d’espoirs. Ce soir, un enfant sera peut-être orphelin. Pendant ce temps, quelques volontaires présents essayaient d'intercepter un taxi pour espérer de le sauver avant qu'il ne soit trop tard. Nous avons eu quelques déboires, disons même toutes les misères du monde pour persuader le chauffeur réticent à prendre ce corps inerte dans sa belle voiture jaune. Son taxi était si propre que ça ne lui tentait pas de le salir ! On finira par monnayer la course et le remercier envers sa grande gratitude ! On croirait rêver !
Au sein de la violence éternelle, au-devant de l'insolence, qu’as-tu oublié de me dire ? Ô mon Dieu, mon amour, j’ai besoin de savoir maintenant. J'avais la très nette certitude de commettre un acte de mal, totalement extravagant. J’étais coupable de déranger la fatalité. Des larmes se glissaient discrètement sur mes joues. Pourquoi ces larmes ? Finalement, je ne me connaissais pas. Pourquoi avais-je toujours confondu la vie avec ma réalité ? Étrange sentiment pour avoir blessé mon coeur sans le vouloir. Arriver à Prem Dam, les Soeurs nous demandaient pourquoi nous avions ramassé un cadavre. Je m’excusais encore en insistant sur le fait qu’il était vivant et qu’on pensait bien faire. Décidément, ce n’était pas ma journée !
La vie si douce peut parfois frapper si cruellement un destin.