Vu dernièrement deux pièces qui n'ont pas grand chose à voir l'une avec l'autre, mais qui se raccrochent toutes deux à ce qu'on appelle le théâtre non-narratif.
Pas d'histoire, donc, pas de récit, mais un sens. Et ça me réconcilie un peu avec les mots du théâtre.
D'abord, Idiot cherche Village, une pièce encore en formation, dont je n'ai vu qu'une étape, d'un collectif normand qui s'appelle Projet Libéral, emmené par un trublion de 24 ans, Thomas Ferrand, fondateur de la revue mrmr.
Idiot cherche village, donc, ou cinq acteurs/musiciens/danseurs se croisent sur les diagonales du plateau, et relient entre eux paroles, sons et situations, à partir de propos du philosophe Bernard Stiegler sur la singularité de l'individu.
La singularité, ou, autrement dit, l'idiotie, venue du grec idios, unique. Ce qui nous rend différent. C'est explosif, très visuel, très sonore, assourdissant parfois (avec de bonnes grosses guitares électriques, employées de façon souvent inattendues), pour une bonne dose d'interrogations sur ce que nous sommes devenus, nous, individus croisés aux technologies, libres de s'enchaîner ou de se pervertir soi-mêmes. Un très bon témoignage de ce qui se joue aujourd'hui à la croisée des formes classiques de la scènes, par une génération dont le vocabulaire est d'abord issu du rock, du punk, de la télé et des jeux vidéos. Un truc incompréhensible pour la plupart de ces vieux qui gouvernent la culture.
©Yannick Lecœur
Ils joueront à Caen, au Centre Dramatique National, du 26 au 29 mars. Et après ? Après, ils n'en savent rien.
Dans la foulée, la dernière pièce d'Alain Béhar, Manège. Béhar est un drôle de type, en train de construire une œuvre singulière, idiote, avec ses propres mots, et sa propre idée du théâtre.
Manège part d'une idée simple : une situation, un manège à l'ancienne, dont l'énergie motrice est faite des frictions et des conflits qui se nouent entre les acteurs assis sur le manège. Et plus ils s'engueulent, plus le manège tourne vite. Puis le propos s'est simplifié, pour aboutir à un manège réduit à un mat, et un bric-à-brac autour duquel gravitent 9 acteurs, qui s'entrecoupent, s'interpellent, se racolent ou s'emmêlent, créent du conflit comme autant de désirs, tournent, rentrent, sortent, et finissent par nous donner le vertige.
Les mots jaillissent dans une langue rendue encore plus jubilatoire par une distribution de texte aléatoirement imposée. Comme beaucoup de ces joueurs de mots, Béhar scande son texte en algorythme. Il y a donc 100 séquences, 100 notes de bas de pages dans le texte, 100 éléments de costumes qui brouillent les identités, 100 effets de lumières et de sons, et ça dure 100 minutes, pendant lesquels on est aspiré, étourdi, rempli de mots et vidé de l'énergie qu'on a leur a donné.
© Compagnie Quasi
Manège, ça tourne, aux Bernardines, à Marseille, du 4 au 8 mars. Et ailleurs, sûrement, après.
Pas d'histoire, donc, pas de récit, mais un sens. Et ça me réconcilie un peu avec les mots du théâtre.
D'abord, Idiot cherche Village, une pièce encore en formation, dont je n'ai vu qu'une étape, d'un collectif normand qui s'appelle Projet Libéral, emmené par un trublion de 24 ans, Thomas Ferrand, fondateur de la revue mrmr.
Idiot cherche village, donc, ou cinq acteurs/musiciens/danseurs se croisent sur les diagonales du plateau, et relient entre eux paroles, sons et situations, à partir de propos du philosophe Bernard Stiegler sur la singularité de l'individu.
La singularité, ou, autrement dit, l'idiotie, venue du grec idios, unique. Ce qui nous rend différent. C'est explosif, très visuel, très sonore, assourdissant parfois (avec de bonnes grosses guitares électriques, employées de façon souvent inattendues), pour une bonne dose d'interrogations sur ce que nous sommes devenus, nous, individus croisés aux technologies, libres de s'enchaîner ou de se pervertir soi-mêmes. Un très bon témoignage de ce qui se joue aujourd'hui à la croisée des formes classiques de la scènes, par une génération dont le vocabulaire est d'abord issu du rock, du punk, de la télé et des jeux vidéos. Un truc incompréhensible pour la plupart de ces vieux qui gouvernent la culture.
©Yannick Lecœur
Ils joueront à Caen, au Centre Dramatique National, du 26 au 29 mars. Et après ? Après, ils n'en savent rien.
Dans la foulée, la dernière pièce d'Alain Béhar, Manège. Béhar est un drôle de type, en train de construire une œuvre singulière, idiote, avec ses propres mots, et sa propre idée du théâtre.
Manège part d'une idée simple : une situation, un manège à l'ancienne, dont l'énergie motrice est faite des frictions et des conflits qui se nouent entre les acteurs assis sur le manège. Et plus ils s'engueulent, plus le manège tourne vite. Puis le propos s'est simplifié, pour aboutir à un manège réduit à un mat, et un bric-à-brac autour duquel gravitent 9 acteurs, qui s'entrecoupent, s'interpellent, se racolent ou s'emmêlent, créent du conflit comme autant de désirs, tournent, rentrent, sortent, et finissent par nous donner le vertige.
Les mots jaillissent dans une langue rendue encore plus jubilatoire par une distribution de texte aléatoirement imposée. Comme beaucoup de ces joueurs de mots, Béhar scande son texte en algorythme. Il y a donc 100 séquences, 100 notes de bas de pages dans le texte, 100 éléments de costumes qui brouillent les identités, 100 effets de lumières et de sons, et ça dure 100 minutes, pendant lesquels on est aspiré, étourdi, rempli de mots et vidé de l'énergie qu'on a leur a donné.
© Compagnie Quasi
Manège, ça tourne, aux Bernardines, à Marseille, du 4 au 8 mars. Et ailleurs, sûrement, après.