La Dame Blanche
Les éclairs déchiraient la nuit, la pluie et le vent semblaient rois, tout comme le vacarme du tonnerre...
Aux abords d'une forêt, au sommet d'une petite falaise, trônait un château, lui-même entouré de roches. Au pied de la falaise, la mer. Déchainée.
Un homme s'approcha du château.
On lui ouvrit, et il formula ainsi son entrée en
matière:
" - Je m'appelle Paul Passant... Si vous pouviez m'offrir l'asile le temps que la tempête se calme, je vous en saurais gré... "
La personne la plus âgée du château, sans doute le patriarche, lui répondit avec un sourire taquin :
" - Ici, le relief est rugueux et le temps capricieux... "
" - Le temps météorologique ?" demanda Paul, souriant également.
" - Quel autre?...
- Pourquoi pas le temps qui passe?... Il pourrait se montrer capricieux aussi, au point qu'une Dame Blanche pourrait ne plus quitter cet endroit..."
Paul fut alors le seul à conserver son sourire.
Le patriarche se nommait Gwenaël de Lohan. Il présenta ensuite son épouse, Nolwenn, d'allure aussi sévère que lui-même, leur fils Tanguy, d'une assurance moins affirmée, son épouse Armelle, à l'expression plus joueuse, et leur fille Victoria.
Paul s'expliqua :
" - Je suis détective privé, et j'ai été chargé d'enquêter sur le mystère de la Dame Blanche."
" - Monsieur Passant, qui vous a engagé?... " demanda Gwenaël de Lohan.
" - Aucune idée." répondit Paul.
La petite assemblée ne put s'empêcher de rire.
Paul poursuivit:
" - J'aimerais connaître l'histoire de la Dame Blanche...
- Voici la "version officielle" commença Victoria.
Il y a trente ans, un couple de jeunes et riches plaisanciers vint séjourner ici, au village de pêcheurs.
Ils s'appelaient Lara et Alan Kerguen, et voyageaient en compagnie de leur fille Maëlys, un bébé de six mois.
Vainqueurs de nombreuses compétitions nautiques, ils prenaient la mer tous les jours, par tous les temps...
Un jour, Ils furent pris dans une épouvantable tempête.
Alors que le couple s'approchait de notre phare, ils virent une silhouette féminine vêtue d'une longue robe blanche, au visage de mort... Le splendide voilier se fracassa. Les trois corps ne furent jamais retrouvés.
La dame blanche réapparut quinze ans plus tard. Depuis, on l'aperçoit souvent, par ici, de nuit, par mauvais temps...
Paul reprit la parole:
" - Ce qui me gêne est la quinzaine d'années d'absence de la Dame Blanche.
Ainsi que les raisons de sa première apparition...
Qui parmi vous a vu la dame blanche il y a trente ans? "
" - Je l'ai vue comme je vous vois." répondit Gwenaël de Lohan. " - J'étais dans l'eau jusqu'à la taille et je découvris avec horreur les cadavres des plaisanciers. Et en regardant un instant en direction du château, juste en me retournant, je vis cette affreuse créature... "
" - Monsieur de Lohan, aviez-vous fait l'expérience d'un deuil peu avant la nuit du naufrage?...
- Oui. Ma regrettée mère nous avait quittés quelques mois auparavant... Elle souffrait de la maladie d'Alzheimer. Parfois, elle se rendait compte de cette
descente aux enfers... Un matin, je la retrouvai pendue dans sa chambre.
- Voir les cadavres des plaisanciers vous a bouleversé... En vous retournant en direction du château, un traumatisme en a réveillé un autre, et vous avez sans doute eu une hallucination. Vous ne revîtes pas votre maman mais une créature horrible incarnant la mort. La légende de la Dame Blanche était née. Cela me semble l'explication la plus plausible."
Paul prit congé, alors que la tempête s'était calmée.
Il arriva bientôt au "Bar de la Méduse", et se dirigea vers un homme d'âge mûr assis.
" - Bonsoir. Je peux m'asseoir à cette table?... " demanda Paul. Puis il murmura :
" - J'aimerais vous parler de la Dame Blanche... "
Pour toute réponse, l'homme tendit à Paul un papier sur lequel il venait de griffonner quelque chose.
Minuit.
Paul sonna à la porte de l'adresse indiquée sur le papier et l'homme rencontré au Bar lui ouvrit.
" - Je m'appelle Gael Menguen et voici mon épouse Yaelle. "
Tous les trois s'assirent autour d'une table. Paul commença :
" - Je m'appelle Paul Passant, détective privé. J'enquête au sujet de la Dame Blanche. Après la version officielle, j'aimerais avoir la vôtre. "
Gael l'interrompit :
" - Je vais vous répondre, mais pourquoi être venu me voir au Bar de la Méduse?
- Tout le monde m'a regardé quand je suis entré. Mais vous étiez de loin le moins discret. Comme si vous déteniez un secret...
- Qui vous a parlé de la "version officielle" de l'histoire ?...
- Victoria de Lohan.
- Il ne faut pas croire ces gens. Il ont toujours méprisé tout le monde.
L'histoire officielle tient jusqu'au naufrage. Mais il n'y a jamais eu de Dame Blanche. Le phare s'est éteint au moment le plus critique. Les châtelains l'ont éteint intentionnellement pour provoquer le naufrage. Une fois le bateau détruit, le phare s'est aussitôt rallumé. Quand Yaelle et moi, sauveteurs en mer, sommes arrivés sur les lieux, nous vîmes le couple de châtelains s'afférer dans les débris du voilier. Ils étaient plutôt désargentés à cette époque. Ils espéraient trouver des objets de valeur dans ce qui restait du bateau... "
" - Nous n'en sommes pas certains !... " intervint Yaelle.
Paul se montra ferme dans sa réponse:
" - Monsieur Menguen... Le fait que vous détestiez la famille de Lohan n'en fait pas des meurtriers. Pas encore...
Le phare dont vous parlez fut automatisé en 1990. Dès lors, il ne fut plus habité. En 1992, personne n'aurait pu l'éteindre et le rallumer quelques secondes plus tard.
Une vague plus haute encore que les autres aura soustrait le phare à votre vue pendant quelques secondes...
Et je savais qu'il n'y eut pas de Dame Blanche cette nuit-là. Gwenaël de Lohan fut victime d'une hallucination.
Son épouse et lui-même essayèrent de porter secours aux plaisanciers. Mais les corps furent emportés par la mer... Dit-on...
- J'ai moi-même enterré les corps non loin d'ici.
- Vous avez fait quoi?... " interrogea Paul en haussant le ton. Gael reprit :
- Je les ai enterrés. Ils n'avaient plus de famille proche ni l'un ni l'autre. Comme je l'espérais, la gendarmerie a conclu à un accident en mer. J'envisageais de me venger moi-même... "
" - Combien de cadavres avez vous enterré?...
- Deux...
- Lesquels?...
- J'ai enterré les parents. Leur fille s'en est sortie. Les châtelains ne l'ont pas vue, mais son corps a fini par dériver jusqu'au rivage, enveloppé de petites bouées... Avant de mourir, ses parents l'ont finalement sauvée.
- Qu'est-elle devenue ?...
- Yaelle et moi l'avons élevée comme notre propre fille... Maëlys vit non loin d'ici."
Paul s'énerva :
" - Vous lui avez transmis votre haine de cette famille !... Plus encore que vous, elle voudrait venger la mort de ses parents. En venant tourmenter la conscience de la famille de Lohan... Au château, j'ai vu que le patriarche possédait de nombreuses armes. Gwenaël de Lohan a peur pour sa famille et pour lui-même... "
Paul ouvrit la porte d'entrée et retrouva la tempête à son apogée.
" - Allons immédiatement vers le château ! "
Accompagné de Yaelle et de Gael Menguen, Paul arpentait bientôt les roches entourant le château aussi vite qu'il le pouvait...
Il vit bientôt Maëlys, portant un linceul et un masque imitant un crâne humain...
Paul vit aussi une fenêtre du château ouverte, et Gwenaël de Lohan qui ajustait un fusil équipé d'une lunette de visée...
Paul courut le plus vite possible et se jeta sur Maëlys au moment précis où retentissait la détonation...
Paul et Maëlys roulèrent à terre...
Paul poussa un cri de douleur et ne tarda pas à avaler une gélule d'un analgésique à base d'opium...
" - Vous êtes touché?... " demanda Maëlys. Paul lui répondit:
" - Uniquement par votre sollicitude... J'ai la colonne vertébrale en compote depuis quatre a ns..."
Maëlys et Paul furent bientôt rejoint par Yaelle et Gael Menguen...
Puis arriva Victoria de Lohan... Elle trouva Paul et Maëlys encore allongés... Maëlys avait retiré son masque. Victoria et Paul découvrirent le visage magnifique d'une rousse au yeux verts, mince... Le regard perdu...
Victoria prit la parole :
" - Maëlys, sachez que je ne vous en veux pas... Je sais que vous pensiez mes grands-parents coupables de la mort de vos propres parents il y a trente ans... Monsieur Passant, je ne suis pas si riche que ça, mais je vous jure que vous serez payé !... "
Paul sourit à Victoria...
" - C'est donc vous qui m'avez engagé...
- Pourquoi à ce moment?...
- En voyant mon grand-père passer de plus en plus de temps à entretenir ses armes, j'ai eu peur... C'est à ce moment que je vous ai contacté.
- Pourquoi ne pas m'avoir dit que vous étiez mon employeuse?...
- Je voulais être soupçonnée comme les autres, pour éviter que votre jugement fût faussé. Je voulais que vous fussiez
créatif ...
- C'est une enquête que je ne risque pas d'oublier, Victoria... Incompréhension... Haine... Peur... Chaque personne s'avérant parfaitement sincère.
Aucun coupable. Mais nous avons bien failli avoir une victime... Merci pour votre
empathie, Victoria, ainsi que pour votre
sagesse.
- Maëlys... Monsieur Passant... Ne vous gênez pas pour moi... Restez donc allongés tous les deux dans l'herbe..." Victoria de Yohan éclata de rire... Paul aussi. Il conclut en ces termes :
" - Plus jeune et mieux portant, je me serais relevé plus vite... Mais la situation actuelle possède aussi son charme, après tout... "