Salut, vieux.
Tu doutes, hein ? Je pense que tu as raison. Aujourd’hui, c’est gueule de bois. Encore. Le matin en ruines, et tout le bordel. Mais c’est vrai que celle-là, y fallait la voir venir. La dernière fois, déjà, tu avais dérouillé comme il faut. Sauf que c’est toi qui jouais, même à brasser de l’air pendant des mois. Tu n’as jamais été capable d’être un ami correct, et tu as fait semblant jusqu’à la rupture, épuisé. Je ne t'en veux pas pour ça.
Tu t’es relevé assez vite, somme toute, car elle a fini par arriver, l’amie, la vraie. Du moins, c'est ce que tu me disais. Tu es tout de suite reparti avec elle, bien étonné de voir comment tout était plus simple, soudain. De la spontanéité, une étonnante compatibilité, au service d’un vrai partage. Tout ce que tu t’es tué à attendre avec l’autre, pendant presque un an. Là où tu dépensais une énergie hallucinante à faire semblant, tu avais enfin trouvé celle avec qui en fabriquer. L’amitié, quoi, le truc trop top. Elle ne te laisse même pas le temps d’y penser, tellement on se fend la gueule. Cette fois, c’est vrai, tu ne savais pas. A côté de ça, tu pouvais aller chasser, sans grande conviction, et encore moins de résultat. Et pour cause, celle que tu cherchais, elle était là, juste à côté, déguisée en camarade. Je te l'avais soufflé, pourtant. Toi, tu étais tellement certain de ce qu’il y avait à tes côtés que tu regardais dans toutes les directions, sauf celle-là.
Jusqu’à vendredi soir. Alors là, t’as rien compris. Sans crier gare, elle a complètement changé, et tu lui as emboîté le pas, par jeu, parce que tu en avais envie, et surtout parce que vous aviez bu. Tu as quand même pris garde à ne pas l’emmener sur des terrains qu’elle aurait pu regretter. Ah ouais, tu as trop la classe, mec, même à deux grammes. Après ça, tu es allé te coucher.
Comment tu fais pour te réveiller à neuf heures un samedi ? Ah oui, tu es barbouillé. Sauf que là, ça part pas avec le Perrier. En repensant la soirée, tu te dis qu’elle a marché sur des œufs, que cet épisode va sans doute l’incommoder, à moins qu’elle ait pété un plomb. Il suffit juste d’en parler, et vous repartirez comme en 40. Ouais, c’est ça. N’empêche, tu as toujours mal au bide. Et tu ne comprends pas pourquoi.
Oui, elle est désolée. Elle a besoin de toi, mais elle l’aime, l’autre. Tu le sais, ça, aucun problème. C’est comme ça que ça fonctionne depuis le début. N’empêche, elle est désolée. Mais de quoi, putain ? Allez, au lieu de regarder vos pieds, allez donc faire semblant en société. Une expérience inédite, frustrante, que la distance imposée. Et tu as toujours mal au bide.
Et alors vieux, t’es dur de la feuille ? Il faut encore t’expliquer. Quand elle te dit qu’elle est désolée, elle essaie de te faire comprendre qu’elle n’arrive pas à être ton amie. Comme l’autre fois, sauf que les rôles sont inversés. Le prends pas mal, mais je trouve ça assez cocasse. Et quand elle ajoute qu’elle comprendrait si tu veux t’éloigner un peu, elle t’annonce qu’il faut qu’elle le fasse. Eh ouais, tu vas perdre ta pote, ton flotteur. Y’a du roulis dans l’air, je préfère te prévenir.
Nan, tu devrais rester assis, j’ai pas fini. Tu n’as toujours pas dormi, cette nuit, et tu as toujours mal au ventre. A ton avis, c’est juste une histoire de bouée en plastique ? Eh nan. Ce à quoi tu t’accroches, ce n’est pas à votre amitié, mais c’est à Elle, maintenant. Tout a changé. Tu y étais solidement arrimé, mais elle était piégée. Le temps que tu le réalises, elle a disparu, la pote. Ce qu’il en reste, tu n’y a pas droit, c’est comme ça.
Voilà d’où vient cette joyeuse confusion, l’ami. Vous avez ouvert la boîte de Pandore, c’est tout. J’espère que tu sauras l’entendre, car maintenant, tu dois faire un choix. Tu peux essayer de t’agripper, mais sans flotteur, tu risques surtout de la faire sombrer avec toi. C’est qu’elle a déjà bien du mal à rester à flot, la petite. Tu ferais mieux d’y aller tout seul. Encore une fois, tu finiras bien par remonter. Ça va prendre un peu de temps, mais j’essaierai de t’aider, comme d’habitude. Et profites-en pour travailler ton discernement, tiens. Si tu pouvais éviter de me resservir la même une troisième fois, j’en serais soulagé. Ça commence à saouler, là. Allez, allonge-toi, et doute.
Bien à toi, vieux, et bon courage à vous deux.