Mon gouvernement,
Un petit mot pour vous remercier de votre dernière lettre, que j'ai eu la joie de recevoir hier matin. A la lire, je me suis demandé pourquoi diable le gouvernement s'embêtait à lancer une souscription nationale, alors qu'il suffirait simplement d'intensifier un peu l'envoi de ces injonctions de participation à l'effort national !
De la vie citoyenne...
Alors sur le site internet amendes.gouv, je puis vous dire une chose, c'est que les soldes n'ont pas cours. Voilà donc une part de mes ressources promise à un grand avenir, telle leur transformation en bitume, sur lequel je prendrai plaisir à rouler au pas. En effet, il faut savoir que le produit de ces amendes, outre le détail négligeable d'engraisser la boîte privée qui en gère le traitement, est voué à l'aménagement du réseau routier, pour le plus grand bonheur de ses usagers assagis, m'a-t-on dit.
Tout cela me procure le sentiment d'une citoyenneté toute retrouvée, moi qui ait récemment perdu le chemin des urnes. Qu'aurais-je bien pu faire de cet argent ? Le thésauriser ? Voilà donc une bien drôle d'idée, dans une société instantanée. Acquérir une nouvelle et nécessaire paire de chaussures de randonnée, pour un montant strictement exact ? En voilà donc un dessein égoïste, que d'aller crapahuter en pleine crise ! Mais peut-être aurais-je alors mieux fait de les enfiler plus vite, je serais passé outre le radar mobile.
...Ou plutôt du citoyen automobile
Mais trêve de digressions oiseuses, place à la comptabilité. Sur ce plan, voilà encore une ligne dans le poste automobile. J'aime les lignes, ce mois-ci, et pas seulement la ligne de mire des forces de Police. Mon automobile est passée au contrôle technique hier soir. Le monsieur l'a regardée, pour me dire que tout allait bien. Sensible à la flatterie, je l'ai récompensé de 72 euros. Il m'a quand même fait remarquer que je risquais une peine d'amende pour l'absence de rétroviseur passager, à quoi j'ai répondu que je risquais surtout un accident. C'est pourquoi j'en ai commandé un nouveau ce matin, pour la somme de 66 euros TTC, soit trois fois moins que chez Heudré. Voilà donc encore le montant d'une mensualité de prêt à mettre au passif de la mobilité automobile.
Alors face à la recrudescence des frais exceptionnels, une question me taraude. Combien diable coûte la mobilité automobile ? Le prix de la voiture, de l'essence ? Le temps passé à la conduire, à la réparer, à écrire ses mésaventures à ses parents ? Tout ça, en fait, nous donne la notion de coût généralisé. Concernant l'automobile, il est faramineux. Pour l'année écoulée, il peut s'estimer à 4800 euros tout compris (hors temps, ça viendra après). 4800 euros, ça fait par exemple près de 10 mois de loyer, ou 53 paires de chaussures de montagne de marque Lafuma. De quoi en faire, des kilomètres.
Une somme, n'est-ce pas, qui en fait le second poste après le logement, avec près d'un tiers de mon revenu imposable (et un peu du votre également). Tout ça pour bouger. Mais le jeu en vaut la chandelle, car l'automobile permet de se mouvoir rapidement. C'est l'accomplissement de l'homo velocitas, celui qui bouge vite. Bien imprudent serait le bougre qui viendrait à discuter de cette vitesse.
L'homo velocitas n'est pas pingre, mais il commence à réfléchir.
Alors soyons imprudents. Qu'est-ce que la vitesse ? Une unité de mesure de notre capacité à parcourir l'espace. Elle peut être instantanée ou moyenne, par exemple. Elle est mesurée en kilomètres par heure ou en mètres par secondes : c'est le temps qu'il faut pour parcourir une unité d'espace. Moi, par exemple, je parcoure environ 15 000 unités d'espaces par an en bagnole. Dès lors, la question mérite d'être reposée : combien de temps me faut-il pour être capable de parcourir ces 15 000 km ? Posons l'hypothèse ambitieuse que, trajets de courte et longue portée confondus, j'ai une vitesse moyenne de 50 km/h. Il me faut alors passer 300 heures au volant pour parcourir cette distance, soit un peu plus de 12 jours dans l'année. Ce chiffre est évidemment faux, mais il a finalement un impact tout relatif sur le résultat final. En effet, on peut considérer que pour parcourir 15 000 km, il faut conduire, mais également alimenter la machine. Et ça, ça prend du temps. C'est là qu'on convertit le coût généralisé calculé plus haut en temps, en se basant sur le salaire horaire net, soit 8.90 euros dans mon cas. Là, on découvre que la capacité à se mouvoir en automobile demande 539 heures de travail dans l'année. Soit plus de trois mois et demi d'activité professionnelles, congés déduits. On commence à prendre la mesure du sacrifice consenti.
Et tout ça... pourquoi, au fait ?
839 heures annuelles s'avèrent donc nécessaires pour payer et pratiquer la liberté de l'automobile. Qu'en est-il de la vitesse réelle de l'engin ? Eh bien 839 heures pour parcourir 15 000 bornes, ça fait une vitesse généralisée de 17,8 km/h. Voilà qui rappelle étrangement celle du vélo. La vitesse généralisée est un concept déconnecté de réalité spatiale. Je vais pas en vélo à la montagne, par exemple. Mais ça donne à réfléchir, ne trouvez-vous pas ? Faites donc le calcul pour vous-même, c'est amusant. Une chose apparaît néanmoins certaine : l'homo velocitas devrait s'arrêter un peu pour réfléchir, parce que c'est un blaireau.