Lieu : un grand hotel de la banlieue de Milan
Heure : 22H30
Etat d'esprit : solitaire
Je hais les pianistes de bar ... surtout ceux qui jouent dans les bars des grands hotels, dans la pénombre et la solitude de ces salons enluminés et désoeuvrés...
Quelques habitués sans doute ... on les reconnaît à la façon dont ils tiennent leur verre ... élégamment, avec la nonchalance de ceux qui ont fait ça toute leur vie ... cigarette aux lèvres et regards qui s'enfuient au gré des volutes de fumée bleue...
Quelques "inhabitués" aussi ... dont moi ... éparpillés deci-delà dans les fauteuils aussi profonds que leur solitude... guettant du regard la porte d'entrée comme si d'un seul coup, une apparition même furtive leur ferait oublier qu'ils s'ennuient...
L'ennui ... il est omniprésent ! même dans les mains de ce pianiste qui s'évertue sur une sonate dont je ne connais même pas le nom !
Il s'emmerde aussi ! autant que sa musique l'emmerde et que nous l'emmerdons...
Tout juste s'il ne baille pas ... et comme je le comprend !
Je me lève, verre en main, discrètement ... je ne vais pas directement vers lui pour ne pas le brusquer ! Je circonvole un peu et pour terminer, me retrouve à sa gauche, juste derrière lui...
Il se tourne vers moi, me sourit comme pour s'excuser de n'être pas déjà 5 pages de partition plus loin...
Je lui montre son verre vide, posé sur le piano et, joignant le geste à la parole, je lui propose de prendre quelque chose...
Il baragouine quelque chose en italien ... et m.... je ne parle pas un traître mot d'italien ... en anglais peut-être ... même pas ...
J'appelle le garçon et tant bien que mal, lui demande d'offrir à boire au pianiste ... whisky coca ... ok ! va pour un whisky coca...
Chopin - je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie de l'appeler Chopin - se tourne vers moi, lève son verre à ma santé, bois, le repose sur le bois verni ... ferme sa partition et, à ma grande surprise, débute "Rhapsody in blue" ... ses mains courent sur le clavier et Broadway s'illumine...
Je m'éloigne un peu ... m'assied dans un sofa profond et goûte la musique qui m'envahit ... doucement ... tout doucement...
Je hais les pianistes de bar pour les coeurs qu'ils chavirent de leurs notes doucereuses et alertes, pour les souvenirs qu'ils ramènent à la surface, pour les vagues de mélancolie qui vous assaillent en flux et reflux incessants...
Parfois, je voudrais être un "pianiste de bar" et jouer avec les sons plutôt qu'avec les mots.....