J'imagine bien : une pièce fermée, dont la porte donne directement sur un toboggan. Un nioub passe, le regard en coin derrière ses lunettes, un nuage acnéique remontant artistiquement du menton vers les oreilles qui ondulent sous les ventilateurs.
- Bonjour, le nioub !
Là, il regarde le badge agrafé sur mon T-shirt macg, dont les pectoraux tendent le coton comme les alyzées une voile. Il lit lentement : A.M.O.K.
Il avale avec difficulté sa salive, baisse les yeux, fait quelques bulles irisées avec la bouche et le nez puis souffle :
- Bonjour Monsieur.
Je laisse dix secondes de silence pour lui permettre de reprendre ses esprits. Dans sa tête, je vois par transparence comme un tambour de machine à laver en essorage. Dix secondes, c'est assez : je ne veux pas le voir réagir comme le précédent qui, au bout de 17 secondes, a perdu les yeux sur la moquette du stand. C'était étrange : deux globes oculaires ventousés sur une paire de lunettes au sol, et le bleu, aux orbites vides, qui s'excusait d'avoir taché la fibre.
- Dis moi, ca te dirait de prendre un verre avec les modos ? Ils sont tous là, dans la pièce dont tu vois la porte. Il y a Web'O l'hélvète qui marche comme un phasme, Pascal77 qui rigole sans que l'on sache vraiment pourquoi, Bassman qui ne se sape plus qu'en short depuis qu'il s'est fait tatouer la cheville, Yvos et Foguenne qui s'auto-prennent en photo, Nephou qui prend un verre avec Grug en picorant des daphnés, Mackie le Marsupilami qui projette ses photos de toilettes d'avions, bref, tous. Et il y a des chances que Benjamin débarque sous peu. Si tu as cinq minutes, ce sera un honneur pour nous de voir un bleu de près.
Ceux qui n'ont jamais assisté à une AE ne peuvent pas comprendre : cette liste de noms colorés déclenche en général chez le nouvel inscrit (et même chez les moins nouveaux) une diarrhée instantanée de bonheur. Il va rencontrer, en vrai, il pourra le dire, le poster. Si il a 100 euros en liquide sur lui, il pourra même se prendre en photo avec l'un d'eux pour montrer à sa copine. Il ne va plus se laver les mains. Il va en rêver toutes les nuits dans les mois qui viennent. A se stade, il se met à trembler. D'un geste rassurant, je l'invite à pousser la porte.
Il fait sombre à l'intérieur. Normal, c'est le bar. Il hésite. Je l'encourage à passer avant moi. Il sourit, il est heureux : nous sommes déjà presque amis. Il lance la jambe en avant.
Ca va très vite : il glisse sur le toboggan. Puis, ca fait des crachs, des crics, des plorfs. Ca ressemble a des pneux qui éclatent, des cacahuètes dans la bouche d'un édenté, un coussin péteur, une langouste qui tombe dans l'eau bouillante.
A l'autre bout, de grands sacs pour récupérer les morceaux, qui serviront à nourrir les bannis. Rien ne se perd. Je referme la porte.
A l'extérieur, un autre bleu rôde avec timidité dans l'allée, les mains pleines de prospectus.
- Bonjour !
Il regarde le badge agrafé sur mon T-shirt macg, dont les pectoraux tendent le coton comme les alyzées une voile. Il lit lentement : A.M.O.K.
Il avale avec difficulté sa salive, baisse les yeux, fait quelques bulles irisées avec la bouche et le nez puis souffle :
- Bonjour Monsieur.