Steve Jobs a été opéré en 2004 pour une tumeur des îlots de Langerhans (forme rare de cancer du pancréas). Puis, il a dû subir il y a un peu plus de deux ans une greffe de foie, peut-être liée à l'apparition de métastases. Même s'il n'a pas été atteint de la forme la plus grave de cancer du pancréas, les statistiques de survie à long terme pour ce type d'affection ne sont pas en sa faveur. Imaginer qu'il va pouvoir continuer longtemps à jouer un rôle directeur, même en retrait, est illusoire. La formulation même du début de sa lettre de démission est claire à cet égard : il a senti qu'il n'était plus capable d'assurer les charges inhérentes à ses fonctions, et il y a tout lieu de penser que son état n'ira qu'en empirant. Je trouve donc parfaitement justifié et simplement humaine l'émotion de ceux qui ont admiré cet homme et estiment avoir une dette à son égard. Ce n'était pas mon maître à penser ou mon idole. Mais cela ne m'empêche pas d'éprouver une certaine empathie envers ceux qui voyaient en lui un exemple, comme je comprends la foi des croyants, sans pour autant en être un moi-même.
Le problème posé par ce retrait se réduirait à peu de choses si Jobs n'avait été qu'un bon manager, ou un habile gourou du marketing. Mais il était l'incarnation même du leader charismatique qui impose ses vues contre l'opinion dominante, quitte à faire grincer les dents... C'était un visionnaire fermement convaincu de la validité de ses choix et sans concessions quant à la manière de les mettre en oeuvre. Cela l'a rendu admirable aux uns et détestables aux autres. Mais le rôle qu'il a joué dans l'histoire de l'informatique ne peut pas être sous-estimé. Apple n'aura plus la même envergure, la même aura, si ses successeurs ne sont que de bons administrateurs ou d'habiles commerciaux. Quant à la simple capacité à faire de bons produits, elle ne suffit pas, s'il n'y a pas une stratégie visionnaire pour la promouvoir. Toute l'histoire de l'industrie en est la démonstration.