Un plus un, plus un, plus un, plus un... Trois petits tours et je reviens. Danse l'homme aux longues mains ! Fouette l'air avec tes doigts qui se tordent et s'enroulent.
Danse ! Attention ! Regarde derrière toi ! Danse ! Un plus un, plus un, plus un... Les autres te toisent.
Tu n'es pas la danseuse ridicule, tu es l'homme aux longues mains. Attention ! Je suis là ! Derrière toi ! Tu m'évites mais mes crocs ne sont pas passés loin. Danse l'homme aux longs doigts ! Claque l'air et enroule tes doigts de cuir autour de ton rêve ! Ils se tordent dans l'air comme se tordent les sentiments et la douleur.
Serpents volant jusqu'aux étoiles du chapiteau. Tu nous regardes dans les yeux parce que tu nous crains, peut-être. Par-delà ta fierté d'homme de cirque, tu sais bien que nous n'avons rien à faire là. Ni toi(t), ni moi, ni eux. Enfances africaines volées, exportées puis rêvées toutes ces années. Tu te plaîs à faire croire que tu nous aimes à la hauteur de la peur que nous t'inspirons.
Et pourtant, dieu que l'Afrique était belle lorsque nous y vivions en paix ! La famine est venue. Guerre sourde des ventres criant à la nourriture perdue. Chaleur et sécheresse pesante. Le désert avançait et nos âmes se sont croisées. Partir avec le cirque et avec les animaux qui avaient toujours été là. Ne pas les laisser mourir là. Mais tu sais bien que ta vie, comme la leur, n'est pas là dans ce cercle de poussière rouge entouré de barreaux. Un plus un, plus un, plus un, plus un...
Regarde-les ces yeux lisants dans la pénombre ! Ces yeux inconnus, interchangeables soir après soir. Regarde-les ! Ils s'effacent dans le noir. Savent-ils que tu danses parce que tu ne sais ce que mourir de faim veut dire ? Savent-ils que tu ne danses de la sorte que pour nous protéger ? Comment en serait-il autrement ?
Danse, l'homme aux longues mains ! Claque le cuir qui ne touche jamais ! Dans cette danse de cirque, la mascarade de la connivence se lit sur ton visage tantôt inquiet, tantôt fier. Elle te lie à nous. Intimité voilée par des paillettes de saltimbanque.
Entre deux villages, les enfants courent toujours devant les roulottes mais nous, les êtres aux longues griffes, nous les suivont. Aucun villageois n'osera s'en prendre à eux lorsqu'ils cueillent les fruits de la nature. Ces fruits que les sédentaires appellent leurs fruits, évidemment. Nous nous savons à qui ils sont.
Nous sommes les gardiens de leurs âmes, les gardiens de leurs sourires. Jamais ils n'auront faim. Le vieux lion est toujours le premier à rugir pour éloigner l'homme au bâton. Moi, j'ai l'avantage de ma robe noire. Elle a la couleur de ta peau. Celle de ceux de l'Afrique. En elle raisonne les tambours et les mystères des sorciers de notre village. Ils nous ont toujours parlé et jamais nous ne les avons attaqués.
Danse l'homme aux longues mains, fils de l'Afrique qui t'as vu naître ! Sois fier de ton destin !
Savent-ils tous ces yeux perdus dans la nuit du chapiteau que tes plus grands sentiments sont pour Mademoiselle Elektra qui vole au-dessus de nous ? Elle est celle qui se balance. Celle qui va et qui vient entre les barres du trapèze. Ses jambes coupent l'air comme tes doigts de cuir fendent l'espace.
Au final, elle descendra au milieu de nous, dans sa baignoire de confettis, souriante, comme une comète traversant le ciel des balladins. Puis, nous sortirons du cercle de sable rouge du Magic circus et tu la prendras dans tes bras. Danse, homme aux longues mains ! Fais voler tes doigts jusqu'à elle !