thème :
la lumière
mots imposés :
éclair _
jour _
folie _
flamme _
jeu.
date de fin de session : le 30 juin à 12 h.
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sa forme imparfaite et indécise émergeait d'un brouillard de chaleur.
en son centre, des poussées verticales avaient créé des failles redondantes, des décrochements basaltiques qui formaient un ensemble de plis et d'inclinaisons dans les zones d'affaissement.
ici, la terre était noire.
l'île se dressait, informe et rugueuse, comme un nuage flottant au-dessus d'une mer jamais étale.
des courants particuliers la parcouraient de tremblements et de soubresauts involontaires.
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l'homme cherchait à se dérober.
des masses lointaines et mouvantes avaient pénétré ce territoire de l'île.
son regard se perdait dans l'indécision du
jour.
à cette distance, les formes étaient élastiques et fluides, traversées de lenteur et de chaleur.
dans ce
jeu insensé qui excède l'attente, il demeurait invisible et caché.
leur apparition inexpliquée semblait plus relever d'un sortilège que d'une hallucination.
l'homme contemplait, avec une certaine fascination, ces étranges intrus.
il mesurait le danger d'être surpris en train de les observer.
dans cette partie haute de l'île, les marécages se mêlaient aux eaux basses et saumâtres des bras de mer.
des effluves entachaient cette portion désolée de l'île, balayée par des vents contraires.
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dans la
folie du jour qui suivit, une agitation désordonnée le terrorisa.
les voix étaient plus nettes, étrangères et précises. elles se perdaient et revenaient inlassables dans la lumière éclatante.
à travers la dentelle d'un massif d'épineux, il entrevit la silhouette massive d'un homme, dont il ne voyait que le dos.
un étrange dialogue s'installa entre l'homme et une présence lointaine et invisible.
il se tenait assis, respirant à peine.
des hommes en armes traversèrent son champ de vision. plutôt des formes en mouvements, dont il ne percevait que le cliquetis incessant des armes, la respiration lourde des poitrines, des instants fugaces et rapides.
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la nuit le surpris en même temps que la marée.
dans cette portion reculée des terres, les marées météorologiques investissaient ce territoire mouvant et instable.
c'est peu dire que les basses terres sont perpétuellement inondées.
que ce promontoire est une redoute avancée de la survie.
le jour suivant, il n'entrevit aucun espoir d'accéder au "musée".
il appelait ainsi ce vestige d'une époque révolue où des scientifiques avaient pris possession de l'île à des fins d'expériences ou de recherche.
le musée se trouvait à flanc de rocher, en partie creusé à même la roche.
un édifice sur deux niveaux qui était plus un appendice qu'une excroissance rocheuse.
une sorte de maison troglodyte qui s'appuyait sur une faille naturelle.
le toit avait totalement disparu.
un escalier en bois, en partie démoli et instable, menait à une étroite bibliothèque.
à chaque instant d'immobilité, il s'attendait à ce que tout cédât.
les étagères étaient parsemées de livres.
il y découvrit des ouvrages sur l'hydrologie et le mouvement des marées, la physique des fluides et le Mesmérisme, ainsi que des revues traitant du Theremin.
les livres étaient fermés.
on ne pouvait les ouvrir sous peine qu'ils perdent, soudainement, toute consistance pour finir poussière humide, amas de chiffons noircis, agrégat de mots informes.
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l'obscurité rendait l'espace mouvant.
des formes instables apparaissaient incidemment, le percutaient ou le transperçaient à des vitesses variables.
il trébuchait et sa propre voix l'étouffait.
quand il déboucha dans la vaste clarté, il se trouvait dans un souterrain, à peine plus haut de deux mètres, dont la partie la plus basse s'ouvrait sur la mer.
il appela cet espace la "chambre des machines".
au centre de ce cylindre surbaissé, se trouvait un vaste ensemble hydraulique fait de trois turbines d'un mètre de diamètre. chaque turbine était munie de pales en bois.
la machine utilisait la puissance des courants marins, de la houle et des vagues pour produire une énergie, convertie en électricité par un générateur.
cette électricité servait à alimenter l'ensemble des lumières disposées sur tout le pourtour de l'île.
la nuit, tous ces feux allumés formaient une ceinture mouvante agitée par le vent.
la machine ne fonctionnait plus.
l'eau de mer et la puissance des marées l'avaient en partie détruite.
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le lendemain de la visite des intrus, il parvint à franchir les zones inondées pour rejoindre le musée et la chambre des machines.
il attendit la fin du jour, adossé à une paroi, face à la mer.
plus tard, il entendit les voix.
elles résonnèrent au-dessus de lui et tout autour.
elles emplissaient tout l'espace et se répercutaient en ondes concentriques.
par instant, il en perdait la trace.
il se déplaça à l'endroit le plus septentrional de la grotte surbaissée, faisant face à la mer.
les voix cessèrent.
dans la nuit, des pas l'avaient piétinés et roués de coups.
sa tête n'avait plus de contour ni de structure. quelque chose manquait en son milieu. la chair semblait s'être soudainement retiré.
il n'avait plus de visage.
maintenant, le sang sourdait de partout. il ruisselait par lentes saccades sur les parois d'agrégats, se répandait par vagues successives sur les surfaces lisses et plates et déferlait sur le sol jonché de particules.
une odeur d'abattoir et d'animal blessé l'avait maintenu couché à terre.
il demeurait immobile sur le sol.
il s'attendait, à tout instant du jour et de la nuit, que des hommes en armes viennent le prendre, pour le mener par-delà les marécages avec un sac sur la tête.
il s'imaginait, aussi, être le personnage d'un jeu dont les règles lui échappaient.
ce ne fût que tard dans la nuit, que la machine s'était remise en marche.
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dans un fracas étourdissant, les vagues avaient envahi le cylindre surbaissé.
elles venaient par paquets et subissaient les effets de l'accélération des marées.
de ce monde du dehors, minéral et solaire plus rien ne subsistait.
une sorte de rupture dans la chaîne des événements avait fait que l'eau avait tout emporté sur son passage, recouvrant les basses terres et inondant la salle des machines.
au loin, les
éclairs rayaient un ciel encore plus sombre.
et plus proche, dans le désastre et les
flammes d'une Apocalypse sans nom, l'eau avait tout effacé.
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ce ne fût que très tard dans la nuit, là où la lumière rencontre les ténèbres, que l'homme assista aux premiers assauts de la marée. il se tenait sur la partie la plus haute de la grotte. le bruit de cataracte et le gargouillement de l'eau dans le plissement des roches l'avaient réveillé.
il regardait impuissant les vagues meurtrières qui s'avançaient et allaient bientôt l'engloutir.
il se voyait, éperdu et téméraire, remonter le courant pour échapper à l'anéantissement.
mais à chaque tentative, il se retrouvait projeté en arrière contre la paroi rocheuse.
il avait de plus en plus de mal à maintenir sa tête hors de l'eau.
au bord de l'épuisement et à-demi évanoui, le corps en sang, il vit cet instant sauvage où l'eau s'engouffrait en lui, se mêlant à sa propre eau.
des tourbillons l'aspirèrent vers le fond.
il vît, alors, son corps glissé, lentement, inexorable et immobile et comme figé, parmi les débris de roches en suspension.
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l'île dans la pleine lumière du jour s'éclaira de milles feux dansants.
elle ressemblait à un phénomène gazeux et photoluminescent traversé de mouvements désordonnés.
les femmes s'avançaient en robe de lin. des chapeaux masquaient leur visage.
et les hommes virevoltaient aux sons étranges et particuliers du vent dans les roches.
ils portaient des sacs de jute sur la tête.
des entraves maintenaient leurs membres supérieurs.
la scène semble en suspension, comme vue au ralenti et muette.
les formes sont floues. la lumière irréelle.
au loin, le bruit d'une machine bercée par les vagues.
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24 VI 08
Hiroshi Sugimoto.
North Atlantic Ocean, Cape Breton Island. 1996.
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