Le bad trip
- stroboscopes
- régurgitation
- paranoïa
- dichotomie
- tractopelle
Il fait nuit sur le Maori, large fleuve de l'amazonie. Un tractopelle fraîchement débarqué sur la rive entame son dur labeur. Il creuse le lit d'un affluent du fleuve et l'eau autrefois noire* se transforme en boue. Une boue qui colle au pieds des orpailleurs clandestins qui travaillent depuis trois jours en continue et se relaient pour aller dormir quelques heures. Il faut faire vite avant d'être repéré, amasser le plus d'or possible avant de déguerpir. Phelipe est mécanicien, mais comme les machines fonctionnent il chevauche l'engin sous des spots qui clignotent comme des stroboscopes.
Maintenant il regrette d'avoir quitté le Brésil, son pays natal, mais il ne peut plus revenir. Les ouvriers sont bien gardés et leurs passeports dans le coffre-fort** du boss. Il pense à sa famille restée au Brésil et continue malgré la fatigue.
C'est la pause de minuit. On arrête le moteur qui pompe l'eau et déverse son contenu sur une table de triage. A ce moment là, on déverse le mercure liquide qui s'agglutine à l'or et permet de le repérer. 1kg3 d'or pour 1kg d'or en moyenne et trois jours qu'ils ne sont pas payés. Phelipe ne sait pas au fond combien d'or ils ont trouvés car des hommes armés s'empressent de rapatrier la moindre pépite d'or trouvée. Le butin attire les convoitises et il n'est pas rare qu'une mine comme celle ci soit braquée par des pilleurs en bande organisée ne laissant aucun témoin vivant.
Un ouvrier agonise non loin de l'air de pique-nique, c'est la crise de paludisme : forte fièvre, régurgitation ... Phelipe essaie de ne pas y penser, tous sont contaminés. Depuis les années 90, lorsque l'or a été redécouvert en Guyane Française, le paludisme est de retour dans cette partie de l'amazonie.
Le quart d'heure est passé. Les gardes font signes du bout de leur mitraillette, il faut y retourner. Phelipe observe les tables de lavage et se remémore ses cours de Mathématiques. C'est la méthode de la dichotomie : on coupe en deux puis en deux puis en deux ... jusqu'à trouver l'or tant recherché.
Les yeux injectés de sang d'un garde croisent ceux de Phelipe. Il y voit la haine la paranoïa ... Le boss les tient avec le crack***. Tous les gardes et les ouvriers sont drogués, c'est la seule façon de les canaliser pour qu'ils supportent les conditions de travail. Phelipe retourne à son tractopelle, il sait qu'il doit être prudent car ILS savent qu'il ne se drogue pas. Il est à part.
La nuit s'égrenne et Phelipe se souvient... Quand il est venu en Guyane Française terre des droits de l'homme, il pensait trouver l'Eldorado. Mainteant il est coincé, il n'a même plus de larmes pour se consoler.
*eau noire = signe d'eau potable car elle reflète le fond.
** c'est un chantage, certains ne retrouvent jamais leurs passeports et deviennent en plus d'être clandestins des "sans papiers" à la merci des boss.
***comme Jean Bena, cette histoire est inspirée de la façon dont il traite ses ouvriers, en moins sanglants car il n'hésite pas à torturer pour un oui ou pour un non.
Une mine au loin, été 2004.
Un mine d'or sur le fleuve avec table de lavage et camp où l'on voit du linge sécher.
Un autre "barge" de plus près, n'importe quel touriste de base peut les photographier, ils ne font même plus attention. On voit nettement le tuyau qui recrache l'eau. Les plongeurs se relaient tous les quart d'heure. Deux plongeurs se partagent une seule combinaison, l'un le haut l'autre le bas. Ils vivent 24h/24h sur ce genre d'embarcation.